À l’approche du conclave le 7 mai, Aleteia propose chaque jour le portrait de l’un des cardinaux électeurs dont la voix devrait compter. Depuis l’attaque du Hamas en octobre 2023, le cardinal Pierbattista Pizzaballa, 60 ans, patriarche latin de Jérusalem, s’impose comme un acteur clef au cœur d’une Terre Sainte en guerre. Franciscain italien, fin connaisseur de la région, il conjugue des qualités diplomatiques, de direction et de pastorale.
PAPE LÉON XIV
Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter quotidienne.
Malgré sa jeunesse parmi les cardinaux, Pierbattista Pizzaballa est devenu une personnalité de poids dans le collège cardinalice. Patriarche latin de Jérusalem créé cardinal en septembre 2023, l'Italien voit la Terre sainte s'embraser quelques jours plus tard avec l'attaque le 7 octobre du Hamas contre Israël. Déjà reconnu pour ses qualités de bon administrateur, il prend une nouvelle dimension avec ce conflit durant lequel il apparaît comme un acteur de paix.
Né en 1965 à Bergame, au nord de l’Italie, Pierbattista Pizzaballa est le troisième d’une fratrie de trois enfants. Son père travaille dans une aciérie de Milan et sa mère s’occupe de la maison où l’on parle le dialecte bergamasco. Il entre au petit séminaire de Rimini à l’âge de 11 ans. Huit ans plus tard, il pousse la porte de l’Ordre des Frères mineurs franciscains. Ordonné en 1990 à Bologne, il part ensuite pour la Terre sainte où il arrive un 7 octobre 1990. Professeur d’hébreu biblique à la Faculté franciscaine de sciences bibliques et archéologiques de Jérusalem, il a encadré la traduction en hébreu du missel romain en 1995. Il est surtout passé par l’Université hébraïque de Jérusalem pour étudier la bible dans un environnement totalement laïc et juif. "Il était le seul chrétien du département hébraïque de l’université. Il a dû répondre du Christ devant des juifs orthodoxes qui ne savaient rien de Jésus", confie un proche du patriarche, considérant cette période de la vie du cardinal comme fondatrice.
En 2004, il est élu custode de Terre sainte – la province franciscaine locale –, et réélu au même poste en 2010 et 2013. De 2005 à 2008, il est aussi vicaire du Patriarcat de Jérusalem, pour la pastorale des catholiques de langue hébraïque en Israël. Durant ces années en tant que responsable de la custodie, il voyage au Liban, en Jordanie, en Égypte ou bien à Chypre et à Rhodes. En Israël et en Palestine, où les chrétiens sont essentiellement arabes, le Franciscain apprend à manœuvrer et à faire respecter les droits des communautés chrétiennes, minoritaires. En 2014, quatre ans après avoir accueilli le pape Benoît XVI, il est de nouveau l’une des chevilles ouvrières du voyage du pape François en Terre sainte. Le frère Pizzaballa avait connu le pape argentin avant son élection en 2013. Leur première rencontre remonte à 2009, année durant laquelle le custode avait visité une communauté franciscaine installée à Buenos Aires, siège du cardinal Bergoglio.
Rappelé par le pape François en Terre sainte
En 2016, il doit laisser sa charge de custode après avoir épuisé le nombre de mandats possibles. Il quitte la Terre sainte le cœur lourd et rêve de pouvoir entrer dans un monastère contemplatif pour pouvoir prier et écrire. Mais quelques jours après son départ, il est nommé administrateur apostolique du patriarcat latin de Jérusalem. Le pape l’élève au rang d’évêque mais laisse formellement le patriarcat vacant après le départ du patriarche Fouad Twal. L’évêque italien a notamment pour mission de réorganiser une charge dont la mauvaise gestion avait entraîné de graves problèmes financiers – une tâche à laquelle il s’est attelé malgré un certain nombre de résistances internes. Certaines sources parlent à l’époque d’une dette de 120 millions de dollars à combler. "Son cardinalat en 2023 sera une marque de reconnaissance du pape François pour quelqu’un qui a accepté de faire le boulot que personne ne voulait faire", estime une source romaine, qui souligne les qualités de bon gestionnaire de l’Italien.
Le cardinal Pierbattista Pizzaballa.
GIL COHEN-MAGEN | AFP
En 2020, le pape lui confie officiellement et formellement le patriarcat de Jérusalem, lui conférant le pallium lors d’une messe célébrée à la Maison Sainte-Marthe. Ce choix d’un Italien est critiqué par certains, quelques voix regrettant que Rome ne nomme pas un patriarche originaire de la région. Jean Paul II avait en 1987 choisi Michel Sabbah, premier Arabe palestinien à porter le titre de patriarche latin de Jérusalem, et perçu par Israël comme un acteur engagé dans le soutien aux forces politiques palestiniennes. Ce dernier avait été remplacé en 2008 par le Jordanien Fouad Twal, nommé par Benoît XVI. La juridiction du patriarcat latin de Jérusalem s’étend aux catholiques latins vivant en Israël, dans les Territoires palestiniens, en Jordanie et à Chypre. Pierbattista Pizzaballa est aussi élu en 2020 président de la Conférence des évêques latins des régions arabes (Celra).
"J’ai vécu toute ma vie à Jérusalem"
Même si le cardinal n’est pas originaire de la région, celui qui est aussi devenu en 2020 Grand Prieur de l’Ordre du Saint-Sépulcre professe son attachement profond pour la Ville Sainte. "J’ai vécu toute ma vie à Jérusalem, depuis que je suis devenu prêtre en 1990", confiait-il dans un entretien. "Ici j’habite parce que je l’ai désiré", comme le dit le Psaume. […] C’est (Dieu) qui m’a conduit ici et Il décidera de la suite". Durant ses décennies en Terre sainte, l’homme au tempérament parfois froid se fait reconnaître pour ses compétences diplomatiques, entretenant des relations avec les autorités israéliennes et palestiniennes. "Ici, nous sommes amis avec tout le monde, témoigne-t-il, parce que […] nous n’avons aucun pouvoir". Les chrétiens représentent en effet moins de 2% de la population.
Le patriarche voit Jérusalem comme "un laboratoire précieux" où le dialogue interreligieux et œcuménique n’est pas abstrait mais "toujours une réalité concrète". "Dans nos communautés chrétiennes, les catholiques et les orthodoxes se croisent sans barrière. Il y a des chrétiens orthodoxes qui viennent à la messe dans nos paroisses latines, et vice versa. […] Les gens sont en avance sur notre statu quo", rappelle-t-il souvent. Pour lui, l’Église de l’avenir pourrait être comme celle de son patriarcat, "une Église avec moins de pouvoir, moins de structures, moins de personnes". En ce sens, le cardinal n'hésite pas à prendre des décisions pastorales courageuses, comme l’ouverture des tribunaux ecclésiastiques aux avocats non catholiques, brisant le monopole d’un petit groupe aux tarifs élevés, afin de soulager les fidèles.
Un cardinal plongé dans la guerre
En octobre 2023, à peine quelques jours après avoir été créé cardinal, il doit rentrer de toute urgence en Terre sainte. Le Hamas vient de déclencher une attaque terroriste massive sur Israël. Le patriarche trouve "un pays effrayé" et "tant de colère et tant d'attente d’une parole de conseil, de réconfort et aussi de clarté sur ce qui se passe". Le cardinal, qui avait alerté à plusieurs reprises sur le feu qui couvait sous les braises, s’inquiétant de la situation des Palestiniens, dit craindre "que ce ne soit une guerre très longue". Répondant à la question d'un journaliste sur la situation des otages israéliens détenus à Gaza, il s'offre spontanément en échange des enfants retenus par le Hamas. En mai 2024, Pierbattista Pizzaballa entre enfin à Gaza pour passer quatre jours auprès de la petite communauté chrétienne épuisée par sept mois de frappes et d'incursions israéliennes.
FILIPPO MONTEFORTE | AFP
Véritable émissaire du pape François pour la région, le cardinal italien l'informe de la situation humanitaire désastreuse ainsi que de la complexité diplomatique du conflit. Il veille à protéger l'unité des Églises chrétiennes en Terre sainte dont le poids diminue avec les crises. Mais il n'hésite pas non plus à garder sa liberté de parole, condamnant par exemple clairement la barbarie du Hamas quand d'autres responsables chrétiens arabes rechignent à le faire. Un an après le 7 octobre, il décrit dans Vatican News deux sociétés traumatisées par la guerre : "La société israélienne a vécu le 7 octobre comme une petite Shoah. Et pour la société palestinienne, la guerre à Gaza est une nouvelle Nakba."
L'homme à la personnalité grave assume la solitude dans laquelle il se trouve en tant que chef des catholiques de Terre sainte. "La solitude vous permet d'être libre", explique celui dont le charisme impressionne bon nombre de personnes à la Curie romaine. Malgré sa jeunesse, il est devenu une personnalité en vue dans le collège cardinalice. Souvent cité comme un papabile, l’Italien est à la fois un pasteur, un homme d’appareil et un administrateur qui sait se faire respecter, quitte à apparaître parfois cassant auprès de ses collaborateurs. À Jérusalem depuis plus de 35 ans, Pierbattista Pizzaballa jouit en outre d’un réseau mondial et d’une exposition évidente, la Terre sainte étant le lieu vers lequel convergent les regards de toute la chrétienté.
Le profil de Pierbattista Pizzaballa
Date de naissance: 21 avril 1965 Ordination: 15 septembre 1990 Ordination épiscopale: 10 septembre 2016 Consistoire: 30 septembre 2023 Créé cardinal par: François Famille spirituelle: Franciscain Langues parlées: anglais, hébreu, italien Rang et paroisse: Cardinal-prêtre de Sant’Onofrio Distance de Rome: 2.300 km Membre de la Curie: Non