PAPE LÉON XIV
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Retrouvée en 1804, l’authentification de la relique de la Sainte-Tunique par le témoignage du curé Ozet, le prêtre assermenté qui avait sauvé la relique de la fureur révolutionnaire et qui avait découpé le tissu en plusieurs morceaux, va, certes, permettre de l’offrir de nouveau à la vénération des fidèles mais l’élan de piété d’autrefois est brisé. Bien sûr, en 1864, son office propre est rétabli, en 1866, la basilique Saint-Denys d’Argenteuil la reçoit mais peu de gens s’en soucient encore dans le climat de déchristianisation ambiant. C’est dans ce contexte que l’évêque de Versailles, Mgr Goux, en 1882, décide de recourir à une expertise scientifique, test qu’il renouvellera dix ans plus tard. En examinant le puzzle qu’est devenu le vêtement, sale, endommagé, et dont certains morceaux, confiés à des paroissiens, n’ont pas été retrouvés, les scientifiques le trouvent "soyeux" comme de "la laine de chameau", diront-ils, influencés par l’origine orientale supposée de l’habit.
Soyeux, oui, sauf à des endroits où l’étoffe est littéralement raide d’une substance qui, à première vue, ressemble à du sang, et l’a imbibée sur toute son épaisseur. C’est d’ailleurs afin de s’en assurer que Mgr Goux fait renouveler les examens en 1892. Cette fois, les experts confirment que la tunique est vraiment sans couture, que l’étoffe, en fait en laine de mouton, semble dater de l’Antiquité ; le résultat le plus précieux confirme que les tâches sont bien du sang humain. En 1932, à l’approche de l’ostension prévue pour 1934 qui n’enthousiasme guère les autorités ecclésiastiques, de nouvelles analyses révéleront des traces chimiques de sueur et de sang, compatibles avec la sueur de sang de l’agonie à Gethsémani, et les emplacements de ces tâches sont compatibles avec celles qu’auraient pu laisser la flagellation et le portement de croix. L’Église reste cependant circonspecte, d’autant qu’Argenteuil, jadis village campagnard, puis banlieue maraîchère, est désormais une cité rouge et anticléricale où il paraît absurde d’organiser l’ostension. Elle aura pourtant lieu, à cause de l’insistance du maire communiste et, contre toute attente, en cette période politiquement troublée, attire les foules.
Le vol qui a tout changé
Tout laisse supposer que cette cérémonie sera la dernière. En effet, la prochaine ostension aura lieu en 1984, et, en ces années d’après Vatican II, l’éradication des manifestations de piété populaire et du culte des reliques, superstitions dépassées, incite à laisser sombrer dans l’oubli la prétendue sainte tunique dont des chrétiens éclairés n’ont plus besoin pour croire ou pas au Jésus de l’histoire ou à celui de la foi. Renoncer à l’ostension est quasi acté, et certains prêtres affirment même dans les médias locaux leur désintérêt total pour "les choses du passé" lorsque, le 13 décembre 1983, venu jouer de l’orgue dans la basilique, un séminariste découvre, effaré, que l’on a fracturé la châsse et que la sainte Tunique a disparu. L’on avait beau prétendre ne pas y tenir, c’est quand même la panique, d’autant qu’une revendication, si aberrante et contradictoire qu’elle semble œuvre d’un malade mental ou d’un plaisantin, achève de jeter la confusion dans les esprits. Alors que personne ou presque ne se souvenait plus de l’existence de la relique, son vol provoque l’intérêt des médias, télévision comprise, l’affaire culminant avec la réapparition, quand on n’osait plus y croire, en février 1984, du vêtement perdu que l’on prétend découvert devant le presbytère avec un mot d’excuse anonyme.
C’est tellement abracadabrant que l’on ira jusqu’à soupçonner des "intégristes" d’avoir volé la relique pour lui faire de la publicité et obtenir le maintien de l’ostension, qui aura lieu, en effet et connaîtra, médiatisation oblige, un succès inespéré. En fait, à en croire Jean-Christian Petitfils dans son ouvrage consacré à la sainte tunique d’Argenteuil, (Tallandier 2024), et selon les confidences du curé de l’époque, les voleurs de la relique auraient été deux jeunes militants d’ultra-gauche, issus d’un milieu déchristianisé où l’on pratiquait l’occultisme, qui auraient trouvé malin de la dérober, sans trop savoir ce qu’ils allaient en faire, jusqu’au moment où l’un des deux, à son contact, foudroyé par la grâce et, dépassé par son acte, la restitua et se convertit.
Sous les projecteurs
Quoi qu’il en soit, ces événements ont le mérite de remettre la sainte Tunique sous les projecteurs et incitent l’évêché de Pontoise, dont relève désormais Argenteuil, à faire pratiquer de nouvelles analyses scientifiques. Nous sommes en 1998 et elles seront déterminantes, puis encore amplifiées par une nouvelle batterie de tests en 2004. À leur issue, il en ressort que la tunique est en laine de mouton, mais d’une race très ancienne, où les gênes du mouflon sauvage peu à peu domestiqué au Proche Orient sont encore très présents. Les experts en tissus anciens identifient un type de tissage antique propre à la Palestine. Les fibres ont été colorées en rouge avec de la garance tinctoriale fixée à l’alun comme cela se pratiquait autrefois. L’on retrouve dans les fibres de nombreux pollens, pour l’essentiel endémiques de la région de Jérusalem correspondant à ceux retrouvés sur le Linceul de Turin et le Suaire d’Oviedo.
Quant aux experts médicaux, ils confirment, de leur côté, la présence de sang humain de groupe AB en quantité, et que ce sang comporte des anomalies propres à une situation traumatique intense d’une extrême violence, correspondant aux souffrances de la Passion. Ils constatent que les taches de sang se concentrent, dans le dos, là où la croix aurait pesé de tout son poids et laissent supposer que le Christ la porta entière, comme le disait la Tradition, et non pas seulement sa partie transversale, le patibulum, causant une plaie horrible au creux de l’épaule gauche, précision qui renvoie à une confidence de Jésus faite, dans une apparition, à saint Bernard, anxieux de savoir, afin de lui rendre un culte, laquelle des plaies du Sauveur l’avait le plus fait souffrir. Enfin, en superposant les clichés de la tunique, du linceul et du suaire, la concordance des blessures et des traînées de sang ne laisse aucun doute quant au fait que ces étoffes ont recouvert un seul et même corps supplicié, vivant, puis mort, puis…
Certes, les analyses au Carbone 14 vont, une fois de plus, affirmer une datation médiévale, postérieure à l’époque où la présence de la Tunique à Argenteuil est attestée et en contradiction flagrante avec toutes les autres conclusions scientifiques. Cela n’empêchera pas les fidèles d’affluer vénérer cette année encore le Vêtement ou, plus réellement, Celui qui l’a sans doute porté. Et de se dire, en contemplant ces traces de sang : "Cette goutte-là, c’est pour moi qu’elle a été versée quand une seule eût suffi à racheter l’univers tout entier. Que suis-je donc pour avoir mérité pareil amour ?"
