À Argenteuil, trois semaines sous le signe de la Sainte-Tunique

Pas moins de 400.000 personnes sont attendues à Argenteuil à partir de ce Vendredi saint, 18 avril, et jusqu’au 11 mai pour un événement spirituel exceptionnel. Il faut dire que pendant ces quelque trois semaines, les fidèles qui vont entrer dans la basilique Saint-Denys de cette ville du Val d’Oise pourront prier devant une relique elle-même hors du commun : la Sainte-Tunique du Christ. Habituellement conservée à l’abri dans un reliquaire, elle est l’objet d’une ostension, ce qui n’arrive normalement que tous les cinquante ans, les années 34 et 84 de chaque siècle.

Le vêtement est effectivement celui porté par le Fils de Dieu dans les dernières heures de sa vie, mentionnée par les évangélistes Matthieu et Jean (19, 23-24). Il l’aurait porté dès la Dernière Cène, au soir du Jeudi saint, jusqu’à ce que les soldats lui ôtent au Golgotha. Elle aurait été retrouvée par Hélène, mère de l’empereur Constantin avec les autres reliques de la Passion, au IVe siècle puis, conservée à Constantinople, elle aurait été offerte par l’impératrice Irène à Charlemagne. La première mention documentaire connue date cependant de 1156.

Depuis, gardée par l’abbaye puis la paroisse d’Argenteuil, elle connaît un regain d’intérêt depuis les années 2000 : pastoral, sous l’impulsion du recteur de la basilique Saint-Denys, l’abbé Guy-Emmanuel Cariot ; académique aussi, avec des travaux historiques de datation. De récentes études scientifiques ont par exemple cherché à évaluer son authenticité. À l’occasion de l’ostension, l’historien Jean-Christian Petitfils a même publié un livre, La Sainte-Tunique d’Argenteuil (Tallandier) qui recense les indices de sa véridicité. Cela dit, l’intérêt pour le pèlerin n’est pas tant dans la certitude d’être face à la vraie tunique (il en existe une autre à Trêves) que de pouvoir stimuler sa foi. Puisque Dieu a choisi de devenir homme, Incarnation qui est l’un des dogmes centraux de l’existence chrétienne, les sens sont un appui pour la foi, qui reste une "lumière intérieure", expliquait ainsi le cardinal Lustiger, ancien archevêque de Paris, dans son ouvrage Le choix de Dieu. "Venez et voyez, et on en reparle après !", assure de son côté auprès d’Aleteia le recteur de la basilique.

Justement, alors évêque de Pontoise (il a depuis été remplacé par Mgr Benoît Bertrand), Mgr Stanislas Lalanne a ainsi décidé de cette ostension comme une manière, pour le diocèse de Pontoise, de s’unir au Jubilé romain. Convoqué par le pape François pour les 2025 ans de l’incarnation, celui-ci a pour thème "Pèlerins de l’espérance". Quel peut donc être le rapport entre cette espérance et la tunique portée par le Christ ? L’abbé Guy-Emmanuel Cariot résume ainsi, en reprenant saint Paul, l’objet d’un tel événement : "Que chaque personne qui passe devant la Sainte-Tunique puisse se dire : ‘Le Christ m’a aimé, il s’est livré pour moi.'" (cf. Ga 2,20)

Car la relique témoigne de l’amour de Père, et du Fils, pour tous ses enfants, et la contempler est "l’occasion d’aller au cœur de la foi chrétienne", explique le diocèse, et "l’ostension ne doit pas simplement être un événement réussi : elle doit être un événement porteur de sens et de dynamisme pour nous apprendre à mieux vivre fraternellement, tournés vers le Christ". La Sainte-Tunique est, effectivement, dans la tradition, le signe de l’unité. Les soldats romains qui gardent Jésus au Golgotha préfèrent la tirer au sort que la partager, et Jean précise qu’elle est "sans couture". Chaque pèlerin est donc invité à faire une expérience personnelle, aidé par un livret, mais à la partager et à vivre aussi un moment communautaire, en particulier dans la liturgie.

Une fois parvenu jusqu’à la basilique, facilement accessible en train depuis Paris et ouverte de 10h à 22h, le pèlerin sera accueilli par des volontaires et conduit selon un parcours bien déterminé, pour vénérer la relique, prier en silence, se confesser pour recevoir l’indulgence plénière (toute l’année dans ce sanctuaire), déposer des intentions, allumer des bougies, écouter la lecture de textes ou de musique méditatifs… jusqu’au parvis où se tiendront échoppes et buvette pour faire de ce moment un temps convivial et fraternel. Tous les jours, messe présidée par un évêque et vêpres seront célébrées en commun selon un programme détaillé sur le site internet dédié à l’ostension.

Pour les accueillir au mieux, quelque 800 bénévoles se sont en effet dévoués, dont beaucoup de lycéens, étudiants et jeunes actifs. Tous ont décidé de consacrer quelques heures, quelques jours, voire plusieurs semaines de leur temps pour participer à cette aventure spirituelle et humaine. Maxime, 26 ans, fait partie des bénévoles de la première heure. Il avait assisté à l’ostension de 2016 en tant que simple pèlerin. "J’avais 16 ans et je me souviens avoir ressenti quelque chose de très fort", se souvient-il. Dix ans plus tard, il a pris trois semaines de congés pour s’engager comme bénévole à cette nouvelle ostension. "Je suis né à Argenteuil, j’y ai toujours vécu, ma famille y est depuis des générations. Pour moi, c’était évident : un tel événement doit mobiliser les foules. En tant que chrétiens, nous avons tous une croix à porter, et la nôtre, ce sera de porter celle du Christ en aidant les pèlerins attendus."

La démarche peut d’ailleurs aussi se préparer à la maison, en écoutant l’hymne écrite à l’occasion de cette ostension ou en consultant les informations pratiques sur la page du site dédiée. "Relique du Chemin de Croix" et objet de méditation spirituelle sur les souffrances du Christ, la Sainte-Tunique d’Argenteuil est aussi un trésor inestimable du patrimoine français. Les pouvoirs publics, associés à l’événement pastoral, ont ainsi prévu dans la ville du Val d’Oise une série d’événements culturels pour compléter les pèlerinages, et en particulier un son et lumière sur la place de l’église. Alors, encore sceptique ? "Ce n’est pas un dogme, conclut l’abbé Cariot, ce n’est pas une vérité nouvelle de foi. Mais peut-être que, pour mieux croire, j’ai besoin de toucher." Ou, au moins, de contempler cette insigne relique.