Durant son pontificat, Benoît XVI s’est rendu aussi souvent en Espagne que dans son Allemagne natale : avec trois voyages apostoliques, ce pays marqué par la tradition catholique mais aussi par une sécularisation parfois agressive a fait l’objet d’une attention particulière de la part du pontife allemand, qui était hispanophone. À Barcelone, c’est même en alternant entre deux langues, le catalan et l’espagnol, qu’il prononça une homélie remarquée lors de la messe de consécration de la Sagrada Familia, le 7 novembre 2010.
Dans cette basilique toujours en chantier qu’il avait qualifiée de "merveilleuse synthèse de technique, d’art et de foi", Benoît XVI rendit hommage à tous ceux qui avaient œuvré à cette œuvre unique, renouvelant l’épopée des bâtisseurs de cathédrales qui marquèrent l’histoire européenne au fil des siècles. "Nous nous souvenons surtout de celui qui fut l’âme et l’artisan de ce projet : Antoni Gaudí, architecte génial et chrétien cohérent, dont le flambeau de la foi brûla jusqu’à la fin de son existence, vécue avec une dignité et une austérité absolue", expliqua alors Benoît XVI.
Un projet porté par la Providence
"Ce qui m’a particulièrement ému, c’est l’assurance avec laquelle Gaudí, face aux innombrables difficultés qu’il devait affronter, s’exclama plein de confiance en la divine Providence : ‘Saint Joseph complètera l’église’. Par conséquent, il n’est pas sans signification maintenant que ce soit un Pape dont le nom de baptême est Joseph qui en fasse la dédicace", confia Benoît XVI avec une délicatesse qui fit sourire l’assistance, dans laquelle figuraient le roi et la reine d’Espagne.
"Dans ce cadre, Gaudí a voulu unir l’inspiration qui lui venait des trois grands livres dont il se nourrissait comme homme, comme croyant et comme architecte : le livre de la nature, le livre de la Sainte Écriture et le livre de la Liturgie", expliqua le successeur de Jean Paul II, venu pour sa part 28 ans auparavant, jour pour jour, le 7 novembre 1982.
L’architecte catalan "collabora ainsi de manière géniale à l’édification d’une conscience humaine ancrée dans le monde, ouverte à Dieu, illuminée et sanctifiée par le Christ", souligna le pontife allemand. Il expliqua retrouver dans les intuitions de Gaudí des préoccupations communes avec sa propre pensée : "dépasser la scission entre conscience humaine et conscience chrétienne, entre existence dans ce monde temporel et ouverture à la vie éternelle, entre la beauté des choses et Dieu qui est la Beauté".
Une vie austère et des disciples contemporains
C'est en 1883, à seulement 31 ans, que Gaudí se voit confier la direction des travaux de l’église de la Sagrada Familia. Cet homme resté célibataire toute va vie assumera une vie austère, au point de frôler la mort en 1894 en raison d’un jeûne extrême. Le 7 juin 1926, il est renversé par un tramway à Barcelone. N’étant pas identifié, il est emmené à l’hôpital de la Santa Creu, considéré comme l’établissement des pauvres de la capitale. Il y décède le 10 juin après avoir reçu les derniers sacrements, prononçant ces derniers mots : "Mon Dieu, mon Dieu !".
Quelque 30.000 personnes ont participé à son cortège funèbre dans la ville. Il est aujourd’hui enterré dans la chapelle Notre-Dame du Mont Carmel, dans la crypte de la Sagrada Familia. Antoni Gaudí aura consacré plus de 40 ans de sa vie à la construction de la basilique aux 18 tours, projet monumental de 4.500 mètres carrés considéré comme un chef-d’œuvre architectural, mais encore inachevé. Son achèvement est cependant prévu en 2026, à l’occasion du centenaire de la mort de son concepteur.
Le lien de Benoît XVI avec Gaudí s’est également manifesté lorsque le sculpteur japonais Etsurō Sotoo, né à Fukuoka en 1953, est devenu l’an dernier le premier asiatique à recevoir le prix Ratzinger, attribué depuis 2011 à des personnalités du monde culturel et universitaire.
Lauréat en Beaux-Arts de l’université de Kyoto, cet artiste fut bouleversé par une visite du chantier de la Sagrada Familia à Barcelone en 1978, un choc qui l’a conduit au baptême dans la religion catholique. Il a contribué au chantier de cette basilique en tant que sculpteur, suivant les indications laissées par Antoni Gaudí, dont il soutient activement la cause de béatification.