Campagne de soutien 2025
Ce contenu est gratuit, comme le sont tous nos articles.
Soutenez-nous par un don déductible de l'impôt sur le revenu et permettez-nous de continuer à toucher des millions de lecteurs.
Dans l’un de ses sketchs, Patrick Timsit, ex-agent immobilier, se gausse de la prose de son ancienne profession : "“Coquet studio, très ensoleillé, dans immeuble bourgeois.” Attention, décrypte l’humoriste, “coquet” ça veut dire “petit”. Le mien est très très très coquet. […] Studette, c'est un petit studio. Alors “coquette studette”, c'est carrément “la maison des schtroumpfs”." Mais quand il s’agit de la maison du Bon Dieu, que voit-on ? Car maintenant, on vend le Bon Dieu sur Le Bon Coin !
Un "véritable morceau d’histoire"
L’affaire se déroule à Lens (Pas-de-Calais), où le stade fait toujours le plein de ferveur. Cheztoit Immo s’occupe de l'église Saint-Édouard et Pulp-immobilier se charge du temple protestant Baptiste. Les deux édifices sont à la charge des fidèles. L’église, nous dit-on, est "idéalement située" et "offre de multiples possibilités" pour 362.500 euros. On la présente comme une "maison 4 pièces 539 m²". Pour le temple, les 380 m2 sont proposés à 498.000 euros. Le Timsit local s’extasie : "Venez découvrir cet ensemble Immobilier Historique de 1925 avec Église et Presbytère" (sic). Car il s’agit d’un "bien exceptionnel" et il faut saisir "cette occasion rare de devenir propriétaire d’un véritable morceau d’histoire".
Le mot est juste, comme le rappelle La Voix du Nord : "L’église Saint-Édouard, bâtie en souvenir d’Édouard Bollaert, directeur de la Compagnie des mines de Lens pendant 42 ans, a été inaugurée le 2 septembre 1901 par l’évêque d’Arras." L’édifice en brique jouxte alors l’école catholique d’une cité pavillonnaire. Détruite durant la Première Guerre mondiale, elle est rebâtie quasiment à l’identique en 1922. Saint-Édouard est classée aux Monuments historiques depuis 2009. Le bâtiment est intégré en 2003 à la paroisse Saint-François-d’Assise de Lens dont un seul clocher est communal, l’église Saint-Léger en centre-ville. Les autres appartiennent à l’association diocésaine. Il s’agit de Saint-Théodore (près du musée Louvre-Lens), de Notre-Dame-de-Boulogne, de Saint-Auguste à Vendin-le-Vieil, de Saint-Édouard (à vendre) de Saint-Vulgan également construit par les mineurs (bientôt mis en vente) et de Sainte-Barbe (déjà vendu).
La fin de tout ou le début de quelque chose ?
En quelques années, la paroisse de Lens sera passée de sept à quatre lieux de culte. Plutôt que de s’épuiser financièrement (et physiquement) à desservir des églises peu remplies, le diocèse d’Arras choisit de concentrer les fidèles. Rien de bien nouveau. Ce qui choque, c’est la manière de s’en séparer : passer par Le Bon Coin, c’est comme mettre le Christ sur le trottoir. Le fait qu’il s’agisse de "morceaux d’histoire" accroît le caractère pathétique, blesse l’âme chrétienne, remisée sur l’étagère de l’archéologie patrimoniale. Ces pierres vivantes ne vont pas seulement, une fois désacralisées, devenir muettes ; elles seront tout à la fois privatisées et détournées de leur fonction, même si la mairie fait valoir un droit de regard sur les acquéreurs. L’abbé Jean-Marie Rauwel, le curé de Lens, est persuadé que "ce ne sera ni une discothèque, ni une mosquée." Il juge la position du diocèse d’Arras pragmatique. Partager le lieu n’était pas la solution : "Même la moitié, c’était encore trop pour lourd pour nos finances", argue-t-il.
Arrivé en 2018, le curé de 60 ans se montre optimiste : "On ferme une église voire deux mais ce n’est pas la fin de tout", tempère-t-il. C’est peut-être même le début de quelque chose. Avec 25 lycéens, le nombre de catéchumènes augmente. "Ceux-ci ne sont pas poussés par leur famille", note le curé. "Le samedi, on a dû faire deux groupes et le dimanche, on ajoute des chaises à la messe", observe-t-il. Les confirmations sont en hausse, "elles seront faites en deux fois cette année. Quant aux parcours Alpha, ils témoignent d’une belle vitalité", ajoute-t-il encore.
Combien de splendeurs éteintes
Malgré ces signes d’espérance, cette mise à l’encan de l’église Saint-Édouard traduit la longue érosion du catholicisme en France, maintes fois décrite. Mais cela fait bien longtemps que l’on ne s’en étonne plus, voire qu’on y collabore : combien de préfectures, conseils régionaux et autres musées occupent, tels des bernard-l'hermite, les splendeurs éteintes d’ordres religieux ? Combien de presbytères habillent d’opulentes résidences secondaires ? Combien de tabernacles vendus comme antiquité servent de bon coin à alcool ?