separateurCreated with Sketch.

Papabile : Zuppi, missionnaire de la paix et curé du peuple

Matteo Maria Zuppi, 69, is the current president of the Italian Episcopal Conference.
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Agence I.Media - publié le 03/05/25
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
À l’approche du conclave le 7 mai, Aleteia propose chaque jour le portrait de l’un des cardinaux électeurs dont la voix devrait compter. Curé de terrain devenu artisan de paix, le cardinal Matteo Zuppi, 70 ans, incarne une Église populaire, ouverte et diplomatique. Archevêque de Bologne, président des évêques italiens et proche du pape François, ce cardinal italien au profil atypique conjugue engagement social, art de la médiation et fidélité à l'esprit de Sant’Egidio. Un "Bergoglio" transalpin que le Vatican envoie jusqu’à Moscou pour tenter l’impossible.

À Bologne comme à Rome où il est né, tout le monde l’appelle "Don Matteo". Un nom, qui pour tout Italien, évoque le protagoniste d’une série télévisée éponyme célèbre où un mélange de Père Brown et de "Joséphine Ange Gardien", incarné par Terence Hill, s’occupe de ses ouailles dans la charmante bourgade de Spolète. La comparaison le fait sourire. Populaire, le cardinal Matteo Zuppi l’est, comme son double, à bien des égards. La comparaison s’arrête cependant si on se penche sur son histoire familiale, qui l’a placé, dès sa naissance, plus près du trône de Pierre que d’un village pittoresque italien. 

D’abord parce qu’il est le fils d’Enrico Zuppi, journaliste catholique et pendant 30 ans rédacteur en chef du supplément dominical de L’Osservatore Romano – le journal officiel du Saint-Siège –, placé là à la demande de Mgr Giovanni Battista Montini, le futur Paul VI. Son berceau est surtout bordé de pourpre du côté de sa mère, Carla Fumagalli, nièce du cardinal Carlo Confalonieri. Celui-ci fut le secrétaire particulier de Pie XI avant-guerre avant de devenir un membre influent de la Curie. En tant que doyen du Collège cardinalice, l’histoire a surtout retenu que c’est lui qui a eu la lourde charge de célébrer les obsèques de deux papes en 1978, celles de Paul VI et de Jean-Paul Ier. Bref, Matteo Zuppi est aussi Romain que l’Église catholique. 

His Eminence Cardinal Matteo Maria Zuppi
Matteo Maria Zuppi nommé cardinal par le pape François, octobre 2019

L’expérience de Sant’Egidio

Né en 1955, le jeune Matteo confie avoir rejeté dans sa jeunesse la "cuiller eucharistique" qu’on lui avait mise dans la bouche et s’être écarté de son éducation catholique, qu’il jugeait "obsolète et moralisatrice". Un temps d’éloignement qui ne durera pas longtemps cependant. À 15 ans, il fait une rencontre qui change sa vie : celle d’Andrea Riccardi, fondateur de la communauté Sant’Egidio. "Ma vocation est née dans la Communauté : si je suis ici aujourd'hui, je le dois à Sant'Egidio", confiera-t-il des années plus tard. La communauté a des allures de groupes hippies comme il en fleurit beaucoup en ces années 1970. Riccardi lui montre "un autre Évangile et une autre Église, l'Église de mes amis et non celle des prêtres" et l’initie à "la prière spontanée au lieu du Rosaire". 

Une vocation au sein de la communauté

Ce ne sera que des années plus tard qu’il fera le pont avec la "foi de ses parents" et reviendra avec le reste de la communauté à la "Tradition". À cette époque, il est bouleversé par les ravages de la drogue, une de ses "premières prises de conscience", et s’engage. Il rencontre le père Vincenzo Paglia, actuel président de l’Académie pontificale pour la vie. Ce dernier est alors le curé de la paroisse Sant’Egidio, dans le quartier romain médiéval du Trastevere, qui abrite et donne son nom à la communauté. Après des études littéraires et historiques, il décide de suivre le père Paglia et rentre au séminaire ; il en ressort prêtre en 1988 pour devenir son vicaire. 

Matteo Zuppi va rester longtemps dans cette paroisse : il en prend la tête de 2000 à 2010, et y reviendra même en 2019 quand le pape François, l’ayant créé cardinal, décide d’en faire symboliquement une nouvelle fois le curé. Avant cela, le jeune prêtre a parcouru un long chemin auprès du père Paglia. Pendant les années 1990, il ne tient pas en place, s’engage dans une multitudes d’actions sociales auprès des populations aux périphéries – les migrants, les Roms, les malades, les personnes âgées – et participe ainsi à l’élargissement fulgurant du champ d’action de la communauté Sant’Egidio. Il apparaît finalement sur les radars médiatiques en participant à la première action internationale d’ampleur qui donnera sa renommée à la communauté : une médiation au Mozambique.

Pope Francis shares a laugh with Italian Cardinal Matteo Maria Zuppi
Le pape François partageant une blague avec le cardinal Zuppi

Le tournant du Mozambique

Doué avec les langues – il parle espagnol, français et anglais – il est, un peu par hasard, envoyé dans l’ancienne colonie portugaise, fraîchement indépendante et qui sombre dans une terrible guerre civile. Appuyé par le gouvernement italien, il réussit à faire dialoguer les deux parties opposées, ce qui aboutit à un accord en 1992. Les malheurs du Mozambique – dont il est citoyen d’honneur – ne connaîtront qu’une brève trêve, et son engagement pour ce pays, frappé durement par les catastrophes naturelles, le Sida ou le terrorisme, se poursuivra par la suite. Mais avec ce fait d'armes, l’histoire du jeune prêtre romain a changé de dimension. 

Des années plus tard, ses proches se souviendront de ces premiers pas lors de sa prise de possession de la basilique Sant’Egidio en lui offrant une crosse conçue avec les débris d’habitations ravagées par une tempête au Mozambique. Après cette mission réussie, il devient un des médiateurs attitrés dans les processus de résolutions de conflit menés par Sant’Egidio, et va dès lors beaucoup voyager. Son nouveau rôle l’emmène aux quatre coins du monde, notamment en Tanzanie, à Cuba, au Kosovo mais aussi au Pays Basque : en 2017, les membres de l’ETA le choisissent comme "témoin moral" pour déposer les armes. 

Un évêque très prometteur

Début 2010, le jeune prêtre hyperactif est repéré par sa hiérarchie. En 2012, il est choisi par Benoît XVI pour devenir un de ses évêques auxiliaires à Rome. Il lui confie le secteur Centre, soit le cœur historique de l’Urbs, le plus proche du Saint-Siège. Mais, là encore, il ne restera pas longtemps en place. François l’appelle trois ans plus tard pour lui offrir une des cathèdres les plus prestigieuses d’Italie : celle de Bologne. Là, il dénote par son style, qui tranche avec celui de ses prédécesseurs, les cardinaux Carlo Caffara et Giacomo Biffi – l’archevêché émilien ayant été, selon le quotidien de gauche italienne La Repubblica, la "plaque tournante du catholicisme conservateur italien au XXe siècle". Matteo Zuppi affirme "ne pas avoir fait d'études d'évêque" et dit s’habiller en clergyman parce qu’il "trébuche encore en soutane". À Bologne, on se réjouit de l’entendre citer l’icône locale Lucio Dalla dans ses homélies, et de le voir circuler sous les arcades à vélo.

Zuppi revendique une "Église sur la place, au cœur de la ville", une Église ouverte, "de sortie" comme dirait le pape François. "La réalité des villes est le point déterminant de son engagement pastoral", analyse le rédacteur en chef de L’Osservatore Romano. L’archevêque de Bologne se distingue par son sens de la gestion des conflits, internes mais aussi externes, comme quand il est appelé en arbitrage dans des conflits sociaux. Son plan de lutte contre le chômage à Bologne, établi avec l’économiste Stefano Zamagni – qui prévoit des micro-crédits, des plans d’allègements pour les entreprises qui embauchent et des formations – a été unanimement salué.

Le "Bergoglio italien"

Son activisme, aussi bien œcuménique qu’interreligieux, se révèle aussi lors des grands sommets de "prière pour la paix" que Sant’Egidio organise chaque année dans le sillage de la Rencontre d’Assise de 1986. Ces rassemblements, qui se tiennent partout dans le monde, permettent au prélat de tisser un important réseau au sein de l’Église dont peu de cardinaux peuvent se prévaloir. L’archevêque de Bologne est aussi très actif localement, notamment dans sa relation avec les orthodoxes, les juifs et les musulmans de son diocèse. Avec ces derniers, un épisode a particulièrement marqué l’opinion en Italie, celui des "tortellini", en 2019. Son archidiocèse est alors pointé du doigt par certains hommes politiques, dont Matteo Salvini, après la distribution lors d’une fête locale des pâtes qui font l’orgueil de sa ville. Une partie des tortellini - hérésie culinaire ! - avait été farcie au poulet pour les musulmans, et non, comme le veut l’usage, au porc. Même s’il n’est pas à l’origine de cette initiative, Mgr Zuppi met fin à la polémique en faisant distribuer le tortellino originel tout en maintenant une petite portion des "tortellini de l’accueil". 

La même année, le pape François décide de le créer cardinal, une nomination qui ne surprend guère la presse nationale. Elle se réjouit de l’ascension éclair de celui qu’elle surnomme depuis 2015 le "Bergoglio italien". Intellectuellement, les deux hommes semblent tellement proches que certains se demandent si les "éléments de langage" du pape François pourraient avoir été conçus dans l'ancienne capitale des légations papales. On retrouve dans le logiciel "zuppiste" les mêmes principes que ceux du pontife argentin : une certaine modernité du langage, un refus de la polarisation du débat, l’option préférentielle des pauvres, la fraternité interreligieuse, la synodalité, une vision géopolitique "casaroliste", une primauté du pastoral sur le dogmatique… Comme le pape, son positionnement désoriente parfois certains : "Il y a ceux qui veulent, avant tout, que tout soit clair. La miséricorde est le contraire", assène-t-il dans un style qui synthétise la communication vue par son pape. Bref, avec Matteo Zuppi, affirme-t-on dans la presse italienne, François a créé un "cardinal selon son cœur". 

Son positionnement et sa proximité avec le pape argentin ne lui ont pas fait que des amis. Le vaticaniste conservateur Sandro Magister le dépeint depuis des années comme étant le candidat du "lobby catholique le plus puissant de ces dernières décennies au niveau mondial" - Sant'Egidio. Le journaliste italien se moque aussi du peaufinage grossier de sa candidature, citant notamment un documentaire tourné sur le cardinal Zuppi intitulé : L’Évangile selon Matteo Z. – Profession évêque ! Plus récemment, Magister a cependant estimé que le candidat de Sant'Egidio était désormais le cardinal Tolentino, parce que l'appartenance de Zuppi à la communauté jouait finalement contre lui.

L'homme fort de l'Église en Italie

En 2022, il est choisi par le pape pour succéder au cardinal Gualtiero Bassetti à la tête de la Conférence des évêques d’Italie, avec pour mission de mener la réforme de l’Église italienne et de gérer la délicate question de la gestion des abus sexuels. Avec cette nouvelle charge prestigieuse et très politique, il devient dès lors le visage de l'Église en Italie, multipliant les interventions dans la presse sur tous les sujets.

Après deux ans à la tête de la CEI, le cardinal Zuppi parvient à obtenir des autres évêques la parution d'un rapport sur les abus commis par le clergé en Italie - un sujet délicat sur lequel il semble vouloir avancer pas à pas. Peu adepte de la confrontation, il laisse apparaître ses talents d'habile politicien dans son rapport avec ses pairs ou avec les chefs d'État qu'il cotoîe, notamment avec la présidente du Conseil Giorgia Meloni. Il n'a cependant pas hésité à faire entendre la voix de l'Église en demandant une meilleure prise en compte de la dignité des migrants.

Dans un autre domaine, l'archevêque de Bologne fait partie des cardinaux qui ont apporté clairement leur soutien aux bénédictions des couples homosexuels autorisées par le pape. Sur le plan liturgique, il a ménagé les traditionnalistes, proposant une application souple de Traditionis custodes.

Rosary-Prayer for Peace-Bishops-CEI
Le cardinal Zuppi lors de la prière pour la paix durant la 79e assemblée générale de la conférence épiscopale italienne, mai 2024

Le retour du médiateur

En 2023, le pape argentin a confié une mission diplomatique délicate au cardinal Zuppi : être son représentant dans les discussions concernant le conflit entre la Russie et l'Ukraine. Il s'agit notamment de profiter du large réseau - notamment russe - dont dispose la communauté de Sant'Egidio tout en le faisant collaborer avec la Secrétairerie d'État. L'objectif officiel est la libération d'otages et en particulier le retour chez eux d'environ 20.000 enfants ukrainiens que les Russes auraient enlevé pendant la soi-disant "opération spéciale". D'un point de vue comptable, la mission, qui l'emmène à Kiev, Moscou, Washington et Pékin, est un échec : un seul Ukrainien est relâché par Moscou. Mais le cardinal Zuppi assure ne pas vouloir abandonner.

L'année suivante, en octobre, quinze mois après sa précédente visite à Moscou, il se rend une seconde fois dans la capitale russe. Signe de l'intérêt du Kremlin : il a pu cette fois s’entretenir avec le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Le Vatican explique alors que le rapatriement des enfants ukrainiens déportés en Russie demeure un axe central de la délicate médiation assumée par le cardinal italien. Selon l’ambassadeur ukrainien près le Saint-Siège Andrii Yurash, s'il est difficile de quantifier l’influence qu’a pu avoir le Saint-Siège sur la libération d’Ukrainiens parce que la liste de prisonniers est "passée par plusieurs intermédiaires", mais le rôle joué par le cardinal Zuppi a été très positif.

L’Église selon Zuppi

Comment le cardinal voit-il l’avenir de l’Église de demain ? Une Église plus humble, "des petites communautés" plutôt que celle des "Églises supermarchés". Une Église "qui sait unir ce qui était séparé, qui vit en communauté, qui est proche des pauvres, qui accueille les pauvres, et qui unit la prière et l'engagement […] Être chrétien ne signifie pas être fermé, cela signifie vivre dans notre vie concrète le mystère de la présence de Dieu".

Le profil du cardinal Matteo Maria Zuppi

Date de naissance: 11 octobre 1955
Ordination: 9 mai 1981
Ordination épiscopale: 14 avril 2012
Consistoire:
5 octobre 2019
Créé cardinal par: François
Famille spirituelle: Diocésain
Langues parlées: anglais, espagnol, français, italien
Rang et paroisse: Cardinal-prêtre de Sant’Egidio
Distance de Rome: 370 km
Membre de la Curie: Non
Parle italien: Oui
Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)