Du Pape, les catholiques attendent d’abord qu’il préserve le trésor de la foi. Si les mots ont un sens, un pape "révolutionnaire" serait un pape en rupture avec les Écritures et la Tradition, estime l’écrivain Henri Quantin.PAPE LÉON XIV
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Mais pourquoi diable veut-on qu’un pape soit "révolutionnaire" ? Qu’ils soient critiques ou enthousiastes, peu d’articles omettent l’adjectif. Un peu, beaucoup, totalement, pas assez… le seul fait qu’on utilise le terme comme un compliment signale à quel point nous respirons un air politique qui impose ses critères, souvent même sans qu’on s’en rende compte. Certes, rares sont ceux qui iraient jusqu’à substantiver l’adjectif en présentant le défunt pape François comme "un révolutionnaire", mais pour le reste, l’idée est un peu partout dès qu’il s’agit de qualifier ses encycliques ou ses interventions. Révolutionnaire de parler des périphéries, révolutionnaire de défendre l’écologie, révolutionnaire de mettre en avant les cas particuliers dans la pastorale conjugale, révolutionnaire de demander aux prêtres et aux fidèles de lire Proust…
Un même fantasme
Que les espoirs de "révolution" aient été comblés ou déçus, ils puisent toujours au même fantasme : que l’Église serait plus elle-même en se soumettant davantage à l’esprit du monde. Dans cette logique, l’éloge du "révolutionnaire" ne vaut pas tant en soi, que comme preuve que ce qui était enseigné jusqu’ici était une erreur coupable. Un bon pape devient celui qui a montré que tous ses prédécesseurs s’étaient trompés ou, du moins, s’étaient abusivement soumis à cette tradition périmée qu’on appelle la foi catholique. Au lendemain de la mort du pape, l’éditorial de Libération illustrait à merveille l’art de l’attaque contenue dans l’éloge apparent : "Avec la mort de François, s’éteint une des rares voix capables de fissurer le carcan qui enserre l’Église depuis des siècles."
La suite tempère d’ailleurs immédiatement l’enthousiasme pour le défunt : "Fissurer seulement car, malgré tous les espoirs placés par certains dans ce pape désireux de dédier son pontificat aux pauvres et aux périphéries, l’Église n’aura pas opéré de réelle révolution sous son règne." Et de citer sans surprise l’autorisation du mariage de personnes du même sexe, dont l’éditorialiste a vraiment l’air de croire que seul un "carcan" pontifical l’empêche "depuis des siècles". On serait curieux de savoir à quelle date le journaliste remonte.
Préserver le trésor intact de la foi
"Pas de réelle révolution", dit Libération. On préfère presque cette déception honnête à toutes les actions de grâce pour les actes supposés "révolutionnaires" du pape François. Car, avouons-le, un pape révolutionnaire nous semblerait le serviteur le moins fidèle qu’on puisse imaginer, tant la formule relève de l’oxymore. Au nom de quelle inversion stupéfiante croit-on faire l’éloge d’un souverain pontife en ne retenant de lui que ce qu’il est supposé avoir fait en rupture radicale avec le passé ? N’est-il pas plus légitime d’attendre du successeur de Pierre qu’il préserve intact le trésor de la foi, afin que l’Église demeure "apostolique" ? Ne faut-il pas espérer avant tout que le pape soit un témoin crédible du Christ, qu’il trouve, grâce à l’Esprit Saint, la meilleure façon d’annoncer la bonne nouvelle du Salut à tous, qu’il vive les Béatitudes jusqu’à subir toutes les persécutions possibles de ceux qui lisent dans les Évangiles leur propre condamnation ? À côté de tout cela, l’étiquette "révolutionnaire" paraît aussi pâle qu’inadaptée.
Pâle, parce que le suprême témoin qu’est le martyr est moins souvent acteur que victime des révolutions. Inadaptée, parce que mener une révolution suppose de rompre violemment avec un passé dont on fait table rase, et, surtout, parce que le point commun de tous les révolutionnaires est de considérer que la fin justifie les moyens, maxime qu’aucun catholique, fût-il pape, ne peut proclamer sans renoncer aux Écritures et à la Tradition.
Réformes dans la continuité
Finalement, les seuls qui pourraient qualifier le pape de "révolutionnaire", en étant lexicalement cohérents, sont des chrétiens qui lui reprocheraient de trahir l’héritage. Mais sans doute emploieront-ils plus volontiers le terme d’"hérétique", au nom d’un magistère de substitution dont on peine à percevoir la légitimité surnaturelle. Au moins ont-ils le mérite d’utiliser un adjectif qui n’exige pas d’abord d’un pape des changements politiques, mais une continuité théologique. Cette continuité, rappelait Benoît XVI, est parfaitement compatible avec des réformes ; elle peut même les susciter, dès lors qu’on évite une "herméneutique de la rupture", autrement dit… une révolution.
Bref, à l’heure où un nouveau conclave est sur le point de s’ouvrir, que Dieu nous préserve, une fois de plus, d’un pape révolutionnaire !