PAPE LÉON XIV
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La politique étrangère de Donald Trump n’affiche pas de valeurs universelles, mais des rapports de forces et d’intérêts que l’on assimile volontiers à une guerre commerciale d’un nouveau type. En France, l’affaire de l’institution Notre-Dame de Bétharram, qui se situe sur le registre de l’émotion, ne cesse de bouleverser l’opinion : "Ça me poignarde le cœur", réagit François Bayrou après les révélations de sa fille. Et dans le monde du travail ? La mission des dirigeants, "c’est de faire ce qui est dans l’intérêt de l’entreprise" explique à BFMTV Alexandre Delaigue, professeur d’économie à l’université de Lille. Pourtant dans un article récent, la Harvard Business Review réplique qu’à l’ère de l’IA, le management sans émotions ne tiendra pas longtemps". Dans les sphères du pouvoir — politique ou économique —, ce ne sont plus seulement les intérêts rationnels qui gouvernent, mais aussi les émotions. Comment articuler ces deux forces ? Sont-elles opposées ou complémentaires ?
Un équilibre vital, mais complexe
Sans émotion, l’intérêt devient cynique et froid. Sans intérêt, l’émotion s’épuise en agitation. Tous deux sont de puissants moteurs de décisions humaines. Leur équilibre est vital, mais complexe. L’intérêt est l’avantage que m’apporte une chose, tout en me différenciant des autres, ce qui peut devenir source de rivalité et de conflit. Tôt ou tard, l’intérêt demande une régulation qui va le rendre acceptable et juste vis-à-vis des autres. Même chose concernant l’émotion : parce qu’elle est généralement spontanée, on croit souvent que l’émotion est bonne. Mais non ! La peur est mauvaise conseillère, et la colère ou même la compassion peuvent dévier en pulsions nuisibles ou en complaisance.
Les Grecs voyaient dans la rhétorique l’art de s’exprimer avec éloquence. Les sophistes en ont fait un outil de séduction, utilisant les émotions de leur auditoire dans le but de s’enrichir ou de réussir. Ils faisaient le lien entre les passions (autre nom des émotions) de celui qui écoute et l’intérêt de celui qui parle : vaste manipulation ! Platon a pourfendu les sophistes : pour lui, le propos n’est pas de dominer ses adversaires, mais d’élaborer un discours qui soit juste et partageable, une vision, dirait-on aujourd’hui. En outre, les Grecs dénigraient volontiers le cynisme des partisans du seul intérêt. Pour Aristote, le bien commun est autrement plus désirable que l’intérêt particulier : ne faut-il pas être aveugle pour nier que le bien du tout est supérieur à celui de la partie ?
La force tranquille de la conviction
Dans un monde aujourd’hui saturé d’émotions médiatisées et d’intérêts divergents, comment élaborer une pensée ajustée ? Ni froide rationalité, ni sensiblerie : une sagesse sensible. Un mot-clé est peut-être celui de "conviction". On y devine la racine du mot "victoire" : en latin classique, convincere était un terme de droit qui signifiait "confondre un adversaire dans un débat", "prouver qu’il a tort", "démontrer de façon si forte que l’autre doit reconnaître son erreur". La "conviction" est d’abord ce qui oblige à reconnaître la vérité.
La conviction n’est donc pas une opinion personnelle, mais une pensée qui vainc par la force de la raison, malgré les opinions adverses. Elle se distingue de la certitude — souvent péremptoire — qui n’est pas encore passée au crible de la critique. La conviction est une vérité éprouvée, endurée, parfois défendue contre l’opinion dominante, et que Kierkegaard ou Camus opposeraient au "conformisme tranquille".
Mais c’est aussi une vérité qui engage, qui enthousiasme, qui vibre. Alors que la certitude est rationnelle, la conviction est de l’ordre du cœur. Non pas du sentiment. Du cœur. Sans céder à l’émotion spontanée, l’homme convaincu voit plus grand que son intérêt. Il va à la vérité tout entière selon la formule de Platon. La générosité est sa loi, il défend plus grand que lui-même. Et si cette lucidité habitée pouvait libérer notre civilisation de l’émotion débridée comme de l’intérêt sans scrupule ?
