CONCLAVE - MORT DU PAPE FRANÇOIS
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Ce lundi 17 mars est le jour le plus important de l'année pour les Irlandais du monde entier. Nous fêtons la Saint Patrick, premier primat d'Irlande. Cette fête populaire, aux couleurs de trèfle à trois feuilles et de pintes de Guinness, montre chaque année que l’homme qui évangélisa l’île d’Émeraude au Ve siècle continue de vivre dans la mémoire et le cœur de beaucoup d’Irlandais.
J’ai une tendresse particulière pour l’Irlande et les Irlandais. Dans ma jeunesse, j’ai eu l’opportunité, et la chance, d’aller y passer deux étés de suite. Je garde le souvenir d’un peuple chaleureux, accueillant, simple et joyeux. Je n’étais pourtant là ni en touriste pour des vacances, ni seulement en petite Française désireuse d’apprendre l’anglais avec cet accent si particulier et si attachant. Non, j’étais là pour me mettre en service dans un lieu de vie pour personnes porteuses de déficience mentale, parfois accompagné de handicaps physiques. Saint John of God, Drumcar…

"On ne se faisait pas dévisager"
Cet endroit, au nord de Dublin, pas très loin de la frontière avec l’Irlande du nord, je ne l’ai jamais oublié, malgré la poussière des années. C’était au siècle — que dis-je — au millénaire dernier… ! C’est grâce à l’intermédiaire d’un moine, ami de la famille, dont la communauté vivait sur place, que cette expérience ébouriffante et transformante s’est offerte à moi. J’y ai découvert un monde que je ne connaissais pas et dont j’ignorais tout. En voyant le génialissime film d’Artus, Un p’tit truc en plus, une flopée de souvenirs, de larmes et de fous rires me sont revenus à l’esprit. C’était exactement ça.
L’institution, composée de bâtiments et de maisons de différentes tailles, se trouvait dans un immense parc vert et fleuri. Sur un côté, s’isolait la communauté des frères de l’Ordre hospitalier de saint Jean de Dieu, à l’origine de ce lieu, et de centaines d’autres dans le monde. Dans chacune des maisons, vivaient une petite dizaine de résidents, ainsi que leurs soignants qui se relayaient entre le jour et la nuit. Aujourd’hui, on appellerait cela un modèle de "vivre ensemble". Et vraiment, ça l’était. J’y ai découvert quelque chose de plus qu’une simple relation soignants-résidents. C’était la vie, tout simplement, avec ce que les handicaps mentaux peuvent créer de difficile mais aussi, de simple et de facile… de fort et de vrai.
Un cœur si grand et si fragile
Tous les jours, nous "sortions" dans le monde. Rester cachés ou isolés ? Pas question ! Un minibus embarquait chaque après-midi un groupe de malades et d’accompagnants, et nous déposait dans l’une des petites villes d’à côté. C’était détonnant ! Objectif numéro un ? Ne perdre personne. Ce qui pouvait s’avérer périlleux, lorsque l’un partait d’un côté, attiré par une odeur de fish and chips, pendant que l’autre courrait après un petit chien, et que le troisième s’arrêtait sur un banc, pour échanger spontanément quelques mots avec un inconnu. On se baladait au milieu des gens "normaux", "valides". Et c’était normal. Personne ne semblait surpris ou gêné par tous ces "atypiques" qui faisaient irruption dans les parcs, les Fast-Food et les boutiques. Je crois que c’est ce qui m’a le plus frappé. On ne se faisait pas dévisager. On n’entendait pas de remarques déplacées ou de blagues désobligeantes. Notre drôle de troupe faisait partie du décor. C’était l’Irlande des années 1990. Et c’était chouette.
J’y ai noué des amitiés. Je me souviens de Caroline, avec qui j’avais par la suite entamé une relation épistolaire avec ses parents, pour prendre de ses nouvelles. Ou encore d’Élizabeth porteuse de trisomie 21, qui riait à gorge déployée. Le second été, quand je suis arrivée, on m’a assez vite conduit à l’hôpital où elle séjournait. Moi qui me réjouissais de la revoir, j’ai dû lui dire au revoir. Elle est morte. Son cœur s’est arrêté. Elle n’avait pas la quarantaine. C’est un fait établi, les personnes porteuses de trisomie naissent souvent avec des anomalies cardiaques. C’est drôle : ils ont le cœur fragile alors même que ces hommes, ces femmes, ces enfants aux chromosomes en trop ont, la plupart du temps, un cœur si grand et si bon ! Prenez quelques secondes de votre temps pour regarder cette vidéo aux 4 millions de vues d’Isaac qui, en voyage en train avec ses parents, prend le temps de s’assurer que les voyageurs vont bien… Il promène sa blondeur et fait irrésistiblement fondre l’indifférence.
Le pari de la vie et de l’amour
Ainsi, ils sont souvent sans filtre, et capables d’une empathie et d’une compassion qui forcent l’admiration et donnent aux "bien portants" de grandes leçons. Cette fragilité biologique du cœur qui s’entremêle avec une grandeur d’âme m’émerveille. "Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu." S’ils ont une moindre espérance de vie, quelle espérance ils savent donner à la vie !
Ce vendredi 21 mars, dans quelques jours, ce sera la Journée mondiale de la trisomie 21. Je pense avec tendresse à toutes ces personnes et à leur famille, souvent héroïques, car elles ont fait le pari de la vie — et de l’amour — dans un monde qui se ferme et se dessèche de plus en plus, dès lors qu’il s’agit d’accueillir cet enfant qui toque à la porte mais qui ne rentre pas dans les cases… Et je pense à toutes les associations, parents, soignants, qui prennent soin des personnes porteuses de trisomie ou de déficience mentale. Ils rendent ce monde de fous plus normal.