Comme chaque année, nous nous attendons encore une fois à voir se déployer, devant nous, les spectateurs et les acteurs de la Résurrection. Qui sont-ils ? Les anges, les apôtres, Marie-Madeleine, le Christ… Et nous aussi, peut-être : spectateurs ou acteurs ? Pour un chrétien, l’événement de la Résurrection éveille une double attente. Depuis la résurrection du Christ, nous attendons, dans la foi, notre propre résurrection. Si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine. Allons-nous pourtant réduire notre vie à cette attente d’autant plus lointaine qu’elle est promise, non pas après notre mort, mais à la fin des temps ?
Chaque fois que nous nous sommes trouvés devant la tombe d’un proche, pour prier à son intention, le contraste entre les souvenirs que nous avions de lui, vivant, et de son corps inerte tel que nous pouvons l’imaginer, nous a fait… froid dans le dos. Ce frisson est sain. Il nous jette face au mur de la réalité qu’il nous faut affronter. Ce n’est rien comparé au frisson que nous devons éprouver face à une "immortalité numérique" promise pour 2030, dit-on, ou face à une intelligence artificielle qui risque de priver notre monde de tout ce qu’il a d’humain. Quel monde d’horreurs ces ambitions nous préparent et comment, chrétiens et moines, devons-nous réagir ?
Des cailles "toutes cuites dans le bec"
Arrêtons-nous sur l’événement lui-même tel qu’il nous est rapporté par les quatre évangélistes et sur les acteurs de la Résurrection. Les anges ? Nous ne sommes pas des anges… Laissons-les de côté, ils furent chargés d’annoncer la Bonne Nouvelle. Les réactions des disciples sont plus intéressantes puisque nous sommes nous aussi les disciples de Jésus. L’un après l’autre, ils furent appelés par le Christ à sa suite. Nous aussi, chacun selon notre vocation dans l’Église. Pendant trois ans, ils vécurent ensemble, avec lui, s’efforçant d’écouter un enseignement des plus déroutant. Nous aussi, chacun dans les communautés chrétiennes où nous vivons. Ils avaient la tête dure et le cœur lent à croire, ce qui ne les empêchait pas de vouloir faire tomber le feu du ciel sur les autres, ceux qui "n’écoutaient pas" Jésus. Nous faisons de même. Ils avaient fait le bon choix, s’étaient attachés au bon maître. Nous aussi. Au moment décisif, tous s’enfuirent, sauf Jean et la Vierge, bien sûr. La mort de Jésus les laissa désemparés. Nous aussi.
N’y a-t-il pas là quelque chose à attendre de la Résurrection, dès aujourd’hui ? Peut-être, à partir des spectateurs de la résurrection que nous sommes, devenir des acteurs du salut…
Peut-être faut-il passer par là. Peut-être qu’un disciple du Christ doit nécessairement, pour suivre son maître, traverser les nuits qu’il a traversées et voir s’effondrer les appuis qu’il s’était lui-même construit. L’histoire du salut que raconte l’Ancien testament et que la Veillée pascale survole, n’enseigne-t-elle pas cette confiance absolue en Dieu, hors de tout appui, loin des oignons d’Égypte, de la manne et des cailles qui nous tombent "toute cuites dans le bec" ? Quelle est cette "vie nouvelle" dont parle saint Paul dans l’épître aux Romains ? Ce n’est pas seulement une vie "après la mort" ! Que signifie, pour nous aujourd’hui, "être vivants pour Dieu en Jésus-Christ" (Rm 6, 11) ? N’y a-t-il pas là quelque chose à attendre de la Résurrection, dès aujourd’hui ? Peut-être, à partir des spectateurs de la résurrection que nous sommes, devenir des acteurs du salut…
Individu ou personne capable de Dieu ?
Nous pourrions attendre de la Résurrection millésime 2025 — il est un peu trop tôt pour dire si la pluie sera suffisante dans les vignes et si le vin sera bon cette année —, attendre un choc du type de celui qui jeta Saül à terre, sur le chemin de Damas, pour en faire, quelques jours plus tard, après qu’il ait rencontré Ananie, Paul, l’apôtre des nations. Ou bien attendre un autre choc, celui qu’éprouva le disciple que Jésus aimait, entrant dans le tombeau, qui vit et qui crut. Il lui faudra encore un demi-siècle pour devenir l’évangéliste qui nous racontera, au matin de Pâques, la rencontre de Marie-Madeleine avec Jésus ressuscité.
Vous m’avez compris : Dieu, qui est éternel, a besoin de temps pour nous transformer. Les disciples étaient membres d’une communauté dont le Christ était la tête incontestée. Il faudra le tombeau vide, de nombreuses apparitions, son Ascension auprès du Père, le don de l’Esprit Saint, pour que cette communauté devienne le Corps du Christ, du Christ absent. Absent ? Non, présent autrement : "Je suis avec vous, pour toujours, jusqu’à la fin du monde", a-t-il promis. Laissons mourir ce qui mérite de mourir sans regret, puisqu’il s’agit de renaître. Que meure l’individu qui se rêve indépendant et veut que tout soit possible. Qu’il renaisse, personne créée à l’image de Dieu et capable de Dieu, une personne qui prend en compte la réalité du monde et sa finitude, avec des désirs et donc la capacité d’attendre. Une chance splendide nous est offerte, celle de ressusciter aujourd’hui, avec le Christ, sans attendre la vie éternelle !

