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[HOMÉLIE] La paille, la poutre et la foi dans ses actes

Jésus avec ses disciples, aquarelle

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Jean-Thomas de Beauregard - publié le 01/03/25
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Religieux dominicain du couvent de Bordeaux, le frère Jean-Thomas de Beauregard commente l’évangile du 8e dimanche du temps ordinaire. S’il est mieux d’examiner la poutre dans son œil que la paille dans celui de son voisin, il est meilleur encore de s’occuper de Dieu que de soi. "Ai-je la foi, un peu, beaucoup, passionnément ? Mauvaise question ! Mais est-ce que je prie, est-ce que je fréquente les sacrements, est-ce que je lis la Parole de Dieu ?"

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Je donne

Qui peut prétendre se connaître ? Le moi n’est peut-être pas haïssable, mais c’est un continent immense dont l’exploration est infinie et souvent vaine. Celui qui plonge dans les profondeurs de son moi, fût-ce pour s’examiner sous le regard de Dieu en vue de se convertir et de devenir un saint, peut facilement se noyer. À Catherine de Sienne, désireuse d’être une sainte, qui s’interrogeait anxieusement : "Suis-je assez ceci, suffisamment cela, trop ainsi, ou bien pas assez… ?", Dieu répondit en coupant court à son introspection : "Occupe-toi de moi, je m’occuperai de toi." Voilà qui est net et sans bavure. Certes, il est meilleur d’examiner la poutre que j’ai dans mon œil plutôt que d’accuser la paille dans celui de mon voisin. Mais il est meilleur encore de s’occuper de Dieu que de soi, de regarder Dieu que de se regarder soi.

L’exploration du moi est dangereuse

Est-ce parce que l’exploration du moi conduirait nécessairement à l’orgueil ? Non. C’est d’ailleurs plus souvent le désespoir qui guette le chrétien qui s’examine, à condition qu’il soit un peu lucide. Le Père Régamey o.p. observait : "Il devrait être sans intelligence et sans amour pour y échapper." Vanité dérisoire ou bien tentation du désespoir, l’exploration du moi est dangereuse dès lors qu’on prétend conclure.

Mais surtout, comment conclure ? À s’en tenir à la foi, l’espérance et la charité, ces vertus théologales qui constituent le socle du jugement que Dieu prononce sur notre vie dans sa justice et dans sa miséricorde, qui peut prétendre qu’il sait parfaitement où il en est ? Qui peut affirmer sans hésitation qu’il a la foi, l’espérance et la charité, et jusqu’à quel point ? S’il s’agit d’en juger à partir de l’intensité de nos sentiments, bon courage pour discerner le bon grain de l’ivraie !

Le fruit de l’arbre

Cependant si la foi, l’espérance et la charité sont vraiment des vertus, alors elles s’exercent dans des actes. De la vertu, et des sentiments qui l’animent, on ne saurait présumer. Chacun peut s’auto-analyser à l’infini dans une introspection fatalement nombriliste, jamais il ne parviendra à conclure de manière catégorique s’il porte son attention sur la vertu elle-même et les sentiments qui l’animent. Est-ce que je crois, et jusqu’à quel point ? Est-ce que j’espère, et jusqu’à quel point ? Est-ce que j’aime, et jusqu’à quel point ? Comment conclure ? C’est là le domaine de l’invisible, de l’intangible.

Il nous faut nous garder de juger autrui en le réduisant à ses actes : tout homme est forcément plus et autre que la somme de ses actes.

Mais les actes qui procèdent de la vertu, voilà qui peut être vérifié. Jésus l’affirme sans ambages : "Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit […]. L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais" (Lc 6, 44-45). Bien sûr, Dieu juge au-delà des actes, et va jusqu’au tréfonds du cœur pour saisir le mystère de la personne. Et par conséquent, il nous faut nous garder de juger autrui en le réduisant à ses actes : tout homme est forcément plus et autre que la somme de ses actes.

Ce sont les actes qui révèlent la personne

Toutefois pour ce qui est de soi-même, et parce que nous ne sommes pas Dieu, et que notre propre cœur nous demeure bien souvent opaque, l’examen des actes est encore le critère le plus sûr de vérification de notre personne, et en elle, des vertus de foi, d’espérance et de charité. Négativement, c’est la raison pour laquelle le pénitent qui reçoit le pardon sacramentel est invité à confesser des actes et non pas tel vice ou telle tendance. En positif ou en négatif, ce sont les actes qui révèlent la personne.

Ce n’est peut-être pas un hasard si la doctrine protestante de la prédestination conjuguée au refus de considérer les œuvres pour ne s’intéresser qu’à la foi qui, seule, sauve, procède d’un esprit angoissé comme celui de Luther, et s’achève en désespoir à grand-peine surmonté chez Kierkegaard. Car si je répudie les œuvres, que me reste-t-il pour savoir si j’ai la foi, l’espérance et la charité, et si donc Dieu m’accueillera au Ciel ? Pourtant sensible à l’angoisse de son siècle, et aux questionnements de l’existentialisme chrétien qui redécouvre la dimension dramatique de la vie chrétienne, Bernanos était trop catholique pour se laisser totalement emporter. Ainsi il écrit au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, dans Français, si vous saviez… : "Que m’importe de savoir si j’ai ou non l’espérance ? Il me suffit d’en avoir les œuvres." Il y a là toute la sagesse catholique, qui sait l’impasse que constitue l’auto-analyse, fût-ce à des fins de sanctification personnelle, et s’en remet aux actes.

Le discernement de l’essentiel

Non pas une comptabilité d’épicier, trop facilement satisfait du chiffre d’affaires du jour, mais la confiance paisible dans ce fait d’expérience que nos actes parlent pour nous, disent ce que nous sommes, pour le meilleur et pour le pire. Ai-je la foi, un peu, beaucoup, passionnément ? Mauvaise question ! Mais est-ce que je prie, est-ce que je fréquente les sacrements, est-ce que je lis la Parole de Dieu ? Voilà une meilleure question. Ces actes-là révèlent la foi, ou son absence. Et s’il m’arrive de penser que je n’ai pas assez la foi, c’est par ces actes-là, et d’autres sans doute, que je parviendrai, la grâce divine aidant, à augmenter en moi la foi. La vertu augmente par des actes. La transposition est aisée pour l’espérance et la charité.

Le poète allemand Novalis écrivait : "Un enfant, c’est un amour devenu visible." Un esprit chagrin ou logicien pourrait toujours contester : il y a des enfants qui ne résultent pas de l’amour, et il y a des amours privés d’enfants pour des raisons médicales. Mais Novalis a raison. Car l’amour, comme tel, demeure indiscernable à moins de le constater aux actes qu’il pose et aux fruits qu’il porte. Ce sont des indices, pas infaillibles, mais ils sont là pour frayer un chemin vers le discernement de l’essentiel.

Les fruits de foi, d’espérance et de charité

Encore faut-il en effet que le discernement porte sur l’essentiel. Car l’Évangile que l’Église nous donne à méditer ce dimanche entre en résonance avec un débat récurrent lié à l’actualité ecclésiale. Lorsqu’on s’interroge sur telle ou telle communauté religieuse ou bien association de bienfaisance dont on découvre que son fondateur était un pécheur grave et même criminel, la question du rapport entre le fruit et l’arbre est légitime ; mais ce sont les fruits de foi, d’espérance et de charité qu’il s’agit d’examiner, et non pas les succès extérieurs mesurés quantitativement.

Et même à supposer qu’on s’intéresse aux fruits véritables, il convient de faire la part de ce qui relève du bien commun de l’Église — la prédication de la foi, les sacrements, etc. —, qui ne peut que porter du fruit du fait même que c’est institué et garanti par Dieu, de ce qui relève du propre d’une communauté ou de son fondateur, fatalement plus contingent et soumis aux déficiences des uns et des autres. Comme dans toute l’Église, la communion aux sancta — les choses saintes — peut et doit normalement produire des sancti — les personnes saintes –, mais le résultat peut être grevé par les déficiences personnelles et l’usage dévié de la liberté. Comment comprendre qu’une communauté a pu porter des fruits excellents malgré un fondateur ou tel membre réputé criminel ? Il y a là un mystère d’iniquité, mais dont la résolution tient entre autres à ce que, même criminel, tel fondateur, d’ailleurs jamais totalement corrompu par le péché, a pu communiquer les sancta — la prédication de la foi, les sacrements, etc. — dont l’efficacité est garantie par Dieu en dépit des péchés personnels du ministre.

Un appel à la conversion personnelle

Mais l’évaluation de telle communauté ou telle association n’est peut-être pas au cœur de l’Évangile de ce jour, qui a bien davantage trait à la conversion personnelle. Lorsque Jésus affirme : "Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit […]. L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais", c’est bien de cela qu’il est question. À quelques jours du début du carême, il n’est peut-être pas anodin que l’Esprit saint nous rappelle à la réalité des actes, qui révèlent notre cœur.

Lectures du 8e dimanche du temps ordinaire :

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