separateurCreated with Sketch.

L’exercice du pouvoir peut-il être toujours moral ?

MACHIAVEL-shutterstock
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Pierre d’Elbée - publié le 06/03/25
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
La moralité et l’autorité sont-elles compatibles ou inévitablement contradictoires ? Pour le consultant en entreprise Pierre d’Elbée, l’expérience montre que les manœuvres immorales dissimulées constituent toujours un abus de pouvoir, et qu’elles finissent toujours par se retourner contre le bien collectif.

Campagne de soutien 2025

Ce contenu est gratuit, comme le sont tous nos articles.
Soutenez-nous par un don déductible de l'impôt sur le revenu et permettez-nous de continuer à toucher des millions de lecteurs.

Je donne

La récente affaire de l’institution Notre-Dame de Bétharram met en relief une problématique essentielle de la politique comme du management, à savoir le lien entre moralité et exercice du pouvoir. Problématique que l’on pourrait formuler ainsi : faut-il assimiler moralité personnelle et exercice de l’autorité (publique), ou faut-il les distinguer, au point d’admettre que moralité et autorité puissent se contredire ? Distinction ou assimilation ?

En faveur de la distinction, Machiavel : le Prince doit parfois assumer des mesures considérées comme immorales sur le plan personnel pour maintenir le pouvoir et assurer la stabilité de l’État (ou de l’entreprise). Ou encore Thomas Hobbes qui défend l’autorité absolue de l’État pour garantir la paix et la sécurité. En faveur de l’assimilation, Kant : les dirigeants doivent agir selon des principes qu’ils voudraient voir universalisés, de telle manière que leurs décisions respectent à tout moment la dignité humaine et les droits fondamentaux. Ou avant lui, Aristote : la justice est à la fois une disposition individuelle et une norme nécessaire pour que la cité soit ordonnée au Bien commun. 

La morale : vraiment indifférente pour l’action efficace ?

On comprend bien le piège de cette problématique : d’un côté, on a tôt fait de verser dans un réalisme qui frise le cynisme, de l’autre, on paralyse l’action en s’indignant de comportements malsains. À l’instar de Péguy condamnant le moralisme : "ils ont les mains blanches, mais ils n’ont pas de mains…" Le dilemme que pose Comte-Sponville entre le "bon chef d’entreprise" et le "chef d’entreprise bon" va dans le même sens : à tout prendre, il vaut mieux un chef d’entreprise qui fait bien son travail, qui favorise la croissance de son entreprise, qui satisfait les clients. La priorité doit être mise sur son efficacité.

Peut-on aller jusqu’à dire que le relativisme moral des responsables est vraiment indifférent quant à la réussite d’un projet sur le long terme ?

Mais est-ce bien vrai ? Peut-on aller jusqu’à dire que le relativisme moral des responsables est vraiment indifférent quant à la réussite d’un projet sur le long terme ? Rien n’est moins sûr. On remarque qu’une fois dévoilés, des comportements immoraux se retournent contre l’entreprise ou contre l’État. C’est ce qui explique la crise traversée par le Premier ministre François Bayrou, même si son implication dans l’affaire Bétharram reste à clarifier. Carlos Ghosn a été soupçonné d’avoir dissimulé une partie de sa rémunération aux autorités boursières japonaises, ou d’avoir utilisé des fonds de l’entreprise Renault à des fins personnelles : on connaît les conséquences désastreuses sur la gouvernance et l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. 

Abus de pouvoir et efficacité

On connaît également la fraude comptable massive des dirigeants d’Enron qui a conduit l’entreprise à la faillite en 2001. En 2023, Armando Pereira, cofondateur du groupe de télécommunications Altice, est arrêté au Portugal pour des soupçons de malversations financières. L’enquête interne qui a suivi, a révélé des pratiques douteuses au sein du groupe et provoqué le licenciement de plusieurs cadres dirigeants. Ce scandale a ébranlé la structure de gouvernance d’Altice et affecté sa réputation sur les marchés. On pourrait multiplier les exemples… 

Le mensonge, les manœuvres immorales dissimulées, l’influence manipulatoire, le refus de prendre en compte les alertes, le déni, la maltraitance infligée à des personnes qui ne peuvent se défendre… tous ces actes peuvent être perpétrés par des responsables. Mais ils constituent essentiellement un abus de pouvoir. À long terme, ils mettent en danger l’existence même de l’État ou de l’entreprise.

Réconcilier morale personnelle et efficacité ? 

Une grande partie de la clarification de la problématique est dans le critère qui permet à la fois d’évaluer la moralité d’un acte personnel et ses conséquences au niveau collectif. S’il faut admettre que l’on est parfois obligé de sacrifier des intérêts particuliers pour défendre un bien commun supérieur (exemple typique : licencier du personnel pour sauver l’entreprise), profiter de son statut d’autorité pour défendre ou dissimuler des pratiques injustes est d’un autre ordre. La prise de décision du responsable doit se fonder sur sa capacité de discernement : discerner impose de mesurer à sa juste valeur la réalité des faits, et d’évaluer ses conséquences à long terme. C’est ce qu’Aristote appelle la prudence (phronesis) qui apparaît comme un gage d’excellence et de stabilité. Ne jamais oublier qu’une manœuvre immorale est un risque permanent pour l’avenir, qui se paie souvent très cher. Le droit comme la réprobation publique exigent des dirigeants moraux.

Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)