HABEMUS PAPAM !
HABEMUS PAPAM !    Inscrivez-vous à notre newsletter !
separateurCreated with Sketch.

Pourquoi la (véritable) beauté dérange ?

Nicolas-Regnier-Jeune-femme-a-sa-toilette-Lyon-Musee-des-Beaux-Arts

"Jeune femme à sa toilette", de Nicolas Régnier, Lyon, Musée des Beaux-Arts.

whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Jean-François Thomas, sj - publié le 20/04/25
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
La voir aussi dans les imperfections. Tel est l’amour de la véritable beauté, affirme le père Jean-François Thomas dans sa chronique bi-mensuelle pour Aleteia.

PAPE LÉON XIV

Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter quotidienne.

Je m'inscris

Les peintres, comme les poètes, portent sur le monde un regard qui est décalé par rapport à celui du commun des mortels et leur vision des choses et des êtres est souvent la plus juste, correspondant à ce pour quoi tout a été créé. Claude Monet a par exemple cette remarque étonnante : "De ma vie, je n’ai jamais rien vu qui fût laid." Il dira aussi : "Je n’ai fait que regarder ce que m’a montré l’univers." Hélas, nous sommes rarement capables d’adopter une telle attitude, plutôt sensibles que nous sommes à détecter d’abord la laideur, nous décourageant ensuite pour poursuivre une quête que nous jugeons perdue par avance. Bien sûr, nous protestons et nous jurons nos grands dieux si nous sommes accusés de ne point aimer la beauté ! Cependant la beauté, celle qui n’est pas superficielle ou strictement matérielle, nous désarçonne, à tel point que nous pouvons même la haïr. 

Chercher la beauté

La beauté nous échappe souvent car nous nous arrêtons à des impressions presque instinctives et nous nous bloquons comme des ânes têtus, alors que nous n’avons pas terminé le chemin. Jean Paulhan rapporte, dans une lettre à Roger Caillois, une anecdote fabuleuse à propos de Georges Braque :

"Je montrais à Braque un faux Braque, faux mais très bien imité, jusqu’à la signature. Comme il faisait la grimace : "Enfin ce sont bien là vos couleurs : ce bleu ne trompe pas, ni ce violet. — Ce sont bien mes couleurs. — C’est votre composition ; ce sont bien vos traits ; c’est votre atmosphère. — Pas de doute. — Vous auriez pu le peindre. Croyez-vous que je ne sois pas capable de faire de faux Braque ? — Qu’est-ce que vous lui reprochez, enfin ? — C’est qu’il serait plutôt le contraire d’un Braque. — Comment l’entendez-vous ? — Je vais vous le dire : il est beau." "

Non point que Braque fût à la recherche de la laideur, mais la beauté ne pouvait être contenue dans une simple copie léchée et sans âme. Il faut parfois chercher la beauté là où elle n’est pas forcément attendue.

Le regard du Christ

Notre-Seigneur nous donne des béquilles pour redresser notre jugement lorsqu’Il voit dans la femme pécheresse en pleurs la lumière que le pharisien Simon n’est pas capable de percevoir. Lui qui est la Beauté ne réduit pas cette dernière à l’harmonie, toujours imparfaite en ce qui regarde les êtres humains et les choses créées par l’homme. Le Christ perce le mystère et l’essence de toute chose jusqu’à sa racine. Il sauve ce qui peut l’être, ne cherchant pas une perfection qui n’est pas de l’ordre de notre nature. Il hisse notre médiocrité et transforme notre laideur, non point à coups de pinceau mais en s’abaissant dans notre fange, tout en demeurant bien sûr hors du péché. Il s’attache à l’inimitable en chacun, Il est un potier qui ne rejette pas nos bords ébréchés et nos malfaçons.

À un moindre niveau, le véritable artiste sait que la beauté réside parfois dans la maladresse. On raconte du peintre chinois Chen Hongshou, au XVIIe siècle, qu’il ne cessait de copier une peinture archaïque du maître Zhou Fang ayant vécu au VIIIe siècle. Ses peintures étaient bien meilleures que l’original et certains le lui firent remarquer. Il répondit : "C’est précisément pourquoi elles ne le valent pas. Il n’est que trop facile de voir la beauté de mes copies, mais c’est en cela qu’elles échouent. Tandis que l’art de Zhou Fang est suprême : là où il paraît maladroit, il est inimitable" (Vie de Chen Hongshou). Tel est l’amour de la véritable beauté : voir aussi la beauté dans les imperfections.

Pourquoi la beauté dérange

Sinon l’empire du laid s’installe. Les exemples pullulent. Paul Claudel, dans son Journal, note déjà la réaction hostile d’un de ses voisins de Brangues abattant un orne séculaire, incapable d’y déceler de la beauté sous le prétexte que "cet arbre donnait de l’ombre et était infesté de rossignols". Simon Leys souligne que "la beauté appelle la catastrophe" (Le Bonheur des petits poissons). Il constate avec justesse : "Les vrais philistins ne sont pas des gens incapables de reconnaître la beauté — ils ne la reconnaissent que trop bien, ils la détectent instantanément, et avec un flair aussi infaillible que celui de l’esthète le plus subtil, mais c’est pour pouvoir fondre immédiatement dessus de façon à l’étouffer avant qu’elle ait pu prendre pied dans leur universel empire de laideur."

Le docteur de la Loi sait qui est le Christ, mais il Le persécute par haine d’une vérité qui le dépasse. Quant aux vandales dans l’art, ils sont légion, toujours aux aguets pour enlaidir, pour détruire, posant dans les lieux les plus sacrés et les plus harmonieux leurs propres œuvres parasitaires comme autant de furoncles. Le sinologue belge poursuit :

"Car l’ignorance, l’obscurantisme, le mauvais goût, ou la stupidité ne résultent pas de simples carences, ce sont autant de forces actives, qui s’affirment furieusement à chaque occasion, et ne tolèrent aucune dérogation à leur tyrannie. Le talent inspiré est toujours une insulte à la médiocrité. Et si cela est vrai dans l’ordre esthétique, cela l’est bien plus encore dans l’ordre moral. Plus que la beauté artistique, la beauté morale semble avoir le don d’exaspérer notre triste espèce. Le besoin de tout rabaisser à notre misérable niveau, de souiller, moquer, et dégrader tout ce qui nous domine de sa splendeur est probablement l’un des traits les plus désolants de la nature humaine." 

Être regardé dans sa beauté

Ce constat correspond à l’acharnement contre le Fils de l’homme car sa lumière est insupportable. Ce n’est point seulement une tragédie du passé, puisque Notre-Seigneur continue d’être haï directement ou bien à travers ses disciples qui confessent leur foi courageusement, parfois jusqu’au sang du martyre. Si cette Beauté absolue et éternelle est attaquée, il n’est pas étonnant que toutes les bribes de beauté le soient aussi, systématiquement, sans relâche et sans repos. Notre constant souci semble bien d’enlaidir et de nous enlaidir malgré toutes nos singeries et nos maquillages pour prétendre l’inverse. Dans un monde de plus en plus sensible à l’apparence physique, la course à la laideur n’a jamais été aussi intense. La Beauté n’est pas aimée car elle ne se contente pas des critères en vigueur dans les concours de reines de beauté.

Le regard du Christ sur ses enfants remet les pendules à l’heure mais nous ne sommes guère enclins à suivre ce modèle. Chaque être qui a croisé les pas de Notre-Seigneur durant sa vie publique et terrestre a bénéficié de ce présupposé favorable : il a été regardé dans sa beauté, malgré ses imperfections. Ce regard continue de se poser sur chaque homme, permettant d’échapper à notre laideur.

Découvrez aussi les plus belles pensées des saints sur la beauté

Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)