À l’approche du conclave le 7 mai, Aleteia propose le portrait de l’un des cardinaux électeurs dont la voix devrait compter. Secrétaire d’État du Saint-Siège depuis 2013, le cardinal Pietro Parolin, 70 ans, est l’un des plus fins diplomates du Vatican. Artisan d’un multilatéralisme assumé, familier des chancelleries, il incarne une ligne de continuité modérée avec le pontificat de François. S’il n’a jamais dirigé de diocèse, cet Italien au profil de négociateur, rodé aux équilibres romains, pourrait rassurer une Curie secouée par dix années de réformes.
PAPE LÉON XIV
Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter quotidienne.
Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège depuis l’automne 2013, est une figure centrale du pontificat de François. Sorte de 'Premier ministre" du pape, il est souvent cité parmi les "papabili". Diplomate apprécié des chancelleries, il dispose d'une fine connaissance du gouvernement de la Curie que le pape François a tenté de réformer. Il pourrait, s’il était élu sur le siège de Pierre, incarner une forme de continuité avec François tout en cherchant à apaiser une Église quelque peu bousculée par un pontificat de réformes tous azimuts.
Né le 17 janvier 1955 à Schiavon, en Vénétie, Pietro Parolin grandit dans une famille très dévote. Son père, commerçant, est décédé en 1965 dans un accident de voiture, et sa mère, institutrice, est décédée le 31 août 2024. Ada Miotti a notamment accompagné son fils secrétaire d'État en 2018 lors d’une visite dans le village de Salcedo, où elle enseignait dans les années 1950. Lors de l'homélie de la messe d'obsèques de sa mère, le 3 septembre 2024 à Schiavon, le cardinal Parolin avait imaginé sa mère "accueillie à la porte du Paradis, non seulement par le Sauveur, par la Vierge Marie à laquelle elle était très attachée et par saint Pierre, mais aussi par trois personnes" parmi lesquelles son père, Luigi : "Elle m'avait confié qu'elle était tombée amoureuse de lui, frappée par sa façon de prier dans cette église, ce qui ne se fait plus aujourd'hui. Ce fut une belle et malheureusement courte histoire d'amour conjugal. Aujourd'hui, ils se retrouvent 59 ans plus tard, dans une étreinte que personne ne pourra jamais dissoudre et qui durera pour l'éternité", avait confié le cardinal, livrant une rare confidence sur son histoire familiale et intime.
L’enfance de Pietro Parolin est marquée par son service d’enfant de chœur en paroisse, et par la figure de son curé, don Augusto Fornasa, qui guide vers la vocation sacerdotale le jeune orphelin de père. Il entre au séminaire en 1969, à 14 ans, et est ordonné prêtre en 1980 pour le diocèse de Vicenza. Il assure alors deux ans de service comme vicaire à la paroisse de la Sainte Trinité à Schio, une ville de montagne dans laquelle vécut durant près de 50 ans l’ancienne esclave soudanaise Joséphine Bakhita, devenue religieuse à la fin du XIXe siècle, et canonisée par Jean Paul II en l’an 2000.
Débuts dans la diplomatie pontificale
De 1983 à 1986, l’abbé Pietro Parolin est envoyé à Rome pour des études de droit canonique, son évêque ayant le projet d’en faire un juge au tribunal diocésain et de le spécialiser sur les questions familiales. Mais c’est finalement vers la diplomatie pontificale que s’oriente le jeune prêtre italien, qui suit le cursus de l’Académie ecclésiastique en même temps qu’il soutient une thèse à l’Université grégorienne sur le Synode des évêques.
Le 1er juillet 1986, il entre officiellement au service de la diplomatie pontificale. Ses deux premières affectations sont le Nigeria, de 1986 à 1989, puis le Mexique de 1989 à 1992. En tant que secrétaire de la représentation pontificale à Mexico, le jeune prélat, - devenu “Monseigneur” à seulement 33 ans en 1988 - jouera un rôle important pour le plein rétablissement des relations diplomatiques entre le Mexique et le Saint-Siège et pour la reconnaissance de la liberté religieuse dans la nouvelle Constitution. L’Église mexicaine gagne alors une reconnaissance sociale et juridique qu’elle avait perdue depuis le début du XXe siècle. Après ce succès majeur, Mgr Parolin revient au Vatican pour une longue période de 17 ans, durant laquelle il sera remarqué pour son efficacité et sa finesse diplomatique, malgré la marginalisation de son mentor, le cardinal Achille Silvestrini, figure de l’aile “progressiste” de la Curie. Pressenti pour devenir le secrétaire d’État de Jean Paul II, le cardinal Silvestrini doit s’effacer en 1990 devant le cardinal Sodano, au profil plus classique et rassurant pour le pape polonais.
De 1992 à 2002, Mgr Parolin, est affecté à la section pour les relations avec les États, traitant notamment les dossiers concernant l’Espagne et l’Italie. Puis, de 2002 à 2009, durant les dernières années du pontificat de Jean Paul II et le début de celui de Benoît XVI, il occupe le poste stratégique de sous-secrétaire pour les relations avec les États.
L’homme du rapprochement avec le Vietnam et la Chine
Cette charge de “vice-ministre des Affaires étrangères” l’amènera à suivre plusieurs dossiers sensibles, notamment la lutte contre la prolifération nucléaire, qui lui vaut d’effectuer un discret voyage en Corée du Nord, une destination alors inédite pour un responsable du Vatican. Il contribue au rapprochement réussi entre le Saint-Siège et le Vietnam, pays avec lequel un compromis est trouvé sur le dossier des nominations épiscopales. Sous son impulsion, les échanges diplomatiques s'intensifient et un ancien président vietnamien se rendra même au Vatican pour son cardinalat en 2014. Près de dix ans plus tard, en juillet 2023, le pape François reçoit le président de la République socialiste du Vietnam, Vo Van Thuong, au Vatican. Hanoï et Rome annoncent alors officiellement la conclusion d’un « Accord sur le statut du représentant papal résident » et sur son bureau au Vietnam. Cette étape est saluée comme un pas en avant, bien que les relations diplomatiques ne soient pas encore pleinement normalisées.
Même si le régime demeure ambigu sur la liberté religieuse et que des conflits entre l’Église et l’État persistent notamment sur la propriété de certains terrains, le catholicisme vietnamien a retrouvé une certaine visibilité et une vigueur qui s’exprime notamment par de nombreuses vocations religieuses et sacerdotales. En tant que sous-secrétaire, Mgr Parolin se rend également en République populaire de Chine et contribue à l’élaboration de la Lettre aux catholiques chinois publiée en 2007. Ce document constitue l’un des actes forts du pontificat de Benoît XVI en direction du géant asiatique, mais la tonalité de ce texte a été vivement critiquée par le cardinal Zen, alors évêque de Hong Kong, qui lui reproche une approche trop conciliante vis-à-vis de Pékin.
Le nonce face aux dérives du chavisme
La nomination de Mgr Parolin comme nonce apostolique au Venezuela, en 2009, est alors comprise par certains observateurs comme une façon de l’éloigner du Vatican, mais cette expérience s’avère essentielle pour permettre au discret prélat de prendre une envergure de médiateur. Consacré évêque par Benoît XVI en personne, il est envoyé à Caracas pour tenter d'œuvrer à l’unité d’une Église fracturée entre partisans du régime et opposants. Mgr Parolin exerce jusqu'en 2013 sa charge dans ce pays complexe, marqué par la dérive populiste et autoritaire du président Hugo Chavez, dont les relations avec l’épiscopat sont notoirement houleuses. Mgr Parolin, par sa finesse diplomatique, parvient à dissuader le président de constituer une Église nationale coupée de Rome. Le nonce marque les esprits aussi par son sens pastoral et relationnel, n’hésitant pas à visiter les paroisses les plus isolées jusque dans des zones de montagnes et de jungle.
C’est fort de ce succès qu’il est nommé secrétaire d’État le 31 août 2013, après plusieurs semaines durant lesquelles il avait été annoncé favori pour cette charge. S’exprimant dans la presse vénézuélienne, il dit alors sa joie de travailler pour le premier pape d’Amérique latine et dit vouloir œuvrer pour une “démocratisation” de l’Église. Absent lors de la cérémonie de départ du cardinal Bertone le 15 octobre suivant pour raison de santé, il prend finalement ses fonctions à la fin de l’année 2013, devenant à 59 ans le plus jeune “Premier ministre” du pape depuis un siècle.
Le secrétaire d’État et les réformes du pape François
Créé logiquement cardinal lors du premier consistoire du pape François, le 22 février 2014, il rejoint quelques mois plus tard le C9, le Conseil des cardinaux, au sein duquel il cherche à temporiser les ardeurs réformatrices du cardinal Pell, le préfet du secrétariat pour l'Économie. Il tentera notamment de préserver l’autonomie financière de la secrétairerie d’État, qui sera finalement perdue lors de l’arbitrage mené par le pape François en 2020, le contrôle des fonds étant alors transféré à l’APSA (Administration du Patrimoine du Siège Apostolique). L’affaire de ‘l’immeuble de Londres’, grand scandale financier du pontificat qui a amené à la condamnation de son ancien bras droit, le cardinal Angelo Becciu, l'aura beaucoup éprouvé.
Le cardinal Parolin assume néanmoins sa charge de coordination avec loyauté tout au long du pontificat, incarnant la continuité d’une Curie romaine souvent secouée par les décisions du pape François. Sur le plan doctrinal, il lui arrive de faire des clarifications quand, par exemple, des épiscopats surinterprètent l'approche pastorale mise en avant par le pape François. "Le chemin synodal [allemand] prend des décisions qui ne correspondent pas exactement à ce qu’est la doctrine actuelle de l’Église", déclare-t-il début 2023, suite à la volonté affichée des Allemands de transformer l'enseignement de l'Église sur le plan de la morale sexuelle et familiale. Après la vive polémique suscitée par la déclaration Fiducia supplicans autorisant une forme de bénédiction pour les couples de même sexe, le cardinal Parolin fait diplomatiquement savoir que des approfondissements seront nécessaires. Certains rapportent percevoir chez lui une gêne devant un texte qui générerait de la confusion et afficherait les désunions dans l'Église catholique.
Un cardinal globe-trotter
C’est bien sur la scène internationale que se déploie l'énergie du cardinal Parolin avec le plus de visibilité. Beaucoup plus mobile que ses prédécesseurs, le secrétaire d’État participe à de nombreuses réunions internationales, notamment la COP21 à Paris en 2015, la COP26 de Glasgow en 2021 ou bien la COP28 de Dubaï en 2023, ainsi que de nombreuses réunions de l’ONU ou de l’Unesco, et même les rencontres de Davos et la réunion du controversé groupe Bilderberg. Il renforce les positions du Saint-Siège auprès des organisations onusiennes en faisant du multilatéralisme un axe fondamental de la diplomatie pontificale.
Outre sa présence systématique dans les voyages du pape, le cardinal Parolin multiplie les déplacements dans des pays aussi variés que la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine, la Moldavie, le Cameroun, la Suisse, la Principauté de Monaco, ou encore la France à de très nombreuses reprises. Certains de ses voyages lui ont aussi permis de baliser le terrain avant un voyage papal : Irak, Madagascar, Émirats arabes unis, Singapour, Papouasie Nouvelle-Guinée…
Apprécié pour son sens relationnel et son sang-froid, le cardinal Parolin parvient à donner une visibilité remarquée au Saint-Siège dans les relations internationales. Il vient à la rescousse du pape François lorsque ce dernier manque de provoquer un incident diplomatique, comme ce jour de novembre 2023 où le pontife argentin avait déçu une délégation israélienne de proches d'otages et de victimes du Hamas à Gaza. Cependant, son faible charisme et sa quête du compromis diplomatique, jusqu’à sembler finalement trop lisse pour certaines, peuvent desservir son image. Le fait qu’il n’ait jamais dirigé de diocèse, et sa santé fragile, constituent également des critères discriminants en cas de conclave, même si, à 70 ans, il demeure dans la force de l'âge.
Filiation avec Jean Paul Ier et le cardinal Silvestrini
Durant ses années de séminaire, Pietro Parolin a été marqué par la figure du cardinal Albino Luciani, patriarche de Venise de 1969 à 1978 avant son élection au Siège de Pierre sous le nom de Jean Paul Ier. Le pape François a donc logiquement nommé le cardinal Parolin à la tête de la Fondation instituée en 2020 pour honorer le souvenir de ce pape éphémère, qui ne régna que 33 jours, mais dont le “souvenir” et le “message” sont “extraordinairement actuels”, avait alors souligné le secrétaire d’État dans L’Osservatore Romano.
Une autre figure centrale ayant structuré la formation de Pietro Parolin durant ses années de formation à Rome est le cardinal Achille Silvestrini (1923-2019). Secrétaire pour les relations avec les États de 1979 à 1988, Mgr Silvestrini a accompagné l’Ostpolitik du cardinal Casaroli, une approche relativement conciliante vis-à-vis des régimes communistes, et qui semble en contradiction avec la critique systématique et prophétique du marxisme assumée par Jean-Paul II. Le cardinal Parolin revendique toutefois cette filiation, qu’il assume notamment dans son approche du Vietnam, de la Chine et de la Russie, avec des résultats contrastés.
Lors d’une conférence à la LUMSA, à Rome, en avril 2022, deux mois après le début de l'offensive russe en Ukraine, le cardinal Parolin a appelé à une nouvelle conférence d’Helsinki, en référence au sommet qui, en 1975, permit d’instituer une régulation des relations Est-Ouest, et lors duquel la diplomatie vaticane, sous la conduite de Mgr Casaroli, joua un rôle moteur. La proximité entre Mgr Parolin et le cardinal Silvestrini trouvera son expression dans la conduite de la Villa Nazareth, un collège de formation pour de jeunes étudiants boursiers, et dont sera notamment issu le juriste Giuseppe Conte, chef du gouvernement italien de 2018 à 2021.
Un serviteur loyal qui peut rassurer la Curie
Le parcours du cardinal Parolin depuis 2013 en fait l’une des figures clés du futur conclave, capable d’incarner une certaine continuité avec le pontificat du pape François mais aussi de rassurer la Curie romaine, quelque peu secouée par le pontife argentin, et dont le personnel aura besoin de tact et de diplomatie pour accepter les réformes. Personnalité centrale du pontificat du pape François, le cardinal Parolin est à la fois celui qui a redonné à la secrétairerie d’État une présence dynamique dans les relations internationales, notamment par ses très nombreux voyages, et celui qui aura accompagné l’effacement de cet organe autrefois doté d’une très large autonomie financière, et désormais réduit à un rôle de coordination entre dicastères.
Outre ces questions internes à la Curie, le point le plus controversé et inabouti de son action demeure son influence sur le “pari chinois” du pape François. L’accord provisoire de 2018 sur les nominations épiscopales, dont il est l’un des artisans, ne semble pas porter tous les fruits escomptés : le contrôle du régime apparaît s'être renforcé sur les communautés chrétiennes.
Début 2018, avant même la signature de cet accord, le cardinal Zen, évêque émérite de Hong Kong, attaque violemment le cardinal Parolin en le qualifiant “d’homme de peu de foi” insensible aux “souffrances” des fidèles chinois. Cette attaque, d’une violence rare au sein du Collège des cardinaux, n’est probablement pas sans effet sur la psychologie des cardinaux d’Europe centrale, marqués par l’expérience du communisme, et ceux venus des États-Unis, généralement réticents à toute ouverture vis-à-vis de la Chine. Une offensive sur Taïwan, une dégradation de la situation à Hong Kong ou une intensification de la répression des Églises en Chine continentale constituerait des échecs majeurs face aux efforts de conciliation menés par le cardinal Parolin vis-à-vis de Pékin, et rendrait plus difficile son élection au siège pétrinien.
Ces derniers mois, le cardinal Parolin a semblé prendre une distance prudente avec le pape François. Absent début septembre lors de la tournée du pape en Asie et en Océanie à la suite du décès de sa mère, et fin septembre lors de la visite du pape en Belgique et au Luxembourg en raison de sa présence à New York pour l'assemblée générale de l'ONU, il a en revanche participé à la visite du pape François en Corse le 15 décembre. Il a toutefois alors fait sentir qu'il avait été mis devant le fait accompli quant à l'organisation de ce voyage en France, une semaine après la consécration de Notre-Dame de Paris. Mais le fait qu'il ne soit plus considéré comme "un homme de François" pourrait lui permettre d'apparaître comme un papabile capable d'incarner une ligne plus prudente et rassurante pour des cardinaux en recherche de stabilité institutionnelle.
HANDOUT | AFP
En 2025, après plusieurs déplacements internationaux notamment en Norvège et au Burkina Faso, le cardinal Parolin se retrouve dans une position particulière durant l'hospitalisation du pontife argentin de 88 ans. Avec loyauté et discrétion, le secrétaire d'État assure une forme de "régence" sur le plan des relations internationales du Saint-Siège, notamment en recevant les présidents de la Lituanie, de la Pologne au Vatican, et en menant un échange téléphonique avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Il reçoit également, le 19 avril, le vice-président américain J.D. Vance, dans un contexte de vives tensions entre l'épiscopat américain et l'administration Trump. Se sachant scruté, il a veillé ces derniers mois, avant la disparition de François à ne pas se mettre trop en avant et a récusé toute atmosphère de pré-conclave en assurant que la guérison du pape est "la seule chose qui compte". Son homélie du 2 avril, lors de la messe célébrée pour le dixième anniversaire de la canonisation du Jean Paul II sera remarquée comme contribuant à lui donner l'image d'un homme assurant une logique de continuité entre les pontificats.
Le profil du cardinal Pietro Parolin
Date de naissance : 17 janvier 1955 Ordination : 27 avril 1980 Ordination épiscopale : 12 septembre 2009 Consistoire : 22 février 2014 Créé cardinal par : François Famille spirituelle : Diocésain Langues parlées : anglais, espagnol, français, italien Rang et paroisse : Cardinal-évêque de Santi Simone e Giuda Taddeo a Torre Angela Membre de la Curie : Oui Parle italien : Oui