Carême 2025
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"Pourquoi les hommes sont-ils si fous ?" : ces mots extraits du célèbre cahier d'Anne Frank, évoqué ces derniers jours par une émission de télévision et par un livre d'enquête, résonnent comme des sirènes d'alarme sur le terrain de manœuvres militaires auquel ressemble notre pauvre monde en proie de nouveau aux "passions dévastatrices". Relire maintenant ces lignes mondialement connues est un bien nécessaire, relevait cette semaine un éditorialiste avec justesse. Elles nous remettent en effet en mémoire le témoignage de toutes ces victimes innocentes des barbaries totalitaires du XXe siècle. Anne Frank, rappelons-le, avait dû se cacher, pendant trois ans avec sa famille, en plein cœur d'Amsterdam, pour échapper aux persécutions juives des nazis. Suite à une dénonciation, elle et les siens furent délogés par la Gestapo puis envoyés en camps de concentration où ils périrent tous, sauf le père d'Anne. Grâce à Otto Frank, le journal intime de sa fille rédigé dans la clandestinité, fut édité et connut un destin de best-seller, exauçant ainsi le vœu de son autrice : "Je veux continuer à vivre même après ma mort."
La paix à tout prix
"Le monde devient fou" : c'est le constat amer, scandé comme une lamentation, de l'autobiographie du pape François parue au début de cette année. Ce livre a une tonalité testamentaire émouvante. Il synthétise aussi ce qui a le plus pesé dans la vie de Jorge Mario Bergoglio : un rejet viscéral, une haine même de la guerre, qui remonte pour lui à des souvenirs d'enfance de la Seconde Guerre mondiale, quand il n'avait que 5 ou 6 ans. Cette répulsion du bellicisme est une ligne de conduite constante de son existence. Et devenu pape, loin d'en varier, il en a fait la priorité absolue de son enseignement et de sa politique étrangère. Toutefois, son atavisme latino-américain, sa sympathie pour le Sud émergeant — nouveau centre de gravité de l'Église et de la planète et pôle critique de l'Occident — ont pu lui faire prendre des positions diplomatiques singulièrement différentes de celles de ses prédécesseurs, tous européens.
Jean Paul II n'avait eu aucune difficulté à rallier la bannière étoilée de Ronald Reagan pour contribuer à faire imploser le bloc soviétique et libérer les pays qui ployaient sous le joug communiste, comme sa Pologne natale. "Je ne suis pas l'aumônier de l'Occident" se défend pour sa part François. On se souvient que l'an dernier, le pape avait stupéfié les Européens et scandalisé les Ukrainiens en conseillant à ces derniers d'agiter "le drapeau blanc" compte tenu de leur infériorité face à l'agresseur russe. Ce volontarisme de la paix à tout prix, on le voit aujourd'hui, sert d'élément de langage aux discours siamois de Donald Trump et de Vladimir Poutine. Des observateurs n'ont pas manqué de pointer dans la diplomatie personnelle du pape un soupçon de pacifisme qui, dans une histoire récente, s'est avéré non seulement inapproprié mais inefficace.
En haine de la guerre
La haine de la guerre, qui n'en doutons pas continue de tarauder la pensée et la prière de François cloué sur son lit d'hôpital, n'est évidemment pas une anomalie chrétienne ; elle est au contraire le fer de lance du combat spirituel à livrer contre tout ce qui sur cette terre veut détruire l'harmonie, l'amitié et le dialogue entre les peuples. "Là où est la haine que je mette l'amour" dit une célèbre prière attribuée à saint François d'Assise. On retrouve la même passion de la réconciliation et de la non-violence chez tous les gens de bonne volonté qui se demandent, comme le chanteur Daniel Balavoine dans les années quatre-vingt, "qu'est-ce qui pourrait sauver l'amour" des griffes de la folie récurrente des hommes ?
Mais la haine de la guerre a aussi été la motivation suprême, courageuse et héroïque de chrétiens qui, par le passé, ont pris les armes contre la tyrannie, contre la croix gammée d'Hitler en 1940 : Yves de Montcheuil, jeune théologien jésuite prometteur, fusillé à la fleur de l'âge en août 1944 par les nazis, parce qu'aumônier des maquisards du Vercors ; Geneviève de Gaulle, résistante et déportée à Ravensbrück pour qui résister était une évidence, un devoir de "refuser l'inacceptable" ; l'abbé René de Naurois, aumônier de la France libre, combattant du Débarquement en Normandie et qui expliquait son engagement dans les armées de la liberté en citant Péguy : "Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend."
L’épreuve du tragique
Pour approfondir sa clairvoyance devant l'accumulation des nuages, pour se redonner du courage face au retour brutal de la cruauté de l'histoire, pour aussi ne pas se tromper quand l'heure du choix sonnera, la recommandation faite par Jacques Arènes dans son dernier grand et très beau livre Oser le tragique (Cerf), est salutaire en cette saison d'intranquillité : il faut se nourrir de l'expérience qu'ont faite des auteurs guidés par la foi de cette bouleversante épreuve du tragique ; il faut se ressourcer dans la lecture des témoignages des victimes, des "saints innocents" de ces guerres féroces ; mais il faut aussi lire et méditer les récits de ces résistants spirituels qui ont mis leur vie en jeu, transcendés par un seul idéal : sauver l'amour de la folie des hommes.