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Sur la Terre, pas comme au ciel : une histoire de délire en fusée

Katy Perry - Fusée - espace - femmes
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Henri Quantin - publié le 23/04/25
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Dépense obscène, empreinte écologique sidérante, l’écrivain Henri Quantin ne cache pas sa perplexité. Comment croire que les six femmes expédiées quelques minutes dans l’espace par la fusée "Blue Origin" du milliardaire Jeff Bezos vont élever l’humanité ?

On connaissait "six personnages en quête d’auteur", voilà six femmes en quête de hauteur. Elles sont montées dans une fusée, ce 14 avril, sont restées onze minutes dans l’espace et sont redescendues triomphantes. "Le premier vol spatial exclusivement féminin !" : le slogan n’a pas suffi à faire des six touristes célestes des héroïnes : il ne faut pas confondre la légende d’une photo publicitaire et la légende de l’aérospatiale.

450.000 dollars le billet

Des voix se sont logiquement élevées pour s’interroger sur le bien-fondé de ce petit tour un peu plus près des étoiles. L’aspect financier a été pointé du doigt : 450.000 dollars le billet pour le ciel, on ne sait pas si c’est un prix d’ami, mais on peut estimer que ça fait cher le voyage. La plus médiatisée des six femmes, une chanteuse, s’est empressée d’assurer que ça valait le coup : elle a mis la note maximale aux organisateurs, comme dans une commande sur Amazon. Rapport qualité-prix très satisfaisant, donc : chacun pourra dépenser un demi-million chez ce vendeur en toute sécurité.

Les experts en nuisances humaines ont de leur côté calculé la quantité de CO2 émise par la chanteuse star de l’expédition : au moins 15 tonnes, soit, en onze minutes, ce qu’elle aurait dû émettre en huit ans. C’est raté pour le modèle d’émancipation féminine : on ne saurait être féministe sans être écologiste. Dans le langage de Libération, cela donne : "Elle est également devenue la nouvelle incarnation de la millionnaire qui va toujours plus loin pour bousiller la planète et l’avenir des futures générations. Elle a pris part au nouveau délire des ultra-riches : le tourisme spatial, un loisir particulièrement polluant."

Une image parfaite de la vie rêvée

Dépense obscène, empreinte écologique sidérante : les critiques les plus fréquentes sont évidemment fondées. Ce bref aller-retour céleste serait-il moins indécent s’il avait eu lieu dans une fusée non-polluante carburant à l’huile de colza, au prix d’un aller simple pour Issy-les-Moulineaux ? Peut-être, mais il n’en serait pas beaucoup moins absurde, tant il pousse la logique du selfie original entre copines à son paroxysme d’insignifiance exhibitionniste.

Sans doute ce vol est-il surtout une image parfaite de la vie rêvée par les gagnants du libéralisme mondialisé. Dans son beau roman Une Reine et rien d’autre (Ovadia), qui n’a sans doute pas reçu de la critique l’attention qu’il méritait, Hélène Raveau évoque avec force ce que laissent pressentir de tels loisirs spatiaux. Perceval Martin, le frère de l’héroïne — une jeune myopathe susceptible de changer le cours de l’Histoire par sa foi — se livre à une rêverie intérieure, qui a tout du cauchemar hélas possible :

Et déjà se profilait l’abominable avenir. Quelques-uns achèteraient plusieurs durées de vie. On remplacerait leurs organes par les organes des pauvres. Quant aux autres, on les laisserait mourir de leur bonne mort. Ainsi un petit cercle d’humains immensément fortunés se préparait-il à devenir immortel et à faire profiter de cette immortalité leurs seuls enfants. Ainsi se voyaient-ils déjà, comme les dieux antiques, trônant entre soi dans leurs empyrées, indifférents et heureux, élus par l’argent. Ce seraient eux qui feraient du tourisme sur Mars, eux seuls qui maîtriseraient les rets du numérique, eux seuls dont les corps ne se déformeraient pas, et surtout pas ceux des femmes qui loueraient des ventres prolétaires pour porter leur progéniture. On les voyait déjà, ces ventres à visages alignés sur des lits de planches comme des vaches à l’étable, placides, immobilisés pendant neuf mois afin que mûrissent en toute sécurité les précieux fruits des amours supérieures.

Celui qui s’élève sera abaissé

De fait, au-delà même des conséquences écologiques et de l’indécence financière, c’est l’instauration tacite d’un nouvel Olympe qui frappe. Jusqu’ici, présenter les aviateurs comme des dieux relevait de la simple figure de style ; et présenter le Christ comme un homme s’élevant dans l’espace relevait plutôt de la satire qui désacralise. Ainsi d’Alfred Jarry, racontant la Passion comme une course cycliste et achevant sa parodie ainsi : "On sait aussi qu’il continua sa course en aviateur… mais ceci sort de notre sujet." Et Apollinaire, comme en écho, mais dans une intention plus ambivalente, reprend l’image :

C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche./
C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs./
Il détient le record du monde pour la hauteur.

Blague facile ou questionnement caché, le Christ dans les airs n’a pas grand-chose à voir avec la publicité pour le tourisme spatial. Car l’"aviateur" de Jarry et Apollinaire a surtout enseigné, dans le prolongement de l’Incarnation, que celui qui s’élève sera abaissé et que celui qui s’abaisse sera élevé. C’est pourquoi, pour trouver un sens à l’existence terrestre, il vaut mieux croire en un Dieu qui a marché sur la Terre qu’en des femmes et des hommes qui jugent que c’est en fusée qu’on atteint le plus haut niveau d’humanité. Au slogan publicitaire des six touristes spatiales, on peut donc préférer la leçon du capitaine Haddock, à la descente de sa fusée lunaire : "On n’est vraiment bien que sur cette bonne vieille Terre."

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