Élu en 2013 pour décentrer l'Église catholique vers les périphéries et réformer le Vatican, le pape François est mort le 21 avril 2025. Le pontife argentin laisse à son successeur un certain nombre de chantiers à poursuivre et de défis à relever. L'agence I.MEDIA revient sur certains d'entre eux.
Défi n°1La délicate succession d'un pape 'disruptif'
"Il sera très difficile de succéder au pape François." Cette réflexion souvent entendue dans les couloirs du Vatican, dès le début de son pontificat en 2013, touche à des points à la fois symboliques et très concrets… À commencer par son logement. Le pontife argentin avait choisi de demeurer définitivement à la Maison Sainte-Marthe, la résidence des cardinaux pendant le conclave, afin de vivre un quotidien proche de ses habitudes de vie communautaire jésuite. Mais le prochain pape pourrait retourner vivre dans les appartements pontificaux, qui ont été symboliquement scellés quelques heures après la mort de François, bien qu'il n'y ait jamais dormi. "Je suis certain que le prochain pape reviendra vivre au Palais apostolique", confie un prêtre romain en expliquant que, pour ceux qui passaient le soir sur la place Saint-Pierre, voir la lumière de l'appartement du pontife allumée représentait, sous les pontificats précédents, un symbole important de la protection du pape sur la population de Rome.
Un autre aspect important touche au style de communication : le pape François a accordé plus de 200 interviews à des médias parfois inattendus, s'exprimant sans filtre, au grand désarroi de ses propres services. Ses conférences de presse dans l'avion étaient également marquées par une grande liberté de ton. Le prochain pontife reviendra-t-il à une parole plus académique et lissée, plus institutionnelle, quitte à susciter moins d'attention médiatique ? Il semble que certains cardinaux souhaitent un profil de pape exprimant une parole plus rare et parcimonieuse, mais le futur chef de l'Église catholique devra tout de même faire preuve d'une certaine connaissance des langages médiatiques actuels pour diffuser son message.
En outre, le pape François a changé l'image de la papauté, en se montrant très proche des plus pauvres et des périphéries. Il a aussi partagé au monde son souci du dialogue interreligieux, en particulier avec l'islam, ouvrant des perspectives inédites. Il a également su renouveler le discours de l'Église catholique sur l'écologie, reliant la protection de la nature à la justice sociale. Son successeur devra faire fructifier cet héritage face au changement climatique et à des écarts sociaux grandissants dans le monde, qui laissent présager d'une intensification des flux migratoires.
Défi n°2Le futur pape face à la sécularisation
Le pontificat de François n’a pas enrayé la sécularisation en Occident, un phénomène ancien et complexe qui se manifeste dans l'Église catholique par une baisse continue des vocations. En l’espace de dix ans, de 2011 à 2021, l’Europe a enregistré une baisse de 27.000 prêtres, 6.000 séminaristes et près de 80.000 religieuses ; avec pour effet une diminution générale du nombre de prêtres dans le monde. Ils étaient 413.418 en 2011 contre 407.872 en 2021. Certes, l’Afrique et l’Asie ont connu sur cette période une augmentation du nombre de prêtres : 52.000 prêtres pour l’Afrique contre 39.000 dix ans auparavant. Mais cela ne suffit pas à compenser la baisse des vocations au niveau global. Plus inquiétant pour Rome : même en Asie, continent qui a eu les faveurs de François, le nombre de séminaristes a baissé sous son pontificat (-9% de 2011 à 2021).
Tout en prolongeant l’élan du pontife argentin aux périphéries, le prochain pape aura pour tâche de remobiliser le catholicisme dans les vieux pays de tradition catholique. Dans ce contexte difficile, le fort rebond des baptêmes d’adultes et de jeunes en France ou au Royaume-Uni a suscité étonnamment et intérêt vu de Rome. "Quelque chose est en train de se passer en France. C’est peut-être le signe précurseur d’un nouveau printemps de l'Église", se réjouit un cardinal de la Curie romaine qui fut très proche du pape François.
Défi n°3Assurer l'unité face au risque d'une Église à plusieurs vitesses

Les sujets clivants n'ont pas manqué durant ce pontificat, notamment avec les restrictions drastiques apportées à la célébration de la messe tridentine, depuis l'été 2021. Le secrétaire de Benoît XVI avait affirmé que la décision de François avait "brisé le cœur" du pape émérite, qui avait au contraire libéralisé l'usage de ce rite antérieur au concile Vatican II. Le prochain pape devra certainement reprendre en main ce dossier qui a créé de vives tensions parmi les catholiques traditionalistes notamment en Europe et aux États-Unis. Il devra également se pencher sur la question épineuse du dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X.
Par ailleurs, les différents synodes organisés sous le pontificat de François - ces grandes assemblées de réflexion sur la famille, les jeunes ou les défis spécifiques de l’Amazonie - ont parfois donné l'image d'une Église catholique à plusieurs vitesses, notamment sur les questions très sensibles du célibat sacerdotal, de l’homosexualité ou de l’accès à la communion des personnes divorcées-remariées civilement. Au début de l'année 2024, l'opposition des évêques d'Afrique à la déclaration Fiducia Supplicans ouvrant la voie à des bénédictions de personnes vivant dans des couples de même sexe a été un révélateur de profondes divisions sur ces sujets au sein de l'Église catholique.
Depuis 2021, le vaste processus du "Synode sur la synodalité" a permis de passer en revue de nombreux thèmes touchant à la gouvernance de l’Église et à la co-responsabilité entre prêtres et laïcs. Le thème de la place des femmes dans l'Église a aussi été au cœur des réflexions. Mais la question du diaconat féminin n'a pas été tranchée, faute de consensus. Certains observateurs s'inquiètent de voir une "anglicanisation" de l'Église catholique, avec des différences doctrinales qui finiraient par se cristalliser d'un continent à l'autre, comme c'est le cas dans la Communion anglicane.
En faisant le choix de ne pas publier d’exhortation apostolique à l'issue du dernier Synode, le pape François a laissé à son successeur la possibilité de prendre des décisions sur les sujets les plus délicats. Une chose est certaine : le futur pape ne pourra pas mettre l'esprit de réforme de François sous le boisseau. Il y a quelques semaines, alors qu'il était hospitalisé, il a fait diffuser un calendrier synodal qui s'étire désormais jusqu'à 2028 et qui doit mobiliser les diocèses du monde entier.
La question de l'unité de l'Église catholique en Chine demeurera un sujet de préoccupation majeure, près de 7 ans après la signature d'un accord provisoire sur les nominations épiscopales censé réunir les Églises clandestine et officielle mais dont la mise en application s'avère extrêmement complexe.
Défi n°4Le futur pape face à la crise des abus sexuels
La crise des abus sexuels sur mineurs commis par des membres du clergé catholique avait déjà secoué les pontificats de Jean Paul II et de Benoît XVI. La place centrale de ce thème lors du conclave de 2013 avait poussé le pape François à créer dès mars 2014 une Commission pontificale pour la protection des mineurs. Mais le travail effectué par cette dernière a été terni par le départ de plusieurs de ses membres, déçus par son fonctionnement et le manque de collaboration de la Curie romaine.
Le pontificat de François aura été émaillé par de nombreux scandales liés aux abus, signes que la question suscitait encore des flottements au Vatican. Parmi ceux-ci, il faut noter la démission générale des évêques du Chili, le renvoi à l'état laïc de l'ex-cardinal McCarrick, les rapports sur les abus alarmants des conférences épiscopales allemande ou française ou les révélations sur de nombreuses figures importantes de l'Église, de l'abbé Pierre à l'ancien jésuite Marko Rupnik, artiste slovène très proche du pape et accusé d'abus par une vingtaine de femmes. Le pontife aura pour dure tâche de continuer la lutte de l'Église contre ce fléau, notamment en Afrique et en Asie.
Défi n°5Le Pape devra poursuivre la réforme de la Curie et combler son déficit
Durant son pontificat, le pape François a mené tambour battant un ambitieux programme de réformes visant à repenser le fonctionnement de la Curie romaine, cœur administratif de l’Église catholique. Son objectif : faire du Saint-Siège une entité plus ouverte sur le monde, plus transparente et plus moderne, au service des diocèses. Cette réforme a finalement abouti à la promulgation d’une nouvelle Constitution apostolique, Praedicate Evangelium, en 2022. Mais le volontarisme du pontife s’est heurté à plusieurs obstacles, à commencer par les résistances internes. Des décisions controversées sur le plan de la gestion des ressources humaines ont également généré un sentiment de malaise parmi les employés ces dernières années.
Si le Pape a assaini les comptes, il n’est toutefois pas parvenu à redresser durablement la situation financière : le Vatican reste structurellement déficitaire, en raison notamment de la baisse des dons des fidèles, ce qui affecte en particulier son fonds de retraite. Enfin, le scandale financier de "l’affaire de l’immeuble de Londres", qui a conduit à la condamnation à cinq ans et demi de prison du cardinal Angelo Becciu, apparaît ambivalent : il a mis en lumière une certaine opacité persistante dans la gestion financière du Vatican, tout en révélant la volonté du Pape d’en finir avec un système miné par le népotisme et l’amateurisme. De nombreuses sources vaticanes s’accordent pour dire que le prochain pape devra "rassurer l’appareil" en poursuivant les réformes, mais sans brutaliser ni humilier le personnel.
Défi n°6L’unité des chrétiens : un horizon impossible ?
Le pape François devait se rendre autour du 24 mai en Turquie pour la commémoration du Concile de Nicée (325), et marquer ainsi un rapprochement avec l'Église orthodoxe. Le futur pape pourrait effectuer à cette occasion un premier voyage très symbolique. Les contacts entre Rome et le patriarcat de Constantinople ont connu une accélération spectaculaire sous le pontificat de François, mais la situation demeure bloquée avec une partie du monde orthodoxe. « Le patriarche de Constantinople veut l’unité avec Rome, mais les autres patriarches ne sont pas tous d’accord », explique une source proche du dossier à Rome. Principale pierre d’achoppement : le patriarcat de Moscou. La rencontre organisée à Cuba entre Kirill et le pape François, en février 2016, avait semblé ouvrir une percée inédite mais le dialogue a été rompu en raison du soutien actif du patriarche de Moscou à l’offensive russe en Ukraine, qu’il a qualifiée de « guerre sainte », une position inacceptable pour Rome.
Par ailleurs, en 2023-2024, la déclaration Fiducia Supplicans ouvrant la voie à des bénédictions des couples de même sexe a suscité une profonde incompréhension parmi les Églises orientales orthodoxes, attachées à une vision traditionnelle de la famille. L’Église copte a ainsi annoncé la suspension du dialogue théologique avec l’Église catholique. Les démarches entreprises par le Vatican pour le relancer n'ont pour le moment pas porté leurs fruits. En revanche, les échanges avec les différentes dénominations protestantes - anglicans, luthériens, évangéliques ou encore vaudois - ont connu des progrès substantiels sous le pontificat de François et son successeur pourra certainement s’appuyer sur ces acquis pour tenter de renforcer des partenariats entre Églises, notamment sur des questions sociales, tout en préservant l'identité propre de l'Église catholique sur les questions bioéthiques.
Défi n°7Le futur pape face à un monde en guerre
La multiplication des guerres aura été une 'croix' du pontificat de François, qui a accordé une place importante au thème de la réconciliation dans des voyages délicats notamment en Bosnie, en Centrafrique, en Colombie, en Birmanie, en Irak, en République démocratique du Congo ou encore au Soudan du Sud. Mais son positionnement a pu être contesté sur d'autres terrains. La guerre en Ukraine, initiée dès 2014 dans le Donbass mais étendue à l’ensemble du pays à partir de l’offensive russe de février 2022, a particulièrement mobilisé le pape François. Il a multiplié les appels en faveur de "l’Ukraine martyrisée", tout en recevant de nombreuses critiques pour ses positions initiales perçues comme trop neutres, voire complaisantes à l’égard de la Russie. Son espoir de se rendre dans les deux pays et d’assumer une médiation s’est révélé vain, et ses larmes d’impuissance lors de la prière mariale du 8 décembre 2022 ont marqué les esprits. La rencontre entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky en marge de ses obsèques peut tout de même nuancer ce sentiment d'échec en montrant que le Vatican demeure une précieuse plateforme de contacts.
La guerre de Gaza, provoquée par l’offensive du Hamas sur Israël le 7 octobre 2023 puis marquée par des bombardements israéliens massifs qui ont fait plus de 50.000 morts palestiniens, a également marqué la fin du pontificat. "En appelant chaque soir la paroisse de Gaza, même quand il était hospitalisé et limité dans sa capacité à parler, le Pape a fait preuve de courage et il a contribué à sauver des centaines de vies", assure un cardinal. "En raison de l’attention médiatique que ses appels ont suscité, cette paroisse a été l’un des seuls lieux que les Israéliens n’ont pas osé bombarder", estime-t-il, rendant hommage à l’attention du pape pour ce "petit troupeau". Néanmoins, la voix du pape n’a pas empêché cette guerre de se poursuivre. Plus largement, au regard des évolutions géopolitiques globales, le monde de 2025 s’annonce de plus en plus fracturé. Le futur pape devra composer avec la montée en puissance de différents courants populistes et l’influence grandissante de régimes autoritaires mettant parfois leurs voisins en danger.
Découvrez aussi les plus belles citations du pape François :
