Le quartier du Champ de Mars, à Rome, avait un air de France hier soir. Dans les rues, groupes et pèlerins hexagonaux, habitants français de Rome et officiels se pressaient pour remplir l'église Saint-Louis des Français. Cet édifice, propriété de l'État, magnifique église baroque, est le lieu de réunion de la communauté française dans la Ville éternelle. Apprenant la mort du pape François, le recteur, Mgr Bréguet, avait décidé d'organiser une messe d'action de grâce pour les douze années de son pontificat. Une célébration présidée par le cardinal Aveline, archevêque de Marseille et président élu de la Conférence des évêques de France, entouré de trois autres cardinaux : Mgr Bustillo, évêque d'Ajaccio, Mgr Pierre, nonce apostolique à Washington, et Mgr Hollerich, archevêque de Luxembourg et jésuite comme le défunt pape.
Dans l'assemblée fournie, certains doivent rester debout. Au premier rang, l'ambassadeur de France en Italie voisine avec Florence Mangin, ambassadrice près le Saint-Siège. Dans les rangs, quelques paroissiens venus prier pour remercier Dieu d'avoir donné le pape François à l'Église. Plusieurs familles sont aussi venues de Métropole, heureux d'être là en ces circonstances même si leur pèlerinage avait d'abord pour objectif d'assister à la canonisation de Carlo Acutis. Hervé, venu d'Alsace, est très ému. Il l'a été également devant la dépouille du Saint-Père : "Je ne pensais pas vivre cet événement mais mon voyage prend tout son sens." Geneviève, quant à elle, ne voulait pas rater ce moment de prière. Toute la journée, la Lyonnaise a pressé le pas pour être sûre d'y assister. Pierre est professeur d'histoire-géographie. Pour lui, la messe du jour est importante en ce qu'elle manifeste aussi le lien de l'Église en France avec l'Église universelle.
Dans son homélie, saluée par l'assemblée, Jean-Marc Aveline n'a pas manqué d'évoquer le pape François, esquissant une synthèse de ses douze années de pontificat. Après avoir rappelé que les différents récits de la Résurrection proclamés dans la liturgie pendant l'octave de Pâques permettent d'approfondir, par touches successives, le mystère du Salut, le cardinal marseillais a résumé le ministère pétrinien de Jorge Bergoglio en quatre mots. Joie, "antienne des grands textes du Pape", qui n'est ni un "optimisme de façade" ni un "enthousiasme de commande" mais une certitude : "Quoiqu'il arrive, Dieu est, et cela suffit !" Louange, ensuite, pour le "don de la Création" parmi laquelle la vie humaine "du début à la fin", le pape François parlant toujours d'écologie "sans séparer le lépreux et le loup de Gubbio". Fraternité, encore, notamment dans le souci de la paix, la condamnation de la guerre et le soin des plus faibles : "Les pauvres ont pu trouver dans le pape François un père, un frère, un avocat et un compagnon." Espérance, enfin, "invincible", d’un Saint-Père qui "a offert sa souffrance et sa faiblesse, accueillant en son corps défiguré le tressaillement d’espérance que seul peut éprouver un cœur totalement dépouillé". Ainsi Jorge Bergoglio, avec ces quatre "balises", aura-t-il été vraiment "François", fidèle disciple du Poverello.
"Je sais aussi que la jeunesse de France, qui est en train de faire refleurir la vieille souche spirituelle de notre pays, a secrètement entendu l’ardent désir de ton cœur.
"Merci", a lancé le cardinal Aveline en s’adressant au défunt. Sans le dire, l’archevêque de la cité phocéenne a aussi répondu à ceux qui disent que le successeur de Pierre n’aimait pas la fille aînée de l’Église : "Je sais que tu partageais cet amour, et que tu voulais redonner à la France un regard qui la décentre d’elle-même et la rende apte à accomplir sa mission dans le concert des nations. Je sais en quelle estime tu tenais la richesse mystique et culturelle de notre pays." Et d’affirmer : "Je sais aussi que la jeunesse de France, qui est en train de faire refleurir la vieille souche spirituelle de notre pays, a secrètement entendu l’ardent désir de ton cœur."
À la sortie de la messe, les conversations vont bon train, sous le regard étonné des carabinieri. L'un espère que le cardinal Aveline sera le nouveau pape. L'autre présente son fils handicapé, venu pour le Jubilé, au cardinal Hollerich, qui vient de répondre longuement aux questions des journalistes : les abus et les questions financières, assurent-ils, sont au programme des Congrégations générales. Un prêtre confie : "Je pense que le conclave sera long, pour laisser le temps aux uns et aux autres de faire connaissance. Dans ce cadre, la personnalité de Jean-Marc Aveline pourrait apparaître comme une figure de compromis." L'intéressé préfère dire qu'il a commencé une grande retraite et qu'il faut prier pour les cardinaux : "La tâche nous dépasse, priez pour que nous sachions être attentifs à ce que nous dit l'Esprit-saint, que nous soyons dociles, courageux, fidèles et disponibles." Avant de situer l'événement du conclave dans le temps long de l'Église : "[Priez] pour que nous prenions place dans la longue Tradition pour recueillir l'héritage des papes."
[EN IMAGES] Translation du cercueil de François à Saint-Pierre
