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Une curiosité du Vatican, le musée ethnologique Anima Mundi

Coiffe de plumes fut offerte au pape François par le chef Wilton Littlechild

Coiffe de plumes fut offerte au pape François par le chef Wilton Littlechild

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Pierre Téqui - publié le 13/03/25
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À Rome, les musées du Vatican incarnent l’alliance entre la foi et la culture. L’historien d’art Pierre Téqui a visité pour Aleteia le trésor exotique des missions catholiques dans le monde, le musée Anima Mundi, témoin singulier du modelage du christianisme par l’art de tous les peuples.

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En France, on aime répéter que nos églises ne sont pas des musées mais des lieux vivants, des espaces certes artistiques, mais d’abord cultuels avant d’être culturels. Ce mantra trahit une crainte : celle de voir l’Église figée dans une vitrine, réduite à un héritage du passé. L’Église, en somme, redoute ce que Jean Duchesne qualifie dans une chronique à Aleteia le "christianisme culturel", cette posture qui consiste à honorer son esthétique tout en oubliant son essence ; une tendance qu’on pourrait détecter dans la restauration de Notre-Dame de Paris. Pourtant, il existe un lieu où l’attachement à l’œuvre d’art ne suscite aucun soupçon d’infidélité au Christ : Rome.

L’Église, amie des musées

Dans la critique que le culte adresse parfois à la culture, on oublie souvent combien l’Église a toujours été non seulement l’amie des artistes, mais aussi celle des musées. Il suffit de pèleriner jusqu’à Rome pour s’en souvenir. Que fait-on lors d’une année jubilaire ? On passe les portes saintes, on prie, on sillonne la ville d’une basilique à l’autre, on se rend place Saint-Pierre pour mêler sa prière à celles des catholiques du monde entier inquiets pour la santé du pape, on assiste à la messe… puis on mange des pâtes dans des osteria recommandées par des amis, on boit du bon café, et on visite des musées, des places ornées d’obélisques, un forum où surgissent les vestiges du passé. Peut-être existe-t-il de saintes âmes prêtes à écarter la dolce vita pour ne se nourrir que d’élévation spirituelle ; pour ma part, catholique imparfait, je prie et je visite.

Or, à Rome, les musées du Vatican incarnent cette alliance entre foi et culture. Le mot même de "musée" vient du grec mouseîon (µουσεῖον), temple des Muses, et ces musées comptent parmi les premiers d’Occident. Si la culture a trouvé refuge au cœur du catholicisme, c’est parce que les papes ont voulu faire de Rome une nouvelle Alexandrie. Dès la Renaissance, la visite de ces musées et des vestiges antiques a été recommandée aux pèlerins. Luther lui-même en fit le constat, accusant Rome d’être retombée dans le paganisme et d’inciter le monde à suivre son exemple. Il suffit d’ouvrir l’un des innombrables guides de pèlerinage pour voir combien, à Rome, la contemplation du passé et l’adoration de Dieu s’entrelacent ; la vénération des reliques va de pair avec l’admiration de l’art ; la prière, avec la visite des musées. Dans son Guide du pèlerin à Rome, l’abbé Laumônier écrit :

"Heureux pèlerins, la Ville éternelle offrira à vos yeux les monuments gigantesques du paganisme vaincu par les papes et les monuments plus grands et plus magnifiques du christianisme triomphant. Les merveilles de l’art antique et celles de l’art moderne sont là, accumulées avec profusion ; les chefs-d’œuvre du génie humain semblent réunis pour glorifier l’Église de Jésus-Christ" (Guide du pèlerin à Rome, Dubois-Poplimont, 1889).

Le musée des missions

Que voir dans ces musées ? La chapelle Sixtine et les fresques de Raphaël, la Pinacothèque et ses chefs-d’œuvre, le musée de Pie IV et ses sarcophages chrétiens, ou encore les antiquités rassemblées par Jules II dans la cour de l’Octogone ? Ayant récemment eu l’occasion de tout visiter, mes pas m’ont mené vers l’un des musées les plus singuliers du Vatican : le musée ethnologique Anima Mundi.

C’est Pie XI qui, au siècle dernier, en fut l’initiateur. À l’occasion du Jubilé de 1925, le Vatican organisa une exposition sur les missions catholiques à travers le monde. On y découvrait non seulement les témoignages de l’évangélisation, mais aussi les traditions culturelles, artistiques et spirituelles des peuples rencontrés. Les missionnaires furent parmi les premiers à explorer les territoires les plus reculés, et leurs récits, études et dictionnaires constituent encore aujourd’hui une source précieuse pour les ethnologues. Mais avec l’essor de l’ethnologie et de la préhistoire — nouvelles venues dans les sciences de l’homme —, l’Église n’était plus la seule à partir à la rencontre de l’Autre.

Le Vatican voulut alors raviver l’enthousiasme missionnaire : ainsi, le monde fut invité à Rome. À l’ombre de la coupole de Michel-Ange, les visiteurs découvraient la diversité des cultes et des traditions : temples non chrétiens miniaturisés, parures, objets rituels… Plus de 100 000 œuvres, venues du monde entier, furent exposées dans les jardins du Vatican. Après le Jubilé, cette collection fut préservée et donna naissance au musée ethnologique. En 1973, Paul VI rénova la scénographie du lieu, aujourd’hui connu sous le nom d’Anima Mundi — "l’âme du monde".

Le dialogue foi et culture

Parmi ses trésors, certains témoignent avec une force saisissante du dialogue entre christianisme et cultures locales. La statue de la Vierge à l’Enfant (Madonna col Bambino), sculptée en 1935 par Joseph Guénou à Bougainville, s’éloigne des canons occidentaux : Marie, seins nus, est vêtue d’un simple pagne ocre orangé et coiffée d’une imposante chevelure rouge, signe de distinction dans sa culture. L’Enfant Jésus, entièrement nu, arbore des traits mélanésiens. Cette sculpture illustre l’inculturation du message chrétien : loin d’être imposée, la foi s’ancre dans les sensibilités et formes artistiques des peuples qui la reçoivent.

Vierge à l'enfant
Madonna col Bambino, sculptée en 1935 par Joseph Guénou

Tout aussi frappante, la sculpture en laiton du Christ crucifié, offerte à Jean-Paul II lors de son voyage au Burkina Faso en 1980. Son visage africain, ses cheveux crépus, ses bras arqués dans une tension dramatique traduisent, à travers un langage propre au continent, l’universalité de la Passion.

Sculpture en laiton du Christ crucifié
Sculpture en laiton du Christ crucifié

Une Vierge en terre cuite du Kenya suit la même logique : Marie et Jésus y arborent les traits des Maasai, inscrivant l’iconographie mariale dans l’esthétique d’Afrique de l’Est.

Vierge à l'enfant
Vierge en terre cuite du Kenya

Un christianisme modelé par l’art des peuples

D’autres objets témoignent de cultures non chrétiennes : les boucliers des pasteurs-éleveurs d’Afrique de l’Est, ornés de motifs distinctifs, rappellent les tensions territoriales et les rites guerriers des Maasai et des Luo. Enfin, certaines pièces reflètent les relations historiques entre le Vatican et les peuples autochtones. La ceinture de Wampum, offerte en 1831 par des chrétiens algonquins, nipissing et mohawks à Grégoire XVI, symbolise un échange diplomatique et spirituel. Composée de près de 10 000 perles, elle associe motifs autochtones et iconographie catholique. Deux siècles plus tard, en 2022, une coiffe de plumes fut offerte au pape François par le chef Wilton Littlechild, lors d’un voyage pénitentiel au Canada. Ce geste, porteur de mémoire et de réconciliation, prolonge une tradition vieille de plusieurs siècles.

Coiffe de plumes fut offerte au pape François par le chef Wilton Littlechild
Coiffe de plumes fut offerte au pape François par le chef Wilton Littlechild

Ces œuvres, si diverses dans leurs formes et leurs origines, racontent une même histoire : celle d’un christianisme qui ne se contente pas de transmettre, mais se laisse lui aussi modeler par les cultures qu’il rencontre. Lorsque, le 18 octobre 2019, le pape François inaugura de nouvelles salles du musée, il salua cette richesse en affirmant : "Tous les peuples sont ici, à l’ombre de la coupole de Saint-Pierre, proches du chœur de l’église et du Pape. L’art n’est pas déraciné : il jaillit du cœur des peuples." Et d’ajouter que le Vatican "préserve l’art de tous les peuples du monde avec la même passion que les chefs-d’œuvre de la Renaissance ou les sculptures immortelles de la Grèce et de Rome."

Une beauté qui unit

Ces mots rappellent que musées et conservation du patrimoine sont au cœur de la mission de l’Église. Aujourd’hui encore, les papes veillent sur l’héritage de leurs prédécesseurs et en assurent la transmission. Les musées du Vatican ne sont pas des sanctuaires d’un christianisme figé : ils sont le lieu où l’Église rassemble une beauté qui nous unit. Puissions-nous, nous aussi, considérer nos institutions culturelles comme des lieux vivants, à l’image de nos églises, si riches en œuvres d’art.

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