Benoît XVI et François, une “cohabitation” historique

La photo restera dans l’histoire. Jeudi 5 janvier 2023, il fait un froid glacial sur la place Saint-Pierre. Quelque 50.000 personnes sont venues assister dans un brouillard inhabituel à la messe d’enterrement de Benoît XVI, premier pape émérite depuis le XIIIe siècle. Alors que le cercueil en bois de cyprès est emporté dans les grottes vaticanes situées sous la basilique, le pape François l’arrête, pose sa main dessus, et s’incline. Quelques instants auparavant, il avait prononcé une brève homélie se concluant par cette prière : "Benoît, fidèle ami de l’Époux, que ta joie soit parfaite en entendant sa voix [celle de Dieu le Père, ndlr] définitivement et pour toujours !"

Ainsi s’achevait – sobrement – une cohabitation inédite dans l’histoire de l’Église catholique entre un pape régnant et son prédécesseur. Durant près de dix ans, les deux hommes auront vécu à quelques centaines de mètres, l’un retiré dans le silence du monastère Mater Ecclesiae du Vatican, l’autre arrimé au gouvernail de la barque de saint Pierre. Le pape François conviera à plusieurs reprises Benoît XVI aux grands événements d’Église, comme aux canonisations de Jean Paul II et Jean XXIII en avril 2014 ou bien à l’ouverture du Jubilé de la Miséricorde l’année suivante. À chaque consistoire, il ira par ailleurs présenter les nouveaux cardinaux à celui qu’il décrivait bien volontiers comme un "grand-père sage". 

Sur le fond, les deux hommes ne partageaient pas toujours les mêmes visions. Quand en 2020, la question de l’ordination d’hommes mariés s’imposa à l’occasion du Synode sur l’Amazonie, un plaidoyer de Benoît XVI pour le célibat sacerdotal fut publié ; et la proposition des pères synodaux en faveur de l'ordination des viri probati ne fut finalement pas reprise par le pape argentin, sans doute soucieux de garantir l’unité de l’Église. Mais les “deux papes” auront aussi partagé de nombreuses intuitions, comme celles de lutter contre toutes formes d’abus dans l’Église ou bien d’assainir les finances vaticanes. "Benoît XVI a lutté à mort contre les abus", saluait encore le pape François quelques semaines après ses funérailles.