PAPE LÉON XIV
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Les funérailles du pape François ont soulevé une émotion universelle considérable, mais sans débordement de foule papolâtre, comme il y en eut par le passé. Le pape argentin avait certes beaucoup personnalisé sa fonction. Il lui a été reproché d'avoir exagéré son exercice personnel du pouvoir. Pour autant, son sens du vedettariat était bordé par sa volonté de faire mûrir le rapport des catholiques à la papauté en la simplifiant. Les obsèques du pape jésuite ont brillé par la sagesse populaire qui les a entourées et par la gratitude joyeuse de toute une jeunesse venue à Rome pour le Jubilé.
Enfant du concile
Il faut retenir aussi trois images-messages envoyées durant ces cérémonies aux 133 cardinaux électeurs du conclave. La première est l'homélie du cardinal-doyen Giovanni Battista Ré. Il n'a jamais prononcé le mot « concile » dans son panégyrique du pape défunt. Cependant, élevé à la pourpre par Jean Paul II et préparé par l'entourage de Paul VI aux plus hautes fonctions ecclésiastiques, il a dressé en creux le portrait d'un vrai « enfant » du Concile. François restera dans l'histoire pour avoir relayé avec ardeur le flambeau de la conversion évangélique et de la réforme de l'Église entamées par Vatican II. Le successeur de François sera probablement le dernier pape à avoir un lien générationnel avec cet événement ecclésial à la répercussion mondiale. Tous ses prédécesseurs depuis Jean XXIII, chacun dans leur style, ont suivi cette boussole. Aucun n'est sorti de l'orbite conciliaire. Aucun n'a été choisi pour la quitter. Le nouveau pape qui va être élu en cette année du soixantième anniversaire de la clôture de Vatican II ne dérogera sans doute pas à cette règle de la continuité. Peu de suspense à attendre sur ce point.
Le pape de tout le monde
La deuxième image éloquente est la traversée de Rome par le cercueil du pape François. Voulue par le défunt, elle a symbolisé sa grande proximité avec les gens, spécialement les pauvres et les oubliés, qu'ils soient catholiques ou non d'ailleurs. La fascination du peuple et la piété populaire du pontife argentin ont pu exaspérer certains et passer pour du populisme. Elles lui ont toutefois taillé une solide popularité : il a été le pape de tout le monde. Du premier jour au dernier jour de son pontificat, François a sollicité la prière et la présence du peuple à ses côtés. Le dimanche de Pâques, il a employé ses ultimes forces physiques pour aller à sa rencontre. Ce charisme populaire pourra-t-il disparaître de la scène après lui ? L'autorité papale, et par-delà, l'audience de l'Église dans la cacophonie mondiale et l'entrelacs des connexions virtuelles, peut-elle se dispenser d'être incarnée par des paroles et des gestes sachant toucher les cœurs, rejoindre les vies ordinaires, et faire sens dans un univers informationnel souvent saturé d'insignifiance ?

Artisan de paix
Enfin troisième image frappante : les pourparlers entre chefs d'État qui ont eu lieu avant et après les obsèques dans le narthex de la basilique et dans les jardins du Vatican. Sans présumer de leur efficience, ils ont spectaculairement rappelé la vocation médiatrice et l'utilité diplomatique du Vatican, dont François, avec des fortunes diverses, avait voulu être le champion. Le prochain conclave aura beau s'exiler temporairement dans la chapelle Sixtine pour, loin du tumulte, élire le 267e successeur de Pierre, il ne pourra pas s'abstraire des graves réalités géopolitiques de l'heure. Elles pèseront nécessairement dans le choix de l'homme qui sera appelé à être l'interlocuteur des dirigeants de la planète. Un homme aux épaules larges, rompu à la dialectique du compromis et à la recherche de solutions justes et équitables. Un homme d'Église, un artisan de paix capable de transformer son expérience en conscience « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». Les cloches de Saint-Pierre sonneront peut-être, dans quelques jours, l'heure de la charité diplomatique de l'Église pour une humanité en charpie, souffrant de dysharmonie et de perte cruelle d'enthousiasme.
Une Église plus synodale
Et cependant, le successeur de Pierre n'en demeurera pas moins un homme fragile comme nous. Un homme sur qui la Providence aura lancé son filet, mais qui restera néanmoins un pécheur, comme le répétait François pour lui-même. L'anneau pontifical, remis le jour de l'inauguration d'un nouveau règne, ne s'appelle-t-il pas l'anneau du pécheur ? « Pierre n'est qu'un homme, rappelle avec justesse le prêtre prédicateur et philosophe Luigi Maria Epicoco ; un pauvre homme, avec un immense fardeau sur les épaules. Jésus l'appelle mais le laisse homme. C'est pourquoi il faut user d'une sacrée bonne mesure d'amour pour Pierre, car c'est un homme qui, s'il n'était pas soutenu par la grâce de Dieu et par l'amour de son peuple, s'effondrerait. Et quand Pierre meurt, il faut continuer à l'aimer car il faut toujours avoir de la gratitude pour ce qu'il a tenté de faire jusqu'à la fin. »
Aimer Pierre ne veut pas dire tout lui passer, idolâtrer sa personne.
Aimer Pierre ne veut pas dire tout lui passer, idolâtrer sa personne, ou encore taire son esprit critique. Non, mais aimer Pierre c'est honorer le jugement qu'on pourra porter sur lui en s'exerçant toujours à la lucidité, à la nuance et à la bienveillance. Sans elles, la communion ecclésiale n'est plus qu'un mirage. Sans elles, la catholicité ne serait plus qu'une coquille vide. Critiquer dans l'amour est une marque de témoignage chrétien adulte et fraternel, disait en substance le cardinal et maître spirituel Carlo Maria Martini. La critique constructive fait toujours grandir, répondait François à ceux qui voulaient en découdre avec lui. Pratiquer sa liberté avec discernement et bienveillance revient pour chaque baptisé à apporter sa propre pierre à la construction d'une Église plus synodale ; à passer du rang de spectateur à la responsabilité d'acteur ecclésial.
Encore plus fragile
Sans la miséricorde du Christ et sans l'expérience de l'intelligence spirituelle des catholiques, dont l'acmé se trouve dans leur prière, le prochain pape qu'éliront les 133 cardinaux électeurs, à partir du 7 mai prochain, serait évidemment encore plus fragile qu'il ne l'est. Il a aussi besoin de la bonne volonté de chacune et de chacun pour conduire la barque de Pierre sur les eaux mouvementées qui agitent, en cette heure historique, notre « terre douloureuse, dramatique et magnifique ».
Pratique