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Lorsque, en 529, Aubin, abbé de Nantilly près de Saumur, est porté au siège épiscopal d’Angers, il est probable que cette élection comporte, de la part du pouvoir royal, partie prenante dans l’affaire, une forte dimension politique et l’espoir d’utiliser cet Armoricain de vieille souche pour tenter d’affermir la présence franque en cette marche de Bretagne dont le contrôle lui échappe. Mais, le risque, avec les saints, et Aubin en est un, est qu’ils ne jouent pas aux petits jeux de ce monde…
Aubin, ou plutôt Albinus, est né vers 470 dans le diocèse de Vannes où ses nobles parents possèdent des terres près d’Hennebont. Issu de la noblesse gallo-romaine, dans cette région que le pouvoir franc ne contrôle pas, Aubin a devant lui l’avenir d’un aristocrate aisé mais cela ne l’intéresse guère, et, au sortir de l’adolescence, au grand regret de ses parents, il renonce à l’héritage familial pour entrer au monastère angevin de Nantilly et s’y adonner en paix à la prière, au travail et à la pénitence.
Réputé pour sa piété
Très vite, ce novice exemplaire est réputé pour sa piété, sa sagesse et son humilité qui l’incite, malgré sa naissance, à s’abaisser aux travaux ancillaires, ce qui fait l’admiration générale. Déjà, on le prend pour un saint et ce doit être vrai puisque la chronique retiendra, miracle rare, qu’un jour de pluie et de tempête, alors que tous ceux qui l’accompagnent sont trempés de la tête aux pieds, Aubin traverse les intempéries sans être mouillé, passant entre les gouttes au sens littéral du terme.
Cet éventement impressionne assez sa communauté pour que le jeune homme soit très vite élu abbé de Nantilly, en 494, disent les uns, 504 disent les autres, ce qui, au demeurant, importe peu, L’essentiel est la grande jeunesse du nouvel abbé qui, à peine élu, décide de mettre un terme aux désordres et manquements à la règle de saint Augustin qu’il déplore de longue date. Avec fermeté et douceur, il réussit à rétablir la stricte observance sans jamais se mettre ses moines à dos. Aubin gouverne un quart de siècle Nantilly et il y finirait ses jours si, en 429, les Angevins ne venaient le chercher pour lui offrir, comme les Tourangeaux l’avaient fait autrefois s’agissant de saint Martin, le siège épiscopal d’Angers.
Certes, Aubin n’a jamais brigué cet honneur mais, voyant dans ce choix la main de Dieu, il ne se dérobe pas. Sait-il que le roi Childebert, l’aîné de Clovis et Clotilde, qui, à la mort de son père, lors du partage du royaume franc a hérité du Centre-Ouest, pense s’appuyer sur lui pour renforcer la frontière face à d’éventuelles attaques armoricaines, voire l’utiliser, lui, né de l’autre côté de la frontière, pour amadouer ces Bretons farouchement indépendants ? Peut-être mais, comme il n’a pas l’intention de jouer le rôle qu’on lui réserve, il s’en moque. Ce qui compte, c’est le bien qu’il pourra faire, une fois évêque, élévation d'autant plus rare que les Francs gardent désormais les sièges épiscopaux vacants pour des fils de familles germaniques tout dévoués au roi, et en général, fort peu à ceux de l’Église et du peuple qui leur est confié.
Un négociateur hors paire
Aubin, lui, ne s’y prête pas. Signe que son élection est un événement, les plus grands évêques de l’Ouest viennent lui donner l’onction épiscopale. On voit à son sacre saint Mélaine de Rennes, saint Laud, ou Lô de Coutances, Victor du Mans et Marc de Nantes. Pas des bénis oui-oui, eux non plus, et Childebert l’apprend à ses dépens. Les souverains francs pratiquants, tout catholiques qu’ils se prétendent, une polygamie effrontée, ont persuadé les évêques d’origine barbare de passer sur ces mauvaises mœurs. Aubin, lui, n’en a pas l’intention et, quand il apprend que Childebert, quoique dûment marié devant Dieu, vient d’enlever une jeune fille de bonne noblesse angevine, Éthérie, pour en faire sa concubine, il voit rouge et va voir le roi pour exiger qu’il restitue la demoiselle et, comme on lui objecte la dot versée par le suborneur aux parents, Aubin, imperturbable, la rembourse, repartant avec la vierge préservée.
Dès lors, il devient un négociateur hors pair, spécialisé dans la récupération des malheureux tombés au pouvoir des nouveaux maîtres qui, trop souvent, ne sachant que faire de ces esclaves trop nombreux, sont trop contents de les revendre à l’évêque ; lequel paye sans broncher, pour la joie de réunir des familles victimes de la guerre. Même les prisonniers moins recommandables lui inspirent de la pitié et, un jour qu’il a imploré vainement grâce pour quelques voleurs prêts à s’amender, une brèche, à sa prière, s’ouvre dans la muraille permettant l’évasion des détenus.
Des pouvoirs de thaumaturge
Navré des mauvaises mœurs de l’époque, qui n’épargnent pas même les clercs, ayant obtenu la réunion d’un troisième concile national à Orléans, il arrache la condamnation du nicolaïsme, autrement dit les concubinages ordinaires du clergé, et l’interdiction des unions consanguines, trop répandues dans l’aristocratie, exige des sanctions contre ces couples scandaleux qu’il menace d’excommunication s’ils refusent de se séparer, ne reculant pas même devant les plus puissants seigneurs et leur colère.
Quant à l’appui au pouvoir royal dans ces tentatives d’annexion bretonne, il est, évidemment, inexistant mais les pouvoirs de thaumaturge d’Aubin sont tels que nul n’ose le contrarier, certains de ceux qui s’y sont risqués étant tombés morts à ses pieds. Pourtant, il se juge trop faible en ces affaires de morale au point, en 549, d’entreprendre un voyage à Arles afin d’y rencontrer l’évêque Césaire et confesser ce qu’il tient pour de la lâcheté et de la complaisance. Cet effort épuise Aubin qui meurt au retour de ce périple, le 1er mars 450. Sa réputation de sainteté ne fera plus que croître.
