Comment aimer Dieu parfaitement ?

Aux pharisiens qui lui demandent quel est le plus grand commandement, Jésus répond : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute âme et de tout ton esprit" (Mt 22, 37), citant le livre du Deutéronome (Dt 6, 5). C'est le Shema ("écoute" en hébreu) du judaïsme, début de la prière récitée par le Juif pieux le matin et le soir. Il va de soi qu'aimer Dieu est une idée évidente pour tout croyant : n'est-ce pas à Lui que nous devons d'exister et d'avoir été sauvés ? Cependant, dans les faits, cet amour ne coule pas de source. En effet, Dieu est invisible et l'homme, depuis le péché originel, est davantage attiré par les réalités terrestres que par Celui qui lui en fait le don. D'ailleurs, si cet amour pour Dieu était si évident que cela, pourquoi la Bible, puis Jésus à sa suite, nous le rappelleraient-ils sous forme de commandement ?

Dans ces conditions, comment ancrer plus profondément en nous l'amour pour Dieu ? Nous avons l'exemple des saints pour cela. Leurs vies édifiantes sont un encouragement à mener l'aventure de la fidélité à Dieu. Nous pouvons également recourir à leurs intercessions si les modèles de leurs parcours terrestres ne suffisent pas à instiller en nous cet amour pour le Créateur. Toutefois, l'expérience nous enseigne que ces moyens sont insuffisants. L'amour est une vertu de l'ordre du "viscéral", pourrait-on dire. Le commandement du Deutéronome repris par Jésus ne parle-t-il pas d'aimer "de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit" ?

Il ne s'agit pas ici d'un amour "à moitié", d'un sentiment de basse intensité, d'une bulle affective, fragile et évanescente, mais d'une affection non seulement durable mais surtout plus forte que la mort. Le psalmiste n'est-il pas amoureux de Dieu au point de déclarer que Son amour lui est plus cher que sa propre vie ("Ton amour vaut mieux que la vie", Ps 62, 4) ? Si bien que le véritable amour pour Dieu dépasse les forces terrestres. Qui nous servira alors de modèle et nous le fera entrer le plus profondément possible en notre esprit ?

En fait, si l'amour pour Dieu doit mobiliser en nous le cœur, l'âme et l'esprit, c'est que cet amour doit être proportionné à la réalité qui en est l'objet. Or, cette réalité est Celui qui est infini ! L'amour pour Dieu devrait donc s'approcher de l'infini ! Difficile pour l'homme d'y atteindre ! Il ne reste plus alors qu'une solution : le seul modèle de cet amour est… Dieu lui-même. Jésus nous appelle ainsi à aimer Dieu comme Dieu s'aime lui-même. Car Dieu s'aime. Cette vérité peut surprendre. Dieu est désintéressé et en Lui n'existe aucune trace d'un narcissisme quelconque, d'un repli complaisant sur lui-même. Seulement, Dieu n'a pas trouvé de réalité plus aimable à aimer que Lui ! Il réalise cet exploit de s'aimer lui-même sans que cet amour soit autosatisfaction ou retour égoïste sur soi. 

Dès lors, on comprend que c'est à la Trinité que nous devons demander d'infuser en nous la charité par laquelle Dieu s'aime Lui-même. En effet, dans la Trinité, le lien de l'amour du Père pour le Fils et du Fils pour le Père, c'est le Saint-Esprit. Or, le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu, mais un seul Dieu tous les Trois. Aussi, quand le Saint-Esprit nous est donné, nous devenons capables d'aimer Dieu comme Dieu s'aime Lui-même ! Dès lors, nous n'aimons plus Dieu seulement comme des créatures aiment naturellement leur Créateur, nous l'aimons en proportion de ce qu'Il est et de Qui Il est : nous L'aimons divinement. Dans l'Esprit, nous pouvons aimer Dieu pour Lui-même, L'aimer d'une façon digne de Lui et accomplir le commandement de Jésus et du Deutéronome. Nous aimons alors Dieu comme des fils, comme Jésus L'aime, parce que c'est de Dieu comme Père, Fils et Esprit que nous recevons cette charité qui nous tourne vers Lui.

Ainsi, le meilleur moyen d'aimer Dieu consiste à entrer dans l'échange d'amour entre le Père, le Fils et l'Esprit et de prendre de la sorte notre place dans la "danse" trinitaire des trois Personnes divines. Et une telle introduction n'est pas impossible puisque c'est Jésus lui-même qui nous y invite en s'invitant avec son Père chez nous : "Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure" (Jn 14, 23). À cet égard, la communion eucharistique est toute indiquée pour faire de nous les hôtes des trois Personnes divines puisqu’étant un seul Dieu, elles ne sont jamais l'une sans les deux autres.