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François était un artiste, et son message était fait d’images

Pope Francis blesses a cross in memory of migrants and refugees during an audience with refugees who arrived from the Greek island of Lesbos, on December 19, 2019 at the Vatican.

Pope Francis blesses a cross in memory of migrants and refugees during an audience with refugees who arrived from the Greek island of Lesbos, on December 19, 2019 at the Vatican.

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Pierre Téqui - publié le 24/04/25
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Le pape François était un pasteur qui savait que le monde a besoin d’être évangélisé non seulement par les mots, mais par des images. "L’art ne rejette pas, disait-il, il peut être un instrument de miséricorde." Pour l’historien de l’art Pierre Téqui, il inventa un art d’habiter la foi.

PAPE LÉON XIV

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On a souvent présenté le pape François comme un homme de gouvernement, un pasteur audacieux, un réformateur tenace. Mais, à mon sens, il fut autre chose encore : un créateur. À sa manière, le pape François accomplit une œuvre. Il tailla des gestes dans la matière du monde. Et ce qu’il sculpta, ce ne fut pas un programme : ce fut une œuvre de miséricorde. Une œuvre d’Évangile. Il inventa un art d’habiter la foi. Il fut, au sens le plus profond, un artiste. Ce n’est pas une formule. Il suffit d’observer les signes qu’il disposa dans l’espace ecclésial : ce crucifix dressé dans la pluie place Saint-Pierre, ce gilet de sauvetage cloué à une croix translucide exposée au Vatican, cette sculpture de migrants serrés dans une barque qu’il voulut à demeure devant les fidèles.

Son manifeste, il l’avait confié dans La mia idea di arte (“Mon idée de l’art”). Ce petit livre, direct et profond, énonçait sa conviction : "L’art, dans l’Église, existe pour évangéliser." L’art chrétien ne sert pas à embellir mais à montrer. Il est là pour témoigner, interpeller, réveiller. Il est là pour faire exister la Bonne Nouvelle, non seulement dans les mots, mais dans des œuvres pérennes.

Le gilet cloué à la croix

Prenons ce geste devenu célèbre : une croix en résine, dressée au Vatican. Et sur elle, suspendu comme une offrande silencieuse, un gilet de sauvetage. Un vrai gilet, recueilli sur le corps d’un enfant noyé et retrouvé à la dérive sans nom, sans visage, sans origine. Ce n’est pas seulement une œuvre d’art : c’est presque un reliquaire ; un signe visible pour dire une douleur invisible. Et un appel adressé à tous : "Ce migrant que vous rejetez, c’est le Christ." Le pape François raconta lui-même qu’il avait reçu ce gilet d’un groupe de secouristes, et qu’il l’avait voulu ainsi : "crucifié sur une croix", pour rappeler "l’engagement inéluctable de sauver chaque vie humaine, un devoir moral qui unit croyants et non-croyants". Ce gilet, c’était celui d’un homme mort sans nom le 3 juillet 2019. Retrouvé au cœur de la Méditerranée, seul, à des coordonnées géographiques précises, comme une épave humaine dans la mer.

Le pape François et les réfugiés de Lesbos près de la croix des migrants: "C'est l'injustice qui fait mourir en mer"
Le pape François et les réfugiés de Lesbos près de la croix des migrants: "C'est l'injustice qui fait mourir en mer"

François l’avait exprimé clairement : ce n’était pas un acte décoratif, mais un geste d’Église. Ce gilet crucifié incarnait "l’expérience spirituelle" vécue par les secouristes en mer, qui redécouvraient à chaque sauvetage la beauté d’une humanité réconciliée. La croix elle-même, expliquait-il, était transparente pour nous appeler à regarder la réalité en face ; luminescente pour nous rappeler la puissance de la Résurrection. Ce migrant inconnu, disait-il, "mort avec l’espérance d’une nouvelle vie, participe aussi à cette victoire". Là résidait tout le langage de François. Il n’adoucissait pas. Il ne décorait pas. Il montrait. Et ce qu’il montrait, c’était la croix dans ce qu’elle avait de plus cru. La croix comme scandale, comme interpellation, comme miroir de nos refus. Une croix où il osait accrocher le gilet d’un mort. Non pour provoquer. Mais pour réveiller. Pour nous dire que notre indifférence tue. Pour nous rappeler que "notre paresse est un péché". Et que la foi chrétienne, si elle n’est pas miséricorde incarnée, devient mensonge.

Un art de la liturgie

Quand il ne créait pas des signes, il utilisait ceux des artistes. Le 27 mars 2020, en pleine pandémie, une autre image bouleversa le monde : le pape, seul, sur une place Saint-Pierre déserte, avançant sous la pluie vers un crucifix noirci. C’était le Christ miraculeux de San Marcello al Corso, celui que les Romains avaient porté en procession pendant la peste de 1522, et devant lequel la ville avait été sauvée. Le pape François avait lui-même marché jusqu’à lui quelques jours plus tôt, seul dans les rues de Rome, comme un pèlerin de la douleur.

Ce jour-là, le crucifix avait été déplacé à Saint-Pierre. François l’avait voulu là, visible, central. Au cœur d’une prière silencieuse, il l’éleva comme un acte de foi pur, nu, radical. "Maître, ne te soucies-tu pas que nous soyons perdus ?" Et le Christ, trempé de pluie, noirci par les siècles, semblait répondre : "N’ayez pas peur." Ce n’était pas un spectacle. C’était une œuvre de salut. Une dramaturgie liturgique. Une parole incarnée.

La catéchèse de Timothy Schmalz 

François n’a pas eu recours qu’à des œuvres du XVIe siècle. Il est un autre artiste que François a particulièrement mis en lumière : Timothy Schmalz. Ce sculpteur canadien, auteur du célèbre Jésus sans abri, place la misère humaine au cœur du langage chrétien. Sa figure du Christ, allongé sous une couverture sur un banc, a été installée devant l’aumônerie du pape au Vatican. Elle interpelle, choque parfois, mais traduit une conviction chère au pontife : c’est Jésus que l’on croise dans la rue.

L’œuvre de Schmalz ne s’arrête pas là. En 2019, c’est encore lui qui a réalisé Angels Unawares, cette barque de bronze accueillie place Saint-Pierre et représentant 140 migrants blottis les uns contre les autres, issus de toutes les périodes de l’histoire humaine. Une aile d’ange surgit au centre, discrète et puissante, comme une irruption de grâce au cœur du chaos. Le pape lui-même bénit l’œuvre en rappelant que "ce n’est pas seulement une question de migrants, mais de tous les exclus, de tous les rejetés de nos sociétés". Avec Schmalz, l’espace public devient catéchèse. Ses sculptures, qu’il appelle des "prières visuelles", se dressent comme des homélies muettes, dans la continuité directe du langage pastoral de François.

L’art des rejetés

Cet usage de l’image rejoignait une constante du pontificat : François travaillait avec les pauvres, les exclus, les objets rejetés. À la prison d’Opera, des détenus fabriquaient des chapelets avec le bois des barques échouées à Lampedusa. D’autres y avaient sculpté un violon — le Violino del Mare — joué devant le pape au Vatican.

Pour le Jubilé 2025, une œuvre monumentale fut installée sur le parvis de l’église de la prison de Rebibbia. Ce n’étaient pas des gestes décoratifs. François faisait entrer les rejetés dans la liturgie du monde. Il les rendait visibles. Il le disait lui-même : "L’art ne rejette pas." Et à travers ses collaborations avec l’artiste Alejandro Marmo, sculpteur des périphéries, il affirmait que le matériau pauvre, rouillé, marginal, pouvait devenir beauté. Que le rebut pouvait devenir pierre d’angle. Que l’art était un instrument de miséricorde.

Des croix habitées

Même ses férules — ces croix liturgiques qu’il portait lors des grandes célébrations — participaient de cette grammaire visuelle. Conçues à partir de matériaux simples, souvent fabriquées par des artisans inconnus ou des communautés marginales, elles étaient des croix habitées. Des croix qui parlaient. Des croix qui refusaient l’apparat pour retrouver le poids du bois.

François le disait avec clarté dans La mia idea di arte : "L’artiste est le témoin de l’invisible. L’œuvre d’art est la preuve la plus forte que l’Incarnation est possible." Et il ajoutait : "Les mains sont ce qui nous donne la dignité." Ses mains, à lui, sculptaient des gestes. Et dans ses gestes, c’était le mystère du salut qui se donnait à voir.

Un testament par les signes

Toutes ces choses parlaient. Toutes prenaient place dans une scénographie pastorale assumée. Le pape était un pasteur qui pensait en images, un homme de théâtre sacré. Un pape qui gouvernait en signes. Il savait que le monde avait besoin d’être évangélisé non seulement par les mots, mais par des objets, des images, des gestes incarnés. Il donnait à voir ce que nous ne voulions pas voir. Il transformait des objets de rebut en images rédemptrices. Il accomplissait ce qu’il appelait lui-même une œuvre de miséricorde esthétique.

C’est pourquoi il parlait si souvent de la beauté. Une beauté qui n’était pas décorative mais théologale. Une beauté qui révélait, qui unissait, qui sauvait. "Suivre le Christ, disait-il, ce n’est pas seulement une chose vraie, c’est aussi une chose belle" — capable de remplir la vie de joie, même dans la difficulté. La beauté était donc, pour lui, une voie. Une catéchèse. Une espérance. C’était peut-être cela, le geste prophétique de son pontificat : non pas seulement des textes ou des exhortations, mais des actes d’art. Un art liturgique, pauvre, exigeant. Un art qui ne voulait pas seulement plaire, mais qui voulait nous sauver.

Note

"La mia idea di arte" n’a, à ce jour, jamais été traduit de l’italien. L’auteur de cette tribune en a assuré lui-même la traduction. Si un éditeur souhaite en proposer une édition française, enrichie des images associées et des discours du pape François sur l’art, il est invité à se rapprocher de l’auteur par l’intermédiaire de la rédaction d’Aleteia.

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