separateurCreated with Sketch.

Pierre de Keriolet, ce seigneur diabolique mort en odeur de sainteté

PIERRE DE KERIOLET

Pierre Le Gouvello, seigneur de Kériolet.

whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Anne Bernet - publié le 27/03/25
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Pierre de Keriolet a vécu en Bretagne au XVIIe siècle. Débauché, sans scrupule, il mène une vie dissolue jusqu’à ce qu’il réalise que ce qu’il prenait pour la “chance du diable” était en réalité la main protectrice de la Vierge Marie.

Carême 2025

Ce contenu est gratuit, comme le sont tous nos articles.
Soutenez-nous par un don déductible de l'impôt sur le revenu et permettez-nous de continuer à toucher des millions de lecteurs.

Je donne

Une nuit de 1622, Monsieur de Keriolet, gentilhomme des environs d’Auray, est réveillé par des bruits suspects dans son bureau : on est en train de forcer le coffre où il conserve son argent ; il va tirer sur le cambrioleur quand il reconnaît son fils, Pierre, depuis peu revenu de Rennes où il a fini ses études. L’arme tombe de la main du père, le jeune homme s’enfuit avec son butin. Ses parents ne le reverront jamais…

Depuis sa naissance le 14 juillet 1602 dans une riche famille noble, Pierre de Keriolet se révèle infernal au sens exact du terme tant sa violence, sa méchanceté, sa cruauté relèvent de l’emprise démoniaque. Ses études chez les jésuites ne le corrigent pas. Joueur, malhonnête, toujours à court d’argent, il emprunte et ne rend pas, vole ses proches, méfaits qui culminent avec le cambriolage du coffre paternel. À peu près bon à rien, ne pouvant travailler sans déroger, ni s’acheter une lieutenance dans l’armée, perdu de réputation à travers toute la Bretagne, Pierre se souvient avoir entendu dire que le Grand Turc accueillait royalement tout chrétien prêt à apostasier sa foi. Il ne recule pas à l’idée de devenir renégat tant devenir propriétaire d’un palais sur le Bosphore et d’un harem de belles esclaves le séduit… Avec l’argent volé, il part pour Vienne espérant rencontrer une mission diplomatique de la Sublime Porte qui y séjourne et repartir avec elle vers Istanbul. Mais rien ne se passe comme prévu.

Une errance à travers l'Europe

Comme il traverse l’Allemagne avec des camarades de hasard, ils sont attaqués par des brigands qui abattent les deux autres. Étrangement, ces bandits passent à côté de Keriolet sans s’intéresser à lui, à croire qu’ils ne l’ont pas vu. Pense-t-il à la prière qu’il a, lui, prêt à renier le Christ, adressée, sous l’effet de la panique, à Notre-Dame de Liesse, dont le sanctuaire est le premier pèlerinage marial de France, promettant de s’y rendre si elle le sauve ? Même pas ! Et, sitôt le péril passé, Keriolet, oubliant son vœu, continue sa route, obsédé par son projet de devenir musulman ; rien n’y fera, il n’atteindra jamais Vienne ni ne verra le moindre mahométan, de constants obstacles se mettant en travers de sa route pour l’en empêcher. Il ne s’en étonne pas. Seul le contrarie l’écroulement de ses rêves de fortune à bon compte. Pendant les douze années suivantes, Keriolet erre à travers l’Europe, vivant d’expédients inavouables, séduisant femmes mariées et religieuses, multipliant duels, scandales, débauches et forfaits, échappant plusieurs fois aux représailles que mérite sa conduite. Cette chance insolente, il l’attribue au diable, avec lequel il laisse entendre avoir passé un pacte…

En 1635, au décès de ses parents, rassuré de n’avoir plus de comptes à leur rendre, il rentre en Bretagne disputer à ses sœurs l’héritage familial. Doué pour les arguties juridiques, découvrant qu’une législation favorise, en matière de succession, les protestants, il se prétend réformé, le temps de récupérer sa part, et redevenir catholique quand il y découvre des avantages supérieurs… Cela fait, maître du manoir ancestral et d’assez d’or pour s’offrir une charge de conseiller au parlement de Bretagne, Keriolet use de son pouvoir de magistrat pour envenimer différends et haines entre justiciables, s’amusant du mal qu’il fait. Rien ne l’arrête.

Une chance extraordinaire

Dix ans après les apparitions de sainte Anne en 1625, le pèlerinage de Keranna est en plein développement. Pierre ne perd pas une occasion de s’en moquer, comme de tout acte du culte. S’il va à la messe, c’est pour y faire du scandale et communier sacrilègement sans que nul n’ose le lui reprocher en face tant il effraie. Il multiplie les conquêtes féminines, jette son dévolu sur une religieuse qu’il veut séduire et enlever. Cet été 1635, dérangé par le tonnerre pendant un orage, à l’épouvante de ses domestiques, il tire au pistolet vers le ciel, mettant Dieu au défi de le punir. Le même soir, la foudre tombe sur le château et met le feu au lit où il dort ; il est indemne. Le lendemain, contre toutes probabilités, un éclair foudroie son cheval mais l’épargne, lui, pour la seconde fois en quelques heures. Peu après, rentrant d’un rendez-vous galant, il échappe à un mari trompé qui lui tire dessus, et le rate. Cette chance folle le grise ; il se prétend immortel, multiplie blasphèmes et provocations contre Dieu, au point que beaucoup commencent à le penser bel et bien possédé et c’est sans doute exact.

Peu après, Pierre fait un rêve épouvantable, très long, dont le moindre détail semble réel : il est en enfer, y voit la place qui l’attend, les supplices éternels auxquels il est promis. Prend-il ce cauchemar au sérieux ? Est-ce une nouvelle plaisanterie blasphématoire dont il a le secret ? Keriolet se présente à la chartreuse d’Auray et prétend vouloir y faire pénitence. Quoi qu’il en soit, il y reste peu, en sort plus enragé que jamais. C’est pour moquer la crédulité des bigots et attirer l’attention du duc d’Orléans, frère de Louis XIII, que Keriolet accompagne la délégation de parlementaires qui, en 1636, va à Loudun constater les étranges phénomènes dont les Ursulines sont victimes et qui les ont amenées à accuser d’ensorcellement un prêtre de la ville. L’abbé Grandier, convaincu de ce crime, a fini sur le bûcher, sans que sa mort mette un terme à l’épidémie de possession de ces saintes filles…

L’affaire des possédées de Loudun

L’affaire des possédées de Loudun naît, au début, des divagations de la supérieure, Mère Jeanne des Anges, au psychisme fragile, mise au couvent, car infirme, contre son gré par sa famille, qui trouvant un moyen de se rendre enfin intéressante, a focalisé ses frustrations sur Grandier, dont elle s’était éprise, jusqu’à le transformer en suborneur et suppôt de Satan, accusations tombées à point pour perdre cet opposant au cardinal de Richelieu. Mais, même si à l’origine, il n’y a nulle diablerie dans l’histoire, certaines religieuses, simulatrices conscientes ou pas, ont fini par tomber tout de bon sous emprise démoniaque ; les en délivrer s’avère ardu. C’est ce qui intéresse Keriolet, décidé à bien s’amuser. L’expérience tournera à sa confusion.

Le lendemain de son arrivée, il va comme au spectacle assister aux exorcismes en l’église Sainte Croix. Personne ne le connaît à Loudun. Et voilà qu’à l’instant où il entre dans la nef, la possédée, ou plutôt le démon qui s'exprime par sa bouche, l’apostrophe et révèle toutes ses fautes, toutes les occasions où il a échappé à une mort certaine. À la fin de chaque récit, il vocifère : "J’étais là, je te guettais pour t’entraîner en enfer et je t’aurais emporté si ton ange gardien et Elle ne m’en avaient empêché !" Frappé de stupeur, malgré les regards de ceux qui l’entourent, Keriolet ne nie rien. D’un coup, il comprend l’origine de ce qu’il prenait pour une "chance du diable" et qui était tout le contraire.

"Avec Marie, nul ne se perd."

"Elle", comme disent les démons qui ne peuvent prononcer son nom, c’est la très sainte Vierge Marie, car, dans ses pires folies et turpitudes, fidèle, il ne sait pourquoi, à une promesse faite enfant à sa mère, Keriolet, chaque jour, quoi qu’’il arrive, a dit un Ave Maria. Mal, sans y penser, mais ces mots marmonnés par habitude, s’ajoutant aux prières maternelles pour le fils indigne, lui ont été une cuirasse invincible. Notre-Dame n’a pas permis qu’il meure en état de péché mortel. Keriolet comprend combien est vrai le pieux adage : "Avec Marie, nul ne se perd." Il tombe à genoux, en larmes et, d’une voix brisée, reconnaît tous les crimes et péchés dont le Malin vient de publiquement l’accuser. Puis il fait une confession générale accompagnée d’une contrition si parfaite que, le lendemain, en le revoyant dans l’église, le démon, contraint par Dieu à cet aveu, s’écrie : « Revoilà le Monsieur d’hier ! S’il continue comme cela, il montera aussi haut dans le Ciel qu’il aurait été bas avec nous en enfer. Ah, s’il savait ! Elle a mis ses bras dans la fange jusqu’aux coudes pour le retirer de ses ordures et cela sous prétexte qu’il gardait un peu de dévotion pour Elle ! Et dire que nous, nous sommes damnés pour un seul péché !"

Cette fois, le repentir de Pierre est vrai, sa conversion définitive. Rentré en Bretagne, il change de vie, s’impose pénitence sur pénitence, s’ingénie à réparer ses fautes, donne son château à l’église pour le transformer en hospice. Effaçant le passé de celui que la rumeur publique appelle désormais "saint Keriolet", l’évêque de Vannes, convaincu de la sincérité de son repentir, l’ordonne prêtre le 28 mars 1637. Jusqu’à sa mort le 8 octobre 1660, en odeur de sainteté, "le diabolique" seigneur de Keriolet, pénitent exemplaire, partagera son temps entre prière, charités et de mortification. Certes, les attaques démoniaques se poursuivront toute sa vie mais en vain. Nul, surtout pas le Cornu, ne peut arracher à Notre-Dame ceux qui lui appartiennent.

Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)