Dynamique et charismatique, l'archevêque de Marseille, Jean-Marc Aveline, est devenu la figure majeure de l'Église en France durant le pontificat de François. Spécialiste du dialogue interreligieux, notamment avec l'islam et le judaïsme, il a longtemps enseigné dans ce domaine avant de devenir vicaire général, puis évêque auxiliaire et enfin archevêque de Marseille. Bergoglien dans le style et dans les thématiques qu'il porte, il a réussi son pari de faire venir le pape à Marseille en septembre 2023, à l’occasion des rencontres méditerranéennes. À Rome, où il vient deux fois par mois, le Français devenu cardinal en 2022 siège au dicastère pour les Évêques. Il a pu mettre en avant ses qualités de synthèse et de prudence lors du Synode sur la synodalité. Début avril, il est élu dès le premier tour à la tête de la conférence des évêques de France. Apprécié des médias, Jean-Marc Aveline est parfois cité parmi les cardinaux qui compteront dans le gouvernement de l'Église universelle même s'il ne maîtrise pas parfaitement la langue italienne.
Un pied-noir à Marseille
Jean-Marc Aveline est né en Algérie française à Sidi Bel Abbès en 1958. Sa famille, des pieds noirs originaires d’Andalousie, s’y est installée à la fin du XIXe siècle. Le prélat marseillais aime à rappeler qu’elle y était "venue fuir la famine et chercher du travail à une époque où les flux migratoires en Méditerranée allaient plutôt du Nord vers le Sud".
Lui-même ne connaîtra qu’à peine les "plateaux de terre brune au sud d’Oran" où s’enracinèrent les siens pendant près d’un demi-siècle : la guerre d’Algérie et les Accords d’Évian les poussèrent, comme tant d’autres, à prendre la fuite. Il se souvient de la violence de ce temps-là, des "balles perdues" qui brisaient les vitres de leur appartement familial. À quatre ans, il traverse la Mare Nostrum, laissant une histoire familiale "avec ses souvenirs heureux et ses cicatrices douloureuses" qui, pour sûr, le marquèrent radicalement.

Après quelques années passées à Paris, où son père, pourtant ébéniste, trouve un travail dans les chemins de fer, il rejoint Marseille. Là, Jean-Marc Aveline connaît une enfance heureuse dans les quartiers populaires de la cité phocéenne. Il réside dans les Quartiers Nord, à Saint-Barthélémy dans une cité HLM construite pour les agents de la SNCF. Ses parents sont croyants, son père bénévole au Secours catholique, un exemple qui l’a marqué.
Bon élève, il est admis au Lycée Victor Hugo, où il obtient un bac scientifique en 1975 avant d’intégrer le prestigieux Lycée Thiers en classes préparatoires. Math Sup’, Math Spé, il passe les concours, s’apprête à "cuber", mais lui revient alors une "petite chanson" qui lui trotte dans la tête depuis ses 8-9 ans : devenir prêtre.
Au début de l’été, il part en retraite pendant huit jours dans un monastère provençal où il prie en silence, une épreuve pour lui qui est d’un naturel plutôt joyeux. De retour à Marseille, il croise un prêtre qui lui demande à la cantonade quand est-ce qu’il rentre au séminaire. Sans vraiment réfléchir, le jeune homme répond "en septembre".
En septembre 1977, il intègre ainsi le séminaire d’Avignon, où il reste jusqu’en 1979. Il rejoint ensuite le séminaire des Carmes à Paris, où il étudie le grec et l’hébreu biblique. En 1984, il est ordonné prêtre, et poursuit pendant deux ans ses études. En 1986, il retourne enfin à Marseille. Professeur au séminaire puis vicaire dans une paroisse du centre-ville, il se voit confier la charge des vocations pour le diocèse en 1991.
En 1992, il crée l’Institut de sciences et de théologie des religions (ISTR), dont il restera le directeur jusqu’en 2002. On lui confie aussi les rênes de l’institution Saint-Jean et un cours à la faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon. En 2007, il est choisi pour devenir vicaire général de l’archidiocèse de Marseille.
C’est alors qu’il est appelé pour venir à Rome en tant que consulteur du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. "Le dialogue interreligieux n’était pas ma qualification ni mon goût. Mais la vie, souvent, nous éclaire longtemps après sur des cohérences qui nous avaient échappé… Cette expérience a changé ma vie", confiait-il à La Provence en 2019. En 2013, il est nommé par le pape François chez lui, à Marseille, évêque auxiliaire, afin de seconder Mgr Georges Pontier, élu quelques mois auparavant à la présidence de la Conférence des évêques de France.
Un pont entre la France et le pape François
Six ans plus tard, le pontife argentin lui confie la mission de succéder à Mgr Pontier qui part à la retraite. Vu comme un des évêques les plus "bergogliens" de l’Hexagone, il devient un des ponts privilégiés entre la France et Rome. C’est d'ailleurs vers lui que se tournent ses confrères français pour tenter de faire venir le pape François à Marseille.
Pour ce faire, Jean-Marc Aveline reprend le flambeau des Rencontres d’évêques de Méditerranée organisées en 2020 puis 2022 par les évêques italiens à Bari et Florence. Il accepte ainsi de les accueillir dans sa ville en 2023. Entre-temps, sans grande surprise, le pape le crée cardinal en 2022. Avec cette nouvelle légitimité, Jean-Marc Aveline poursuit son lobbying pour un voyage du pape à Marseille. Habile négociateur, il parvient à ses fins puisque le pontife décide de visiter la cité phocéenne non seulement pour la session de clôture des Rencontres méditerranéennes mais aussi pour une messe avec les catholiques français au Stade Vélodrome, élément du programme pour lequel il était réticent au départ. Ce déplacement reçoit une forte couverture médiatique et permet au pape François de déployer l'une des thématiques phares de son pontificat : l'accueil des migrants et l'attention aux périphéries. Le cardinal Jean-Marc Aveline marque les esprits par son dynamisme et sa capacité à incarner le visage d'une Église qui a encore quelque chose à proposer à la société française - la séquence du voyage du pape à Marseille intervient deux ans après la publication du rapport choc de la Ciase sur les abus commis en France par des prêtres.

Vers une dimension internationale ?
Même s’il se définissait encore en 2023 comme un "cardinal en rodage", Jean-Marc Aveline devient le plus romain des évêques français, étant obligé de venir tous les 15 jours au Vatican pour siéger au dicastère pour les Évêques, puissante institution chargée de nommer les évêques dans les pays de chrétienté historique. Ces allers-retours fréquents lui permettent d'entrevoir l'ambiance de la Curie romaine, cette administration lourde et complexe au service du pape et des diocèses du monde.
Choisi par le pape argentin pour participer au Synode sur la synodalité - vaste chantier censé rendre l'Église plus participative et moins cléricale -, l'archevêque de Marseille participe aux sessions d'octobre 2023 et 2024. Signe de la confiance qu'il inspire aux participants - surtout des évêques et cardinaux -, il est élu lors des deux sessions pour représenter l’Europe au sein de la commission chargée du document de synthèse. Il est aussi la plume de la "Lettre au Peuple de Dieu” diffusée par le synode lors de la première session. Ce texte à la tonalité très spirituelle et mariale est néanmoins critiqué par certains pour son approche très consensuelle. À la fin du Synode, en octobre dernier, il est élu par l'assemblée membre du Conseil ordinaire du secrétariat général du Synode.
Au sein du collège cardinalice, le cardinal Aveline est proche de quelques cardinaux "bergogliens", des pasteurs qui partagent notamment sa pensée sur la Méditerranée, comme les cardinaux Zuppi (Bologne), Lopez Romero (Rabat) et Omella (Barcelone). Il entretient par ailleurs une relation de confiance avec le cardinal français François-Xavier Bustillo. Le jeune évêque de Corse a d’ailleurs reçu l’ordination épiscopale des mains de l’archevêque de Marseille. Un autre évêque de Méditerranée le rejoint en 2024 dans le collège cardinalice : le franco-algérien Jean-Paul Vesco, archevêque d'Alger. À Rome, le cardinal Aveline distille par ailleurs l'idée d'un Synode sur la Méditerranée.
Un évêque préoccupé par l'unité
Sur le dossier des abus dans l’Église, le cardinal français s’est assez peu exprimé dans les médias. En novembre 2022, il doit réagir aux révélations du cardinal Ricard concernant des abus que ce dernier confie avoir commis 35 ans auparavant sur une personne mineure, alors qu’il était prêtre dans le diocèse de Marseille.
"Je partage avec vous le choc que cela peut représenter pour chacun d’entre nous, notamment ceux qui, comme moi, connaissent bien Jean-Pierre Ricard", écrit-il dans un communiqué. "Nous ne sommes ni des procureurs, ni des censeurs : la justice, tant civile que canonique, va suivre son cours", ajoute-t-il. Si le parquet de Marseille classe sans suite l'affaire pour prescription, Rome finit par suspendre de presque tout ministère public le cardinal Ricard. En tant qu’archevêque de la province dans laquelle résidait l'archevêque émérite de Bordeaux, c’est Jean-Marc Aveline qui a dû suivre le dossier.
Au dicastère pour les Évêques ou bien en tant qu’archevêque métropolitain de Marseille, Jean-Marc Aveline a aussi eu à gérer le délicat dossier du diocèse de Fréjus-Toulon quand, au printemps 2022, le Vatican décida d'y suspendre toutes les ordinations. Une manière radicale de sanctionner Mgr Dominique Rey, à qui il était reproché d'avoir accueilli trop largement et sans contrôle suffisant les prêtres et communautés religieuses dans le Var. Dans cette affaire, le cardinal Aveline veille à ne pas humilier l'évêque toulonnais à qui il reconnaît volontiers le zèle missionnaire. Il travaille en coulisse pour chercher une sortie de crise sans heurts. Un compromis est finalement trouvé avec la nomination à l'automne 2023 d'un évêque coadjuteur, Mgr François Touvet. L'épisode toulonnais illustre le style de gouvernance du cardinal Aveline. Sur les sujets sensibles, le Français recherche avant tout l’unité et la paix à travers le consensus. Jean-Marc Aveline est par ailleurs assistant ecclésiastique de la Communauté de l'Emmanuel, association de fidèles où est en cours une visite apostolique.
Un cardinal papabile ?
Après la mort du pape François, le 21 avril dernier, certains observateurs romains voient en lui une personnalité capable de succéder au pontife argentin, quand bien même sa maîtrise de l'italien apparaît limitée. Ces derniers jours, à Rome, le cardinal Aveline s’est fait extrêmement discret auprès des médias. Évitant les journalistes, il ne figure pas parmi les cardinaux qui arrivent entre 8 heures et 9 heures par l’entrée du Saint-Office et qui ont à traverser un flot de journalistes.
La semaine dernière, lors d’une messe d’action de grâce pour le pontificat du pape François en l’église Saint-Louis-des-Français à Rome, il n’a pas caché le poids qui pèse sur tous les cardinaux tenus de trouver un successeur à François.
"La tâche qui nous incombe ces jours-ci nous dépasse", confiait-il à la toute fin de la messe en demandant aux fidèles de prier pour les cardinaux. "Que l’Esprit Saint nous aide à être dociles, courageux, fidèles et disponibles", ajoutait-il, disant espérer que les cardinaux sauront s’inscrire dans la filiation du Concile Vatican II et assumer l’héritage des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean Paul Ier, Jean Paul II, Benoît XVI et François.
Le profil du cardinal Jean-Marc Aveline
Ordination: 03 novembre 1984
Ordination épiscopale: 26 janvier 2014
Consistoire: 27 août 2022
Créé cardinal par: François
Famille spirituelle: Diocésain
Langues parlées: français, italien
Rang et paroisse: Cardinal-prêtre de Santa Maria ai Monti
Distance de Rome: 600 km
Membre de la Curie: Non
Parle italien: Non