L’instant fut fugace, discret et efficace. Le moment fut immortalisé par une photographie qui restera dans l’histoire. En marge des funérailles du pape François le 26 avril, la rencontre impromptue des présidents ukrainien et américain marque un moment fort de la diplomatie vaticane.
Il faut regarder la séquence en entier pour en mesurer le succès et l’intensité diplomatiques. Après avoir rendu hommage au pape et s’être inclinés devant son cercueil, à quelques mètres de celui-ci, Donald Trump, Volodymyr Zelensky et Emmanuel Macron conversent. Deux prélats les encadrent discrètement quand, au même moment, des officiels du Saint-Siège se dirigent vers trois chaises installées dans la basilique. L’une est promptement subtilisée et placée le long du mur, pour ne laisser que deux chaises, face à face, sur lesquelles s’assoient Donald Trump et Volodymyr Zelensky. Un geste furtif et discret pour installer des chaises et les arranger afin de recevoir une réunion au sommet. Les deux hommes peuvent échanger, sur la guerre et la paix et sur la suite des négociations. Quelques minutes d’échange, un moment historique enchâssé dans un autre moment historique, celui des funérailles du Pape.
Il a fallu beaucoup de persuasion pour organiser cette rencontre, beaucoup de tact aussi pour organiser le placement des chaises, dans un face-à-face qui permet l’égalité des intervenants, contrairement à la réunion à la Maison-Blanche où Trump et Zelensky étaient côte à côte. Le temps d’un échange, Rome fut de nouveau le centre du monde diplomatique, et cette rencontre romaine tant souhaitée et espérée par François a finalement eu lieu, le jour de ses obsèques.
Les funérailles pontificales, un moment diplomatique
Aux funérailles de François, plus de 150 délégations étaient présentes, des chefs d’État, des rois et des princes, des chefs de gouvernement, pour un moment religieux qui fut aussi un moment diplomatique, entre la colonnade du Bernin.
Le fait que ces funérailles soient retransmises dans le monde entier et abondamment commentées à la télévision témoigne de l’aura de l’Église catholique et du pape, y compris hors du monde occidental et chrétien.
C’est à partir de Jean Paul II que des dirigeants du monde entier assistèrent aux funérailles du Pape. Avant lui, celles-ci se déroulaient en présence des cardinaux et du clergé romain, avec des ambassadeurs accrédités près le Saint-Siège, mais sans chefs de gouvernement. Jusqu’à Jean XXIII, les funérailles se déroulent à l’intérieur de la basilique Saint-Pierre. C’est à partir de Paul VI (1978) qu’elles se tiennent sur le parvis de la basilique, à la fois pour accueillir une foule de plus en plus nombreuse, mais aussi pour installer plus facilement la télévision et ainsi retransmettre les images des funérailles dans le monde entier. En 2005, en raison de son aura diplomatique et de son rôle historique, nombreux sont les chefs d’État à se rendre aux obsèques de Jean Paul II, pour un moment qui reste unique dans l’histoire de l’Église. On a ainsi vu trois présidents américains s’incliner ensemble devant son cercueil, les Bush père et fils et Bill Clinton, et le président syrien Bachar al-Assad serrer la main du président israélien.
Lors des funérailles de François, si Joe Biden était présent, il n’a pas côtoyé Donald Trump et Israël a seulement envoyé son ambassadeur. Mais de nombreux dignitaires religieux firent le déplacement, dont le patriarche de Constantinople et le recteur de la mosquée du Caire al-Azhar, en souvenir du voyage historique effectué par François en Égypte. Le fait que ces funérailles soient retransmises dans le monde entier et abondamment commentées à la télévision témoigne de l’aura de l’Église catholique et du pape, y compris hors du monde occidental et chrétien.
Rome, capitale de la chrétienté
En 1870, les troupes du roi d’Italie envahirent Rome. Le pape fut chassé du palais du Quirinal, où il logeait, contraint de se réfugier au Vatican. Le mouvement d’unification italienne, le Risorgimento, mouvement anticlérical conduit par des francs-maçons assumés, espérait effacer l’Église catholique et faire disparaître la papauté dans l’Italie nouvelle.
En 1911, ils inaugurèrent un monument à l’unité italienne, "l’autel de la Patrie", que les Romains surnomment « la machine à écrire », vaste monument de marbre blanc à la gloire de la nouvelle Italie, placé dans l’axe du forum et du Vatican afin de bloquer la vue vers Saint-Pierre. Puisque de toutes les collines de Rome se voit la basilique Saint-Pierre, il fallait qu’un nouveau monument capte la vue, à la gloire de l’Italie des Savoie. Une dynastie qui sombra dans les affres de la Seconde Guerre mondiale, coupable de ne pas avoir empêché la venue du fascisme. 110 ans plus tard, cette Italie a disparu et celle des papes, que beaucoup voulait faire disparaître, est toujours là, acclamée par le peuple de Rome. Dans son périple vers Sainte-Marie-Majeure, le cercueil du pape François est passé devant le Vittoriano, place de Venise, comme il est passé aussi devant le Colisée, bâtiment symbole de la persécution des chrétiens sous l’Antiquité. Ni l’Empire romain, ni l’Italie nouvelle ne parvinrent à faire disparaître l’Église et c’est finalement le pape défunt qui est aujourd'hui ovationné par les citoyens de Rome. Symbole de la victoire de l’Église sur de nombreux adversaires et de sa capacité à demeurer à travers toutes les tempêtes, tout au long de ses deux millénaires d’histoire.
