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La véritable tolérance est proprement divine…

Kathleen Stock - Féministe - Lesbienne

Kathleen Stock

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Jean Duchesne - publié le 29/04/25
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Partout dans le monde, la perte de valeurs communes et partagées entraîne des décisions de justice contradictoires et contestées. S’il n’y a pas de libertés sans contraintes, ni de conscience imposée, comment être tolérant comme seul Dieu peut l’être ? Pour être aussi libre que Dieu qui n’impose rien à personne, rappelle l’essayiste Jean Duchesne, il suffit de demander son aide.

Il n’y a pas qu’en France que les verdicts de tribunaux sont contestés. Il y en a plusieurs qui font des vagues au Royaume-Uni. En février, un nommé Adam Smith-Connor a fait appel de sa condamnation pour avoir en 2022 troublé, selon un décret de 2014, l’ordre public en priant silencieusement en vue d’un centre d’avortement. Fin mars, l’Office for Students (OfS, Bureau de Protection des Étudiants, créé en 2017) a infligé une lourde amende à l’Université du Sussex pour atteinte à la liberté d’expression sur son campus. Et le 16 avril, la Cour suprême (établie en 2005) a arrêté que la définition légale du sexe d’une personne ne peut reposer que sur ses caractéristiques biologiques. De prime abord, ces trois affaires n’ont rien en commun. C’est en fait le même problème, et il se pose un peu partout (du moins en Occident).

Sanction pour répression

Déjà, la sanction prononcée par l’OfS invoque en effet la répression par intimidation, sur ce campus du sud de l’Angleterre, d’objections à la "théorie du genre". Une enseignante du nom de Kathleen Stock a été harcelée à partir de 2018 par des activistes hostiles au "binarisme" et forcée à démissionner en 2021 pour avoir désapprouvé la loi selon laquelle doit être enregistrée l’identité sexuée (ou multisexuée, voire asexuée) que l’individu, quel qu’il soit, éprouve le besoin de déclarer, le nombre de possibilités (y compris les combinaisons, variantes et même variations) étant présumé illimité, comme l’indique le sigle abscons LGBTQIA +.

L’ironie de l’histoire est que la professeure Stock est elle-même une ardente féministe et avocate des droits des minorités de toute espèce ou catégorie. Mais, en tant que lesbienne, elle maintient que la "transition" d’un mâle en femelle ne fait pas une femme comme elle-même ou comme son épouse (puisqu’elle est mariée). On n’est pas si loin ici de la protestation des sportives qui se trouvent injustement désavantagées face à des garçons qui ont choisi de devenir des filles. C’est ce qui est arrivé le 30 mars dernier aux États-Unis, lorsqu’une escrimeuse a refusé d’affronter une adversaire "transgenre". Elle a été disqualifiée et punie, mais une vidéo de l’incident a été "virale", la polémique a enflé, et le DoGE (Department of Government Efficiency) d’Elon Musk a annoncé qu’il s’en mêlait, Donald Trump ayant signé en février une ordonnance bannissant des compétitions féminines les athlètes nés masculins.

Dire ce qu’on pense : un droit inaliénable ?

Les controverses autour du "genre" et de l’avortement ne sont cependant que quelques-uns des terrains où se livre une bataille bien plus décisive, puisque l’enjeu n’est rien de moins que la coordination ou l’articulation entre libertés et lois. Les attendus de la sanction de l’Université du Sussex par l’OfS sont éclairants à cet égard. Il y est confirmé qu’aucune législation ne saurait interdire de penser en conscience qu’une personne "transgenre" n’est pas tout à fait un homme ou une femme comme les autres. Et il est également reconnu que le dire sans crainte fait partie du droit inaliénable d’être acceptées et de n’être l’objet d’aucune discrimination négative qu’ont toutes les particularités sans incidence sur les libertés des autres.

L’auteur de cette argumentation, comme directeur de l’OfS, est un philosophe émérite de Cambridge, formé à Oxford, héritier de John Locke, penseur de la tolérance à la fin du XVIIe siècle, de l’empiriste David Hume au XVIIIe et du libéral John Stuart Mill au XIXe. Un pur Britannique, dira-t-on, d’autant plus que, comme Alfred North Whitehead au début du XXe, il est venu à la philosophie à partir des mathématiques en passant par la logique — sauf qu’il s’appelle Arif Ahmed et est le fils, aujourd’hui agnostique, de musulmans immigrés d’Inde.

L’autocensure qu’impose le respect

Le professeur Ahmed doit son autorité à la tête de l’OfS à la réputation qu’il s’est acquise en faisant modifier en 2020 le code de la liberté d’expression élaboré par Cambridge. Il était prévu d’y demander que chacun "soit respectueux la diversité des identités des autres". Il a plaidé et obtenu que "tolérant" soit substitué à "respectueux". La différence paraît mince. Elle est pourtant capitale, dans la mesure où le respect empêche de formuler des critiques qui pourraient être estimées offensantes, et donc oblige à s’autocensurer. La tolérance, au contraire, ne masque pas les désaccords, et ne contraint personne à taire ce qu’il croit.

C’est en théorie impeccable, puisqu’aucune liberté n’est restreinte et qu’à défaut de pouvoir proscrire les pensées, les lois définissent quels propos demeurent condamnables : diffamation, injures, incitation à la haine, etc. Mais en réalité, c’est très loin de régler tous les problèmes. D’abord parce que la tolérance requiert une réciprocité qui n’est pas automatique : il est rare qu’on soit des deux côtés également disposé à reconnaître contestable sa conviction intime et à tenir pour honorable et défendable l’opinion opposée. On se considère même en état de légitime défense quand on se sent agressé dans l’identité personnelle que l’on revendique.

Une vertu pas si spontanée

Il s’ensuit que la tolérance requiert des vertus d’humilité et d’abnégation qui ne sont pas si spontanées ni si aisément praticables. Un bon exemple en est Voltaire. Il est réputé avoir noblement affirmé : "Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire." Or il n’a jamais écrit cela. C’est là un résumé, proposé en 1903 par une admiratrice anglaise nommée Evelyn Hall, de l’idéal qu’il a promu, mais pas mis lui-même en œuvre : il ne s’est en effet nullement ému de l’interdiction en 1776 de L’Année littéraire d’Élie Fréron qui l’avait attaqué et qu’il poursuivait de ses sarcasmes.

Le slogan de Saint-Just, moins de vingt ans plus tard, en paraît moins étonnant : "Pas de liberté pour les ennemis de la liberté." C’est un aveu implicite que ni la tolérance ni la liberté ne peuvent être érigées en absolus. La première peut entraîner dans un pluralisme où c’est finalement la foire d’empoigne, puisque ce qui pourrait rester commun est perdu de vue. Et la seconde peut servir à certains pour en priver d’autres. Le paradoxe est que la liberté a besoin de contraintes formelles : celles de la loi d’abord, puis si besoin, de la force, voire de la violence.

De la loi à la grâce

L’élaboration des normes et leur application ne va jamais sans approximations ni risques. Il n’y a pas de "loi naturelle" universellement admise et gouvernant toutes les consciences. Il en résulte qu’on légifère au cas par cas au milieu de polémiques où des ressentis affectifs et des intérêts égoïstes asservissent la rationalité. Il faut encore recourir ensuite aux tribunaux et leurs verdicts sont contestés. Enfin, les donneurs de leçons ne sont pas toujours irréprochables eux-mêmes. Un exemple est le vice-président américain, citant en février à Munich l’affaire de M. Smith-Connor pour dénoncer les entraves aux libertés en Europe, alors que chez lui l’illustre université Harvard se plaint d’avoir à défendre son indépendance intellectuelle et morale.

Il n’y a rien là qui doive surprendre un chrétien. Il sait bien que la liberté est une aspiration irrépressible, voulue par le Créateur pour l’humanité faite à sa ressemblance (Gn 1, 26-27). Il sait aussi que cette liberté est faillible quand elle se contracte en autonomie qui détermine seule le bien et le mal (Gn 2, 17). Il sait encore que les lois sont des dons pédagogiques de Dieu (Ex 24, 12). Il sait surtout que la tolérance est proprement divine, puisque Dieu n’impose rien, mais s’offre lui-même entièrement en son Fils pour donner part à sa vie, qui est reçue à la mesure où elle n’est pas appropriée mais remise à sa disposition pour transmission et partage comme et avec lui. Et l’enfant de Dieu sait bien enfin que cela lui est impossible sans l’aide de grâces qu’il n’obtient que s’il les demande et les espère.

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