Élu au début du mois d’avril à la tête de la conférence des évêques de France (CEF), le cardinal Jean-Marc Aveline est devenu en quelques années la grande figure de l’Église catholique en France. Depuis 2022, l’archevêque de Marseille gagne en notoriété à Rome, où sa bonhomie et sa stature intellectuelle et théologique sont appréciées. Parfois cité comme papabile, le cardinal français pourrait toutefois pâtir de ne pas maîtriser correctement la langue italienne.PAPE LÉON XIV
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« Une inquiétude familiale ». Dans la salle de presse du Saint-Siège, ce 20 février 2025, le cardinal Jean-Marc Aveline est venu présenter l’initiative « Med25 ». Le projet consiste à faire naviguer durant 8 mois 200 jeunes sur un bateau reliant toutes les rives de la Méditerranée. Sur le thème de la Mare Nostrum et du dialogue entre les peuples, le cardinal natif d’Algérie est intarissable. Mais ce jour-là, au Vatican, les nombreux journalistes présents sont surtout venus entendre le Français sur une autre actualité. Et pour cause : le pape François a été hospitalisé quelques jours plus tôt. À la fin de la conférence, presque toutes les questions portent fatalement sur la santé du pape et la suite du pontificat. « Il y a de l’inquiétude, c’est normal, c’est comme quelqu’un de la famille », confie le cardinal Aveline, sans se défausser devant la presse internationale. Le ton grave, l’archevêque de Marseille parvient tout de même à faire sourire l’auditoire. « Le pape fait partie de ces gens [qui], si l’on veut vraiment qu’ils se reposent, il faut [les] hospitaliser », glisse-t-il aux vaticanistes qui l’ont pour la plupart connu lors du voyage du pape François dans la Cité phocéenne, en septembre 2023.
« Ce voyage de François en France a braqué les projecteurs sur lui », se souvient un vaticaniste américain, alors embarqué dans l’avion du pape François. Pour lui, le cardinal Aveline est devenu peu à peu une personnalité à suivre dans l’Église. « Il a un tel curriculum qu’il est naturellement identifié comme un cardinal qui partage les mêmes valeurs que le pape François : l’Algérie, le dialogue interreligieux, les priorités pour les réfugiés », poursuit ce spécialiste de l’Église catholique. « Sa personnalité affable peut faire de lui un faiseur de ponts, c’est un bon visage public pour l’Église catholique », juge-t-il. Né à Sidi Bel Abbès en 1958, Jean-Marc Aveline a connu son ascension au sein de l’Église catholique sous le pontificat de François. Nommé évêque auxiliaire de Marseille en 2013 par le pape argentin, ce dernier l’a choisi pour succéder à Mgr Georges Pontier à la tête de l’archidiocèse phocéen en 2019. Trois ans plus tard, François lui a remis la barrette cardinalice. « On a senti qu’il y a eu une montée en puissance entre les rencontres méditerranéennes des évêques à Bari, en 2020 et à Florence en 2022 : il n’était pas encore cardinal, mais il a gagné en visibilité », confirme une source vaticane.
Un cardinal français scruté
« C’est un homme ouvert au monde, aux problèmes de la Méditerranée, avec une approche familiale des choses », souligne le père Antonio Pelayo, journaliste et conseiller ecclésiastique à l’ambassade d’Espagne près le Saint-Siège. « Il échappe ainsi à l’image qu’on se fait des cardinaux français », considère-t-il. Pour un ambassadeur en poste à Rome, le fait d’être Français ne jouerait pas en faveur du cardinal. « La France est encore rattachée à la Ciase », évoque-t-il, rappelant que la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église en France a suscité des crispations à Rome. Il nuance toutefois : « Le cardinal Aveline, paradoxalement, ne s’est pas beaucoup exprimé sur cette question ».
Un prêtre, bon observateur du microcosme romain, relève qu’au moment de son cardinalat, Jean-Marc Aveline a suscité de l’intérêt bien au-delà du monde francophone. « Lors de la prise de possession de sa paroisse romaine en 2023, il y avait beaucoup de monde, et notamment de nombreux vaticanistes. C’est la preuve que son profil est scruté », analyse-t-il. Ces dernières semaines, à Rome, la nouvelle de la très forte augmentation des baptêmes d’adultes en France n’est par ailleurs pas passée inaperçue.
À Rome tous les 15 jours
Depuis 2022, le cardinal Aveline siège au dicastère pour les Évêques, un département stratégique au Vatican qui sélectionne les évêques dans les pays de chrétienté historique, notamment en Europe. « Cette nomination montre que François voyait en lui un pasteur, et que le pape souhaitait que son mode de gouvernance se répande », analyse le vaticaniste américain précédemment cité.
Cette mission romaine oblige Jean-Marc Aveline à se rendre deux fois par mois au Vatican. Il réside alors dans un petit appartement du séminaire français de Rome situé à deux pas du Panthéon. Dans la Cité éternelle, le prélat français sait rester discret et maintenir une grande distance avec la presse. « Il a développé de bons contacts avec le pape et le Vatican, en s’appuyant sur l’appareil de communication du Saint-Siège et en restant prudent vis-à-vis des autres médias », confirme une source romaine.
À Rome, outre le dicastère pour les Évêques, le cardinal Aveline est aussi membre du dicastère pour le Dialogue interreligieux, sa véritable expertise. « On l’a pressenti pour remplacer Ayuso Guixot », confie Antonio Pelayo, évoquant la mort de l’ancien préfet de ce dicastère en novembre dernier. « Il aurait été un très bon préfet », assure-t-il, soulignant l’expérience du cardinal français dans « une ville cosmopolite et multiethnique comme Marseille ».
Rassembleur durant le Synode
Ces derniers mois, Jean-Marc Aveline s’est aussi illustré durant le Synode sur la synodalité, cette assemblée d’évêques et de laïcs rassemblés au Vatican en octobre 2023 et 2024 pour faire évoluer la gouvernance de l’Église catholique, la rendre moins cléricale et plus inclusive. Toujours discret à l’extérieur du Vatican, le Marseillais a joué un rôle actif dans ce processus. Lors des deux sessions d’octobre, il a été choisi par ses pairs européens pour superviser la rédaction du document final. Autre indicateur intéressant, il a été élu par la dernière assemblée d’octobre membre du Conseil ordinaire du secrétariat général du Synode et aura donc la tâche de participer à la préparation du prochain Synode.
« Il faut toujours surveiller ce qui se joue durant les élections dans l'Église catholique », glisse une source vaticane, qui confirme que l’attitude apaisante et constructive du cardinal Aveline durant le Synode a fait bonne impression. Pour un participant au Synode, « être doublement élu est un symbole fort : c’est comme si la confiance que lui portait le pape est aussi partagée par les membres du Synode, et désormais aussi par les évêques de France » - une allusion à la très confortable élection de Jean-Marc Aveline à la présidence de la conférence des évêques de France début avril.
Jean-Marc Aveline a pour lui une « histoire riche » qui le distingue d’autres cardinaux, poursuit le participant non européen. « Il est ancré dans une culture, une histoire, et pas seulement dans les structures ou le droit canonique. Il a une vision précieuse de l’Église en Méditerranée, une ecclésiologie du carrefour qui voit la diversité, la confluence comme une richesse plutôt que comme une menace », décrypte cette source.
Aveline parle-t-il bien Italien ?
« Je parlerai en français si vous le permettez. Si vous ne le permettez pas, c’est difficile que je fasse autre chose ». Dès le début de la conférence de presse du 20 février dernier, le cardinal Aveline a joué cartes sur table devant les journalistes de la presse internationale. Comme à son habitude à Rome, il s’est exprimé dans la langue de Molière et a gardé son casque pour la traduction en français.
« Le vrai problème d’Aveline, c’est l’italien. Il ne joue pas la comédie », estime une source diplomatique. « Il est un typique démocrate chrétien : il réussit toujours à trouver une médiation entre les extrêmes et pourrait être un bon candidat de médiation s’il devait y avoir une forte opposition entre deux courants… Mais le problème est qu’il ne parle pas italien », explique une vaticaniste italienne. Un autre de ses confrères anglo-saxon ajoute : « Il ne parle pas bien les langues étrangères en général ».
« Pour un français ou un espagnol ce n’est pas impossible de se mettre à l’italien », nuance le père Antonio Pelayo, tandis que d’autres se souviennent que le cardinal Aveline avait très correctement célébré la messe en italien lors de sa prise de possession de sa paroisse romaine. À l’époque, le cardinal Aveline avait confié avec humour n’en être « qu’à la leçon 13 de la méthode Assimil ». C’était il y a un peu moins de deux ans.
Dans l’entourage du cardinal, on murmure que Jean-Marc Aveline aime maîtriser parfaitement son langage, surtout lorsque sa parole est attendue et scrutée, d’où l’emploi quasi-systématique du français en public. « C’est quelqu’un qui contrôle sa parole. Elle n’est pas spontanée ou immédiate, mais elle est authentique. Il ne veut pas prendre part au buzz, à la polémique, il a horreur de ça », insiste une source romaine qui le connaît bien.
Dans ses activités aux dicastères pour les Évêques ou du Dialogue interreligieux, le cardinal français baigne dans la langue de Dante. Au Synode, Jean-Marc Aveline était certes à la table des francophones, mais pour assurer son rôle de superviseur des documents finaux, il a dû composer dans un contexte surtout italophone. « J'ai le souvenir qu’il a mis la main à la pâte. Il a dû se débrouiller dans un environnement qui n’était pas 100% francophone car les deux langues principales étaient l’italien et l’anglais », se souvient un observateur.
Sur la question de la langue, le Français peut aussi compter sur son bras droit à Marseille, le père Xavier Manzano, vicaire général et bon italophone. « Aveline sait où il va et il sait s'entourer », observe l‘ambassadeur qui souligne le rôle clé du père Manzano, notamment dans la réussite des Rencontres méditerranéennes de Marseille. Ces derniers jours, à Rome, quelques cardinaux se sont exprimés sur le critère de la maîtrise de la langue italienne pour être pape. « Le pape est l’évêque de Rome. Ce serait pas mal si l’évêque pouvait parler avec ces gens. Mais les langues s’apprennent aussi ! », confiait par exemple le cardinal Hollerich à la presse la semaine dernière.
Un réseau à définir
Au-delà de l’italien, c’est l'étendue du réseau de Jean-Marc Aveline au sein du collège cardinalice qui reste à déterminer. Très investi dans les questions méditerranéennes, le Marseillais côtoie des cardinaux du Bassin qui partagent une vision commune. Parmi les prélats de ce cercle, on retrouve le cardinal Mario Zuppi, archevêque de Bologne et président de la CEI, le cardinal Juan José Omella y Omella, archevêque de Barcelone ou bien encore le cardinal Cristóbal López Romero, archevêque de Rabat. On pourrait citer aussi l’évêque d’Ajaccio François Bustillo ou bien Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger.
Le Synode sur la synodalité aura aussi permis à Jean-Marc Aveline de côtoyer durant deux mois une soixantaine de cardinaux membres du Synode. Pour tous ces prélats, ce temps passé ensemble est gage d’une meilleure connaissance du collège cardinalice et des sensibilités qui le traversent. À l’avenir, le Français développera aussi une dimension européenne puisqu’il siègera au Conseil des Conférences épiscopales d'Europe (CCEE) en tant que nouveau président de la CEF. « C’est un cosmopolite, au bon sens du terme, et donc pas du tout un gallican », insiste l’ambassadeur déjà mentionné.
Parmi les cardinaux francophones, l’archevêque français est naturellement bien identifié. « C’était l’homme du pape François dans le monde francophone », avance un observateur canadien, en rappelant que le pontife argentin avait fait du cardinal Aveline son légat au Québec en septembre dernier pour les 350 ans du diocèse. Mais d’autres sources s’interrogent sur la capacité du Français à avoir une vision sur les réalités asiatiques ou américaines.
« La tâche qui nous incombe ces jours-ci nous dépasse »
Ces derniers jours, à Rome, le cardinal Aveline s’est fait extrêmement discret auprès des médias. Évitant les journalistes, il ne figure pas parmi les cardinaux qui arrivent entre 8h et 9h par l’entrée du Saint-Office et qui ont à traverser un flot de journalistes. La semaine dernière, lors d’une messe d’action de grâce pour le pontificat du pape François en l’église Saint-Louis-des-Français à Rome, il n’a pas caché le poids qui pèse sur tous les cardinaux tenus de trouver un successeur à François.
« La tâche qui nous incombe ces jours-ci nous dépasse », confiait-il à la toute fin de la messe en demandant aux fidèles de prier pour les cardinaux. « Que l’Esprit Saint nous aide à être dociles, courageux, fidèles et disponibles », ajoutait-il, disant espérer que les cardinaux sauront s’inscrire dans la filiation du Concile Vatican II et assumer l’héritage des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II, Benoît XVI et François.