Carême 2025
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S’il existait un livre des records pour thaumaturges, l’Espagnol Vincent Ferrier l’emporterait haut la main puisque, de son vivant, ce fils de saint Dominique a inscrit à son palmarès 58.400 miracles de guérison, 40 résurrections, sans parler de prodiges divers et en tous genres. Encore s’agit-il, de l’avis unanime, d’une estimation basse puisque lui-même, en ses débuts, disait en avoir accompli plus de 3.000 en une seule mission. L’un de ses premiers biographes a écrit et c’est vrai : "Le plus grand miracle était qu’il n’en fît pas."
Un enfant prodige
Ses contemporains, éberlués, ont parfois douté de la réalité de ces faits prodigieux, soupçonnant des tours de passe-passe, des trucs d’illusionniste mais même les plus soupçonneux ont dû se rendre à l’évidence : rien n’était impossible au frère Vincent. Le Ciel ne l’avait-il pas promis à sa mère tandis qu’elle l’attendait ? Son fils serait non seulement l’une des gloires de l’Ordre dominicain, l’un des plus grands prédicateurs de l’Église mais aussi un messager de la miséricorde divine qui, en ces temps troublés du grand schisme d’Occident, dans une Europe meurtrie par la guerre et la peste, où une Église déchirée entre deux, parfois trois prétendants à la tiare, n’imposait plus nul respect à des fidèles abandonnés à un clergé ignare et corrompu, rappellerait à tous la puissance divine et l’urgente nécessité du repentir et de la pénitence.
Né à Valence le 23 janvier 1357, Vincent Ferrier est un enfant prodige, bachelier en philosophie à 12 ans, en théologie à 14. Ses parents lui laissent le choix : poursuivre ses études et devenir l’une des lumières intellectuelles de son temps, se marier et mener une carrière brillante dans le monde, ou croire en la prophétie faite avant sa naissance et entrer chez les dominicains. Vincent y prend l’habit à 17 ans et se révèle d’emblée "trésor de lumières et d’onction". À Lerida, où il soutient sa thèse de doctorat, il rencontre le cardinal Pedro de Luna, lequel s’entiche du jeune clerc brillant et pieux, qui tire des larmes quand il prêche sur la Passion ou Notre-Dame ; il en fait son confesseur.
La permission d’aller prêcher
Or, peu après, Pedro de Luna est élu pape sous le nom de Benoît XIII mais c’est par la faction avignonnaise. Vincent se retrouve donc Maître du Sacré Palais d’un antipape… et le reste jusqu’en 1396, époque où il tombe très gravement malade. Alors qu’on le croit perdu, le Christ, saint Dominique et saint François lui apparaissent et lui annoncent sa guérison. Seulement, une fois sur pied, il devra tout quitter et partir sur les routes prêcher contre les vices du temps, raisons de tous les maux qui déchirent la chrétienté. Vincent guérit, en effet, mais son antipape ne veut pas le laisser partir, lui offre le chapeau cardinalice et l’archevêché de Lerida s’il renonce à son projet.
Partout où il prêche, des dizaines de milliers de personnes se pressent pour l’entendre. Renouvelant le miracle de la Pentecôte, où qu’il soit, chacun l’entend prêcher dans sa langue maternelle et quand il confesse, il entend et parle tous les dialectes.
Rien n’y fait. Après deux ans de lutte, Vincent obtient enfin la permission d’aller prêcher le Jugement de Dieu sur le monde. Comme, à 40 ans, il est encore fort bel homme, ce qui lui a valu en sa jeunesse quelques attaques de séductrices, l’obligeant un jour à menacer une effrontée avec une braise ramassée à pleine main dans la cheminée en disant : "Ce feu brûle moins que celui de l’enfer !", il part entouré d’un groupe de religieux avec lesquels, même en chemin, il pourra mener encore un semblant de vie conventuelle, en attendant de drainer à leur suite des centaines de pénitents ramassés de ville en ville au cours de leurs pérégrinations. Entre l’hiver 1398 et sa mort, Vincent parcourt Espagne, Italie, Allemagne, Flandres, Écosse, Angleterre, Irlande, France, toujours à pied.
Sa voix porte à des kilomètres
Partout où il prêche, des dizaines de milliers de personnes se pressent pour l’entendre. Renouvelant le miracle de la Pentecôte, où qu’il soit, chacun l’entend prêcher dans sa langue maternelle et quand il confesse, il entend et parle tous les dialectes. Mieux encore, sa voix porte à des kilomètres. Si ces foules ont faim, il multiplie les vivres. En Gascogne, une femme, passablement dérangée et furieuse que son époux soit parti entendre le prédicateur en promettant de le ramener dîner, tue leur petit garçon, le dépèce et le met à cuire avec l’intention de le servir au saint. Devant le macabre festin, Vincent fait un signe de croix et l’enfant se relève, indemne.
Un autre jour, en Espagne, une femme battue lui explique que son époux la frappe car il ne supporte plus sa laideur. En la bénissant, Vincent lui assure qu’il ne pourra plus jamais le lui reprocher et la laide se relève d’une beauté éclatante. En d’autres occasions, son bon sens suffit. L’interminable confession d’une autre femme battue le convainc que tout tient aux reproches perpétuels qu’elle inflige à son mari. Il lui conseille d’aller puiser de l’eau au puits des dominicains, d’en prendre une gorgée chaque fois que son homme lèvera la voix et se retenir de l’avaler tant qu’elle le pourra. Ainsi réduite au silence, elle se retrouve dans l’incapacité d’entretenir les querelles et n’est plus frappée.
Aux procès des Normands
Son don de lecture des âmes lui permet de révéler péchés et fautes enfouies, éveillant chez ses auditeurs un tel regret de leurs crimes que certains meurent littéralement de contrition à ses genoux. Ainsi a-t-il la révélation que sa sœur Francisca, lors d’une absence de son mari, a commis l’adultère avec un domestique et, se trouvant enceinte, s’est débarrassée de l’enfant avant d’empoisonner son amant… À la prière de Vincent, la malheureuse trouve la force de se confesser et succombe peu après. Sauvée. Car ce n’est pas le moindre miracle de Vincent, quand il promet le salut à ses pénitents, quand bien même ils n’auraient guère expié en ce monde, il en apporte la preuve. À un mourant récalcitrant qui refuse le pardon de Dieu s’il n’a pas la preuve de l’obtenir, Vincent présente un parchemin descendu du ciel à la seconde où, en lettres d’or, il est écrit : "La très sainte Trinité tient les promesses de son cher Vincent."
Dans l’année qui suit son passage en Normandie, l’on ne compte plus un seul procès, faisant mentir la réputation procédurière des Normands tant sa parole a réconcilié les plaideurs. Et peut-être est-ce le plus éclatant et le moins contestable des miracles de ce saint qui ne les comptait plus.
