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"Chacun est libre de choisir comment et quand se faire voir" : la réponse elliptique apportée cette semaine par des sources vaticanes face aux questions des journalistes sur l’absence de photo du pape François hospitalisé a mis en évidence le fait que le pontife, même affaibli, reste maître de sa communication et de son image. Les images de deepfake générées par l’intelligence artificielle qui ont circulé au début de son hospitalisation n’ont fait qu’illustrer le manque de régulation de ces outils qui peuvent induire en erreur certains utilisateurs des réseaux sociaux.
La question du droit à l’image est une question centrale depuis le développement de la presse populaire. L’une des plus graves atteintes à l’image des papes remonte à l’agonie de Pie XII, en octobre 1958. Son médecin personnel, le docteur Riccardo Galeazzi-Lisi, un homme flirtant avec le charlatanisme et les réseaux mafieux, osa prendre le pontife agonisant en photo. Titulaire du titre d’archiatre pontifical, et donc chef de l’équipe médicale, ce médecin usa et abusa de son pouvoir jusque dans les dernières heures de vie de son illustre patient alité à Castel Gandolfo, en vendant des informations et des images à des médias peu scrupuleux. "Poussé par son irréductible perversité, Galeazzi-Lisi profita de cette situation dramatique pour se glisser dans la chambre du malade. On saura plus tard qu’il cachait un appareil photo Polaroid sous sa veste", raconte le journaliste et médecin argentin Nelson Castro dans son livre La Santé des Papes (Payot, 2023). Ses clichés, vendus à Paris-Match, susciteront un scandale mondial. Le docteur Galeazzi-Lisi aggravera son cas en utilisant une technique expérimentale d’embaumement du corps de Pie XII à base d’herbes, qui, au lieu de permettre la conservation de son corps, en accélèreront la décomposition… au point que le cadavre du pontife défunt en viendra littéralement à exploser durant son transfert de Castel Gandolfo à Rome. Surnommé "l’homme qui fit exploser le pape" ou "l’archiatre corrompu", le docteur Galeazzi-Lisi sera banni à vie du Vatican et de l’Ordre des médecins en Italie.
Jean-Paul II, image contrôlée
Ces souvenirs surréalistes et traumatisants de 1958 conduiront les successeurs de Pie XII à mieux contrôler leur santé et leur image. En 1996, dans la constitution apostolique Universi Dominici gregis, Jean-Paul II pose une règle claire : "Personne n'a le droit de prendre, en utilisant quelque moyen que ce soit, des images du Souverain Pontife alité et malade ou défunt, ni d'enregistrer avec quelque procédé que ce soit ses paroles pour les reproduire par la suite". Des règles sont également précisées pour les photos posthumes du pontife. "Si quelqu'un, après la mort du Pape, désire prendre de lui des photographies à titre documentaire, il devra en faire la demande au Cardinal Camerlingue de la Sainte Église Romaine, lequel ne permettra cependant de photographier le Souverain Pontife que s'il est revêtu des vêtements pontificaux", indique Jean Paul II dans cette Constitution qui allait donc s’appliquer d’abord à lui-même.
Lors des éprouvantes hospitalisations du pape en 2005, des photos furent délivrées du pontife polonais, revetu des habits liturgiques, participant à la messe dans la chapelle de l’hopital avec son secrétaire, Mgr Stanislaw Dziwisz. Une photo de groupe fut également prise avec le corps médical avant sa sortie de l'hôpital, le 13 mars 2005. Mais naturellement, aucune image ne fut diffusée concernant ses derniers jours et son agonie dans son appartement du palais apostolique : ses dernières images demeurent celles de ses douloureuses apparitions à la fenêtre des 20, 27 et 30 mars 2005, durant lesquelles, en raison de sa trachéotomie, il ne fut pas en mesure de s’exprimer.
Jean Paul II n’a pas caché sa souffrance et l’a intégrée dans son magistère, mais il n’a pas laissé prise à des photos "volées". Les images de l’attentat du 13 mai 1981 ont fait le tour du monde mais se sont pleinement intégrées dans le récit de ce pontificat durant lequel le pape polonais s’est confronté physiquement, charnellement, au mal et à la violence, à la suite du Christ. Quelques jours plus tard, il avait accepté d'être pris en photo durant sa convalescence au Gemelli. Ce cliché pris par Gianni Giansanti avait permis de mettre en évidence la bonne prise en charge du pape et son visage serein, bien qu’il ait les bras encore bandés et soit sous perfusion. Il s’agit de la seule image officielle d’un pape sur un lit d'hôpital.
La discrétion de François
Lors de ses précédentes hospitalisations en 2021 et 2023, des images du pape François ont été diffusées le montrant faisant son ‘travail de pape’, rencontrant d’autres malades et même baptisant un enfant. Mais conformément à son tempérament fort, ne souhaitant pas mettre sa faiblesse en avant, il n’a pas été photographié sur son lit. Au-delà des rappels historiques touchant à l’histoire de la papauté, la question centrale reste naturellement celle du droit à la “privacy” d’un homme de 88 ans qui n’a pas forcément envie de s’exposer au grand public dans une condition physique dégradée, d’autant plus qu’il fait l’objet d’un dispositif d’assistance respiratoire assez contraignant. "Mais vous, vous ferez voir votre mère nonagénaire en pyjama ?", avaient sèchement répondu les médecins du Gemelli à une journaliste les interrogeant sur l’absence de photo du pape hospitalisé, lors de leur conférence de presse du 21 février.
Jeudi soir, la diffusion d’un message audio du pape François adressant ses remerciements aux fidèles priant pour lui sur la place Saint-Pierre a laissé entendre sa souffrance et ses difficultés de souffle et d’élocution. Son retour en image ou en vidéo n’est pas à exclure dans les prochains jours ou les prochaines semaines, mais il est probable qu’une certaine prudence reste pour le moment de mise afin de lui épargner une fatigue inutile.