Le pape François aura jusqu’à la fin pris au dépourvu. Hier encore, jour de Pâques, il est apparu, alors qu’on n’y comptait pas, pour bénir la foule, bien qu’il fût en fragile convalescence après une hospitalisation dont il avait semblé qu’il ne sortirait pas. Et ce matin, on est encore plus pris de court en apprenant qu’il "est retourné à la maison du Père". Rétrospectivement, cette ultime apparition, applaudie et acclamée, est comme un écho du modeste succès populaire des Rameaux, qui prélude à la Passion et annonce l’éblouissante gloire que le vide du tombeau proche du Golgotha ne suffit pas à révéler aux yeux incrédules.
Ce pape aura été inclassable : trop audacieux, trop libéral, trop ouvert, trop moderne, trop anticonformiste et anticlérical pour les uns ; et pour les autres, trop conservateur, trop autoritaire, trop timide dans les réformes et révisions, trop dédaigneux des apports et des ressources des vieilles chrétientés.
La mission du successeur de Pierre
C’est justement de ces paradoxes qu’il convient de rendre grâce. Car elles sont le propre non pas d’une personnalité, mais de la mission impartie au successeur de Pierre. S’il est appelé à "affermir ses frères", c’est parce que lui-même a été à leur tête, à la suite de Jésus et comme celui-ci l’a prévu et voulu, "passé au crible comme le froment" (Lc 22, 31-32), c’est-à-dire tiraillé de tous côtés, tour à tour admiré et rejeté.
L’important n’est donc pas de savoir si ce pape-là a répondu aux attentes, quel bilan peut être dressé des douze années de son pontificat, ni quelle place lui sera accordée dans l’histoire. Il faut plutôt se demander jusqu’à quel point il a permis de percevoir la cohérence de la foi par-delà ses apparentes contradictions. S’il a enthousiasmé et même séduit au-delà des milieux "bien-pensants", et en même temps exaspéré certains croyants qui auraient préféré qu’il les approuve plutôt que de les enseigner, c’est un signe qu’il lui a été donné d’imiter le Christ.
Un témoin du Christ
La question n’est pas non plus de deviner qui sera le prochain pape, ni de brosser le portrait-robot du successeur souhaité. Le développement des moyens de communication a considérablement augmenté l’audience de l’évêque de Rome et tendu à donner plus d’importance à celui qui emplit cette fonction, à son style, ses humeurs et ses prises de position ponctuelles, qu’au service décisif qu’il est appelé à rendre : pas seulement gouverner l’Église et assurer son unité, mais — plus fondamentalement — faire redécouvrir la déconcertante et inépuisable et nouveauté du Messie crucifié et relevé d’entre les morts.
Il ne faut pas s’y tromper : la foule massée place Saint-Pierre le matin de Pâques n’était pas venue uniquement dans l’espoir d’apercevoir le fils argentin d’Ignace de Loyola qui avait choisi François d’Assise comme parrain, mais pour fêter la Résurrection de Jésus de Nazareth. Tous ces gens, et aussi ceux qui ont pu suivre l’événement à la télévision, et même ceux qui en ont été informés plus tard, ont eu droit à un éloquent témoin de la merveille qui les rassemblait : l’amour "jusqu’au bout" (Jn 13, 1), dans une offrande de soi qui ne craint pas la mort.