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Laetitia face à la schizophrénie de son fils : “L’espérance se trouve dans la dépossession”

Laetitia Forgeot d'Arc
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Anna Ashkova - publié le 02/05/25
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Depuis le diagnostic de schizophrénie posé pour son fils Cyprien, l’ex-directrice de RCF Alsace, Laetitia Forgeot d’Arc, mène un combat contre les préjugés qui entourent les troubles psychiatriques et s’investit activement dans la sensibilisation liée à ces maladies, notamment à travers son podcast “Gueules cachées”. Entretien.

PAPE LÉON XIV

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Laetitia Forgeot d’Arc est journaliste et productrice de podcasts, engagée dans la sensibilisation à la santé mentale. Elle est mariée depuis 25 ans et mère de quatre enfants, dont Cyprien, son fils aîné, aujourd’hui âgé de 24 ans. Sa vie de mère a basculé en 2022, lorsqu’un diagnostic de schizophrénie a été posé pour Cyprien. Choc, rupture intérieure… cette annonce a aussi marqué le début d’un chemin de combat et de transformation. Ancienne directrice de RCF Alsace, elle a opéré un virage professionnel et a lancé le podcast "Gueules cachées", une série documentaire où elle donne la parole à ceux qui vivent avec une maladie psychique. Elle intervient aujourd’hui régulièrement sur les questions de santé mentale, notamment auprès des jeunes. En 2025, alors que la santé mentale est déclarée grande cause nationale et que l’Église célèbre l’année jubilaire de l’Espérance, Laetitia Forgeot d’Arc incarne ce double engagement : donner la voix à ceux qu’on n’entend pas, et rappeler que l’espérance surgit aussi au cœur de l’épreuve. Rencontre. 

Aleteia : Vous doutiez-vous que Cyprien souffrait d’une maladie psychique ?
Laetitia Forgeot d’Arc : Je n’avais aucune idée de ce que c’était, pourtant j’ai grandi avec un frère atteint de trisomie 21. Je connaissais le handicap, mais la maladie psychique, c’était pour moi quelque chose liée à une dépression, même si un de mes frères est pédopsychiatre. Cyprien est un garçon solaire, intelligent, doué pour beaucoup de choses. Il a toujours été rétif à l’autorité ou au cadre scolaire, comme beaucoup d’enfants, donc je ne voyais pas de signes de la maladie. Et puis courant décembre 2018, il y a eu une crise délirante aiguë, où nous avons vu notre fils perdre les pédales, avoir des gestes désordonnés. C’est un choc ! Nous avons dû l’amener dans un hôpital psychiatrique. Entre 2018 et 2022, il a fallu comprendre ce que c’était. 

Savez-vous d'où vient sa maladie ?
On peut toujours relire et refaire l’histoire. Je me suis formée avec un programme de psychoéducation pour comprendre sa maladie. Avec le recul, il y avait des terrains, mais tous ne mènent pas à la maladie. Dans son enfance il y a eu un élément fort : une agression sexuelle subie à l’âge de cinq ans. 

Certains éléments déclencheurs de la schizophrénie sont connus. Le premier est le stress. C’est d’ailleurs pour ça que la maladie éclate entre 18 et 25 ans, c’est la période des examens et des questionnements sur l'avenir. Le second est le cannabis. Cyprien cochait les deux cases. Lors de notre déménagement à Strasbourg, il a dû s’adapter à une nouvelle vie car jusqu’ici il était à l'internat et puis en décembre 2018, il y a eu l’attentat. C’était redoutable, nous vivions en plein centre-ville. Je pense que cela a joué. Mais on ne pourra jamais dire avec certitude ce qui a réellement déclenché sa maladie. 

Votre vie de mère a basculé le 24 février 2022, lorsque Cyprien a reçu le diagnostic de schizophrénie. Vous dites être passée juste après devant une fresque de la Crucifixion en vous disant que, comme Marie, vous voilà aussi au pied de la Croix. 
Quand on baigne dans la foi, la figure de Marie est importante. Durant la Passion du Christ, elle incarne la souffrance spécifique d’une mère. Elle est passée de la crèche à la croix. Voir la Passion sous l’angle de Marie, cela me touche forcément. Ce n’est pas du dolorisme, c’est voir la posture de cette femme : elle se tient là, elle ne va pas s’anéantir, décrocher son fils, elle va consentir. On peut avoir l’impression d’être soi-même déchiqueté. J’ai éprouvé cela à certains moments. Et aussi de trouver cette paix qui tient au consentement. C’est comme le Stabat Mater, c’est se tenir là, si possible, debout. C’est le seul moyen de parvenir à l’espérance.

Comment avez-vous vécu et vivez ce temps en couple ?
On ne souffre pas pareil. Cela peut être compliqué parfois. Il y a des aptitudes chez mon époux qui m’ont mise parfois en colère. Il me proposait de prendre du temps à deux pour respirer, pendant que moi je pleurais et me demandais comment peut-on continuer à vivre ? Il faut du temps pour voir qu’être complémentaire est une richesse. Heureusement qu’on est deux. Vivre cela seule, c’est tragique. Thierry passe du temps avec Cyprien, il fait des choses que je ne peux pas faire comme jouer à la play avec lui, d’ailleurs je n’aime pas ça. Il fait aussi des courses avec lui et dort parfois chez lui. On est ultra complémentaires ! 

Laetitia Forgeot d'Arc

Et qu’en est-il de vos filles ? 
Elles sont marquées à vie par ce qui s’est passé et ce qui continue de se passer. Dans leur histoire familiale, elles ont été percutées par ce qui est arrivé à leur frère et à nous tous. Dans toutes les familles, lorsqu’il y a un drame, un deuil ou un handicap, tout le monde est impacté. Ce qui est particulier avec une maladie psychique, c’est que lorsqu’elle éclate, elle touche l’intrafamilial. Il y a un tabou, c’est très difficile d’en parler à l’extérieur. C’est difficile de voir son frère changer, d’autant qu’il n’y a rien de visible. Il faut trouver des façons de permettre la libération de la parole pour exprimer ses émotions comme la tristesse ou la peur. Nous avons eu recours à une thérapie familiale pour en parler. Chacun va souffrir à sa façon. Cela demande beaucoup de souplesse.

Nous ne sommes pas vraiment un cocon soudé, chez nous c’est complètement folklorique, mais il y a beaucoup d’amour. 

Nous vivons avec un jeune dont on espère le rétablissement. Cela oblige à vivre le présent, à profiter des moments. Pour nos enfants, c’est pareil : ils savent que ça peut être long. Ils se recentrent sur leurs propres besoins. Pauline, 22 ans, est étudiante en psychologie à Brest. Ce choix d’étude n’est bien sûr pas étranger à notre histoire de famille mais elle avait déjà cette disposition-là : l’intérêt pour l’autre, la recherche du soin. Domitille, 20 ans, est en études de droit et philosophie à Paris. Et Alice, 16 ans, est en classe de seconde. Notre famille va bien. Nous ne sommes pas vraiment un cocon soudé, chez nous c’est complètement folklorique, mais il y a beaucoup d’amour. 

Comment va Cyprien aujourd’hui ?
Il approche de ce qu’on peut appeler un rétablissement. C’est un mot qui recouvre beaucoup de réalités. Il est à l’étape : "J’ai ça, je peux le nommer." Cela permet de se dire : "Qui peut m’aider pour aller plus loin ?" Il s’est remis à composer de la musique. Le traitement médical prend du temps, il est en phase de stabilisation. 

Où puisez-vous des forces ? 
Avec Thierry, on fait partie de la Fraternité ignatienne, autour du jésuite Christophe Théobald. Grâce à lui et à beaucoup d’autres laïcs formés, on se retrouve durant l’Avent et Pâques pour partager la Parole. Cela se traduit chez nous par un groupe de partage autour de textes d’Évangile. C’est un ancrage très important pour nous. Au quotidien, c’est la prière du Notre Père qui m’aide. Chaque phrase a quelque chose d’extrêmement intime, qui nous est offert, à nous, intérieurement. Le Seigneur nous dit : "Je suis au Cieux", "Je suis sanctifié…". Chaque phrase, dans le secret, s’adresse à moi. C’est un véritable parcours pour la journée. 

La maladie de votre fils, vous en avez fait votre combat personnel. Est-ce pour cela que vous avez décidé de créer le podcast "Gueules cachées" ?
Oui et non. J’avais déjà en tête, même avant d’arriver à Strasbourg, de ne pas rester à la radio. J’avais un poste de direction qui m'éloignait du métier de journaliste. J’avais prévu de me former au podcast et la maladie de Cyprien a précipité les choses. C’est devenu ultra compliqué d’être à la fois présente pour la famille et pour la radio. J’ai suivi une formation sur les maladies psychotiques. J’écrivais aussi des chroniques pour la Fondation Falret sur les maladies psychiques. En cherchant un peu, je suis tombée exclusivement sur des podcasts où un soignant expliquait ce qu’est telle ou telle maladie. Mais, il y avait peu de podcasts où les personnes parlaient et racontaient ce qu’elles vivaient. Je trouvais ça dommage. Et un jour, Cyprien m’a expliqué ce qui se passait en lui. Je lui ai demandé de l’enregistrer et c’est comme ça que le premier épisode est apparu. La suite s’est faite tout naturellement, les gens me contactaient directement. 

Cette année 2025, la santé mentale est érigée en grande Cause Nationale, qu'espérez-vous changer dans la perception de la société sur la maladie mentale ?
En 2025, on commence à lever cette chape de plomb qui pèse sur les maladies psychiques, cette espèce de tabou. Le fait d’en parler est une très bonne chose. Mais le risque que je vois, c’est qu’on parle de santé mentale de manière cosmétique. L’idée, c’est de donner à voir et à entendre ceux dont la santé mentale est vraiment altérée. Et de faire comprendre qu’on est tous concernés. Il faut déstigmatiser, sensibiliser, surtout les jeunes. J’espère que le travail va se faire avec les bonnes personnes. Je suis aussi agréablement surprise par le fait que des personnes connues s’expriment sur leur maladie, comme récemment le journaliste Nicolas Demorand qui a révélé être bipolaire. Cela va changer le regard.

C’est aussi l’année jubilaire dans l’Église catholique, placée sous le signe de l’espérance. 
L’espérance, avant ce mot, me faisait grimper au rideau. Et puis, j’ai compris que le vrai écueil, c’est de croire que l’espérance vient de nous, qu’en se démenant, on pourrait infléchir le cours des choses. Mais en réalité, elle ne se trouve pas là. Elle se trouve dans la dépossession. Bien sûr, j’ai lu beaucoup de textes à ce sujet, de saint Paul, de Bernanos, mais celui qui m’a le plus marquée est d’une prof de fac, Corine Pelluchon, dans L'espérance ou la traversée de l'impossible. Elle dit que l'espérance "apparaît quand on ne l'attend plus et naît quand on a fait l'expérience du néant. (...) elle est ce dont notre âme a faim et dont l'absence rend amer et violent." Une autre phrase de son ouvrage me touche également : "On ne va pas à l'espérance comme un soldat va à la guerre ; elle ne naît pas d'un discours édifiant ou d'un acte de volonté. Elle se lève comme l'aube quand l'individu abandonne tout...." C’est aussi comme ça que je perçois les choses : ce n’est pas "ça va aller", c’est "fais ce que tu as à faire, et l’espérance te sera donnée".

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