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Au conclave, l’heure du Saint-Esprit ?

Entrée des cardinaux en procession dans la chapelle Sixtine avant un conclave

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Paul Airiau - publié le 26/04/25
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L’élection des papes n’a jamais été simple, rappelle l’historien Paul Airiau. Comment le Saint-Esprit peut-il inspirer pratiquement le choix des cardinaux qui vont élire le prochain successeur de Pierre ?

PAPE LÉON XIV

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Après François, qu’y aura-t-il ? Eh bien ! on y est… Et, à voir la fébrilité médiatique et catholique, on sent bien la différence avec 2013, lorsque Benoît XVI avait choisi de s’enterrer vivant en démissionnant plutôt que s’accrocher à un pouvoir qu’il pensait ne plus être en mesure d’exercer. Car on n’aura pas seulement un conclave, mais aussi tout ce qui, depuis belle lurette — soit en fait fort peu de temps à l’échelle de l’histoire — l’accompagne au plus grand profit de l’emballement télévisuel et journalistique : l’exposition du corps papal avec le défilé de fidèles éplorés ; une messe d’obsèques faisant fonction, avec les conférences générales de l’ONU, les enterrements des souverains d’Angleterre et les cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques, de ces rares moments d’illusoire sentiment de solidarité planétaire (et ça permettra aux catholiques de se dire que l’Église, quand même, ça compte encore) ; l’inhumation de celui qui, dit-on, exerça sans faille son pouvoir jusqu’à son trépas. Et pour finir, ce seront les cardinaux électeurs dans la Sixtine, l’attente de la fumée blanche, la proclamation du nom, l’épiphanie du balcon de Saint-Pierre et les analyses immédiates — qui, pour quoi, pourquoi… Peut-être, un jour, sera-ce aussi le dévoilement des dessous du scrutin (nombre de tours, de voix, d’impétrants, et tout et tout).

Les critères élémentaires

En attendant, entre la mort et le conclave, on aura, on a déjà, encore, toujours, les bilans du pontificat achevé et les spéculations sur le successeur possible, imaginable, souhaitable, désiré, redouté. Un progressiste ? Un réactionnaire ? Un conservateur bon teint ? Un conservateur de progrès ? Un progressiste conservateur ? Un en-même-temps-iste ? Un Africain ? Un Asiatique ? Un Européen ? Un vieux ? Un jeune (pour un cardinal s’entend, soit moins de 60 ans...) ? Un presque jeune ? Un tout à fait décati ? Un inattendu (voire hors collège pontifical) ? Bref, on supputera, on tétrapilectomera, on calculera, en faisant jouer moult et moult critères. Car, en effet, et c’est un des points caractéristiques de l’élection à venir, un nombre important de facteurs peuvent jouer sur les positions des électeurs.

D’abord les déterminants élémentaires : l’âge, la nationalité, peut-être en faisant surjouer cette dernière — car un étranger en poste à la Curie devient une espèce très particulière de Romain. Mais on oublie parmi ceux-ci le sexe (alors qu’on ne saurait négliger le fait qu’on ne construit et ne vit pas sa masculinité sacerdotale de la même manière en fonction de son âge et de ses lieux de naissance et de formation et de ses expériences) et les origines sociales et familiales, dont on sait pourtant le poids dans toute réalité humaine. Ensuite, on peut faire jouer la date de nomination comme cardinal (par tel ou tel pape défunt, ce qui peut indiquer telle ou telle orientation) et les fonctions exercées (résidentielles, curiales, ou plus aucune, ce qui renvoie à certains types d’expériences), sans oublier le parcours clérical (y compris l’appartenance ou non au clergé régulier), dont l’importance ne peut être sous-estimée, puisqu’il explique en partie l’accès au cardinalat. Enfin, il y a les positions prises sur tel ou tel sujet dont on dit qu’il est déterminant ou important pour le présent et l’avenir de l’Église — la centralisation romaine, l’exercice de l’autorité papale, la place des femmes, l’inculturation, les violences sexuelles, les finances du Saint-Siège, l’herméneutique de Vatican II, l’acceptation des homosexuels et des transgenres, la place des traditionalistes, le célibat sacerdotal, la pénalisation du séjour irrégulier dans l’État de la Cité du Vatican, la résidence à Sainte-Marthe, la canonisation de Carlo Acutis, le port des mules rouges, parmi d’autres…

La multiplication des possibilités

Tous ces critères interfèrent, et l’on voit donc déjà la multiplication des possibilités pour un corps électoral de 135 personnes, d’autant que ces mêmes critères sont aussi ceux pouvant déterminer la possibilité d’être élu. Mais sont-ils véritablement connus de tous les électeurs ? Comment 135 hommes plus ou moins dispersés sur la planète, théoriquement surchargés d’occupation, pourraient-ils véritablement se connaître les uns les autres, même à l’occasion des congrégations générales précédant l’élection, d’autant que nul n’est jamais candidat ? Car si c’est une ambition implicitement louable que d’aspirer à la noble charge épiscopale, dixit saint Paul (1Tm 3,1), il ne paraît pas en être de même pour la papauté (il faut pour le moins accepter de confirmer ses frères après avoir failli, de paître un troupeau qui n’est pas le sien et de se laisser mettre sa ceinture par un autre, si l’on tient pour normatifs les récits évangéliques). Aussi cela laisse-t-il la place, bien connue des historiens, des vaticanistes (espèce originale et peu prolifique d’analystes dont il faudra un jour faire l’histoire) et des journalistes, aux jeux d’influence et de coteries, aux organisations concertées, aux campagnes faites par certains pour d’autres, parfois même sans les informer, bref, à toute une brigue électorale.

Gêne aux entournures

Bien sûr, tout cela n’est pas véritablement assumé, puisque, c’est bien connu, l’Esprit saint inspire les électeurs. Mais cette idée est relativement récente. En effet, autant les temps médiévaux et modernes assumaient sans souci la dimension parfaitement politique d’une élection papale, autant les temps contemporains ont une espèce de gêne aux entournures lorsqu’ils constatent l’importance des causes secondes dans le fonctionnement de l’Église romaine. Comme si l’usage d’une procédure démocratique (relative certes, mais démocratique malgré tout, celle de la maior et sanior pars) pour élire un quasi-autocrate en des temps poussant à la roue en direction de la démocratie, et donc désacralisant le pouvoir, finissait par gêner les clercs et les fidèles et saper les motifs de leur obéissance… Le Saint-Esprit est donc venu à la rescousse, et, pour bien marteler que c’est lui qui agit alors que les papes ont quelque peu donné à l’Église des inflexions inattendues dont la cohérence totale avec le passé n’est pas toujours solidement argumentée (Vatican II par exemple…), on a fini par y ajouter leur béatification et canonisation quasi-systématique dans la seconde partie du XXe siècle. Soit un argument théoriquement imparable.

Et pourquoi pas la pratique apostolique ?

Ce serait donc l’heure du Saint-Esprit, le pouvoir charismatique venant au secours du pouvoir rationnel-légal pour garantir l’inhérence du pouvoir traditionnel. Mais ledit Saint-Esprit peut-il vraiment inspirer 135 électeurs méprisant consciencieusement, continûment, obstinément, la seule modalité électorale connue du Nouveau Testament, c’est-à-dire le tirage au sort qui donna à Matthias de remplacer Judas parmi les Douze ? Une réforme électorale au profit de la libertas ecclesiæ — la vraie, celle assumant totalement qu’une cause seconde non maîtrisable puisse, parce qu’elle est telle, être l’expression de la volonté divine — pourrait donc être bienvenue. Pie X, au nom de la liberté de l’Église societas perfectas face aux États modernes, avait entamé son pontificat en supprimant le droit d’exclusive qui permettait aux États catholiques de s’opposer à l’élection d’un cardinal qui leur déplaisait. Peut-être que le successeur de François pourrait alors entamer sa fonction de serviteur des serviteurs de Dieu en restaurant la pratique apostolique. On aurait alors une forme de liberté absolue en matière électorale qui éviterait aux cardinaux et aux catholiques qui en arrivent à détester le nouvel élu de se demander quelles obscures manœuvres ont abouti à ce choix, et qui éviterait aux cardinaux et aux catholiques en arrivant à aduler le nouvel homme en blanc de voir leurs certitudes sur l’évidente action de la Providence mise à mal par des observations simplement élémentaires. Mais le catholicisme sera-t-il jamais prêt à prendre le risque d’une vraie nouveauté ?

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