Reflet d’une société de plus en plus individualiste, le mouvement "no kids" se propage et s’impose progressivement dans les mentalités. Inspiré par Simone de Beauvoir qui avait la maternité en horreur – elle compare, dans Le Deuxième sexe (1949), la grossesse à un "drame" et l’enfant à un "parasite"–, il s’est renforcé ces dernières années avec l’argument écologique selon lequel ne pas avoir d’enfant contribue à sauver la planète. En 2007, Corinne Maier publie No Kids, 40 raisons de ne pas avoir d’enfants, traduit en douze langues. En 2017, glissement sémantique : on privilégie l’expression "childfree" (libre d’enfant) à "childless" (sans enfant), jugée plus positive. En 2020, le livre Échographie du vide met en scène une femme qui préfère avoir un chat plutôt qu’un enfant et décide de se faire ligaturer les trompes. En 2022, dix femmes témoignent dans Mal de mères de leur regret d’être mère. Et en 2023, la vétérinaire Hélène Gateau sort Pourquoi j’ai choisi d’avoir un chien (et pas un enfant), illustrant ainsi le nouveau concept de "petparenting" (considérer son animal de compagnie comme un enfant). L’évolution est flagrante : la maternité est dénigrée, et l’enfant, rangé au placard et sacrifié au nom de la sacro-sainte Gaïa (déesse de la Terre) ou de la plus précieuse encore liberté individuelle.
En réponse à ces injonctions insidieuses mais bien présentes, Gabrielle Cluzel, rédactrice en chef de Boulevard Voltaire, prend vivement la défense de la maternité, injustement clouée au pilori. "Il faut bien que quelqu’un se dévoue pour dénoncer cette puérophobie ou maternophobie d’atmosphère !", s’exclame-t-elle. Mêlant investigations journalistiques et témoignage personnel – elle a elle-même sept enfants –, la journaliste redonne à la maternité ses lettres de noblesse, de nombreux exemples à l’appui, invitant les femmes à se dégager de ces nouveaux diktats.
Aleteia : Vous prenez fermement la défense de la maternité. Pensez-vous qu’elle est menacée aujourd’hui ?
Gabrielle Cluzel : Oui je pense que la maternité est menacée. Il y a une puérophobie ou une maternophobie d’atmosphère. L’une et l’autre sont là. Tous les discours convergent vers l’idée que l’enfant serait un inconvénient. L’enfant est présenté comme une gêne, un fardeau, à laisser au bord de la route pour aller plus vite et plus loin. La pilule est prescrite comme l’alpha de la libération de la femme, l’IVG, l’oméga. Tout remède à la procréation est présenté comme une bénédiction. La maternité serait donc une malédiction, et cette petite musique se diffuse et s’impose progressivement.
Les femmes qui se définissent comme "childfree" voient dans l’absence d’enfant un gage de liberté et une possibilité de s’épanouir. Pourquoi se trompent-elles ? au sens où une mère demeure libre et peut s’épanouir !
Il y a là une vraie entourloupe ! On fait croire qu’un enfant demeure toujours ce petit être qui demande du temps et de l’attention, mais il ne reste pas petit toute sa vie ! On réduit la maternité à la fatigue et aux contraintes des premières années. Mais les voyages qu’on ne peut pas faire lorsqu’ils sont petits, on les fait quand ils sont plus grands ! Et rencontrer ses enfants est un vrai voyage aussi ! Comment ne pas préférer faire la rencontre de ses propres enfants plutôt que celle des autres, à l’autre bout de la terre ? Marguerite Duras, la seule femme écrivain de sa génération à avoir promu la maternité, écrit : "Ce n’est pas possible de ne pas avoir d’enfants, c’est comme si on ignorait la moitié du monde, au moins". La maternité ne change pas une femme, elle reste fondamentalement la même, mais la maternité augmente la femme. C’est une tempête, une exacerbation de sensations, de sentiments, d’affection… On est un monde qui veut faire des "expériences", eh bien quand on ne veut pas d’enfant, on se prive de ces expériences !
Pensez-vous que le désir d’enfant est inscrit en chaque femme ?
Oui, je pense que le désir d’enfant est inscrit en chaque femme et ce qui me semble le démontrer, c’est le témoignage de cette institutrice qui demande à des petites filles de maternelle si elles veulent avoir des enfants plus tard. Elles lèvent toutes le doigt ! À 25 ans, plus personne ne veut. Lesquelles sont conditionnées par la société ? Ce ne sont pas celles de 5 ans ! Je pense que la société conditionne les femmes à éteindre leur désir de maternité. Et la maternité se déploie même quand on n’a pas d’enfant. Dans les entreprises, pourquoi ce sont les femmes qui pensent à faire signer les cartes d’anniversaire ? Parce qu’elles ont une générosité liée à leur potentialité maternelle. Ce désir d’enfant imprègne toute la personne. Il s’exprime plus ou moins et il y a peut-être des exceptions mais globalement, cette délicatesse, cette générosité, cette attention aux autres que l’on prête aux femmes, c’est un fait, et c’est lié à cette potentialité maternelle.
Vous appelez les femmes à s’écouter et à user de leur liberté, mais que dire à celles à qui la maternité fait peur ?
Aujourd’hui on peut avoir peur du regard que les autres posent sur la maternité, on est sans cesse jugé sur le nombre d’enfants, le fait qu’ils soient rapprochés… Mais c’est étonnant parce que l’invitation à s’écouter imprègne toute notre société : dans tous les registres de la vie, on nous dit "écoutez vos désirs, ayez un petit grain de folie, soyez déraisonnable, faites ce que vous avez envie de faire" sauf pour la maternité ! "Fais attention, tu ne vas pas pouvoir faire carrière, tu ne pourras plus voyager, ce n’est pas bon pour la planète, ça coûte cher…" Mais ne réfléchissez pas trop ! Écoutez votre besoin personnel. Libérez la mère qui est en vous ! Soyez mère si vous le voulez !
Vous vous décrivez comme une mère bohème, pas manuelle pour un sou et désorganisée, et vous avez sept enfants, cela prouve donc qu’il n’est pas nécessaire d’être organisée pour avoir une famille nombreuse ?
Pas besoin d’être organisée, ni manuelle ! Je ne sais pas coudre un bouton, j’aime bien cuisiner mais il faut que ça aille vite. J’entends souvent : "avec autant d’enfants, tu dois être très organisée", mais non ! Si j’étais très organisée, j’aurais sans doute du mal à supporter l’imprévu, le désordre, le fait que tout ne soit pas nickel. Il faut sortir des clichés qu’on nous impose. De même, avoir et élever correctement des enfants n’empêchent pas d’avoir une carrière. Zélie Martin était à la tête d’une entreprise qui employait une vingtaine de dentellières, elle avait des préoccupations de chef d’entreprise et ses enfants ne sont pas si mal élevées ! (Sainte Zélie Martin est la mère de sainte Thérèse de Lisieux, N.D.L.R.) Il y a plein d’exemples qui montrent qu’on peut être une femme comme on le souhaite en ayant des enfants. Il y a cette crainte chez les femmes de se dissoudre dans la maternité. Mais une femme ne se dissout pas dans la maternité, elle s’augmente.
Quelles femmes vous inspirent en tant que chrétienne ?
J’aime bien écrire donc je pense à la Comtesse de Ségur, qui a fait graver l’épitaphe, sur sa pierre tombale, "Dieu et mes enfants", qui résume toute sa vie. Elle s’est mise à écrire à 50 ans et a eu le succès qu’on connaît. Elle n’a pas écrit malgré sa maternité mais grâce à sa maternité, comme Madame de Sévigné. Caroline Aigle est aussi une femme incroyable. Elle a mené un combat sur un terrain qu’on pense masculin, mais son dernier combat, celui pour lequel elle s’est sacrifiée, c’est celui de la maternité. Elle a choisi de donner toutes les chances de vivre à son enfant. Je pense aussi à Chantal Delsol, philosophe et mère de six enfants, à la fois intellectuelle et manuelle – elle aime coudre ! Je l’ai entendue dire que ce qui l’a rendue le plus humble, c’était d’élever ses enfants, parce que ce n’est pas une science exacte. Autant d’exemples de femmes complètes, qui ont réussi à tout concilier.
Pratique
Des citations inspirantes de Zélie Martin sur la maternité :
