Les équilibres géopolitiques mutent, mais comme on le dit d’un virus : ils changent plus vite que nous. Le trumpisme, forme bariolée du poutinisme, est en passe de devenir une maladie transmissible à l’homme. Le monde entier est déjà, ou sera bientôt, adepte de la posture animale. Le nouveau principe politique universel n’est plus la déclaration des Droits, ni l’idée de progrès, mais la vieille loi du plus fort. Ceux qui avaient cru que vingt siècles de christianisme ou deux siècles de Lumières avaient changé le monde en sont pour leurs frais.
Un matérialisme rusé
J’exagère ? Le processus est commencé. Hors d’Europe, les dirigeants ne font même plus semblant de cultiver les bons sentiments. La liberté n’intéresse plus personne. La vulgarité est tendance. L’Europe est méprisée de croire encore au droit. Les empires nous répètent à longueur de journée qu’il n’est de progrès que technique et que la technique au service de la force est le seul moteur de l’Histoire. L’expérience leur donne raison en apparence. Ce n’est pas le nationalisme qui a entraîné la boucherie de la Grande Guerre, mais la science des ingénieurs. Nous en sommes toujours là. Cela s’appelle le matérialisme.
Il est un matérialisme proprement préhistorique, imprégné des idées de bon sens, de conservatisme social, de vanité joviale.
Comme il est rusé, le matérialisme de 2025 n’est plus le matérialisme marxiste des années 1950, il n’est même plus le matérialisme capitaliste des années 2000 : il est un matérialisme proprement préhistorique, imprégné des idées de bon sens, de conservatisme social, de vanité joviale. Travail, Famille, Patrie. On pourrait aussi bien dire : Immobilier, Bâtiment, Travaux publics. C’est la version Donald Trump. Les faux prophètes sont grimés en brebis. Il nous faudra une force inouïe pour tenir bon, pour continuer à croire en une vertu désormais totalement décalée, le sens de l’honneur.
Le monde n’est pas à nous
Notre honneur de chrétiens est de ne jamais nous résigner à la vulgarité du pouvoir. L’Amérique de Donald Trump me fait penser à un pays dans lequel les Pieds Noirs auraient gagné. J’estime les Pieds Noirs, je ne veux pas les dénigrer, mais j’observe que partout, les colons, admirables aventuriers à l’esprit prédateur, finissent par se dire : le monde est à nous. Les défricheurs deviennent des raiders. Ils parlent fort et en appellent sans cesse à un bon sens de bistrot. Ils pratiquent un cynisme joyeux qui à la longue détruit tout. Donald Trump fait des États-Unis ce qu’ils sont fondamentalement, une colonie dans laquelle ce sont les colons qui ont gagné l’indépendance. Cas unique, mais philosophie contagieuse.
Nous autres chrétiens savons de source sûre que le monde n’est pas à nous. Il nous est prêté par notre Dieu. Et nous aimerions que le Fils de l’homme, quand Il reviendra, n’y trouve pas trop de désordre. Même quand en apparence nous employons les mêmes mots que Donald Trump, nous ne disons pas la même chose que lui. Nous croyons à l’honneur. Ses adeptes n’en ont cure. Un clivage considérable est en train de partager le monde.