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En Ukraine, les catholiques face à la guerre

MESSE-CATHOLIQUE-KIEV-AFP

Messe en l'église catholique Saint-Nicolas de Kiev (Ukraine).

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Jean-Baptiste Noé - publié le 27/02/25
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La guerre d’Ukraine a ravivé les tensions et les failles des Églises chrétiennes, mais aussi les moments de solidarité et d’entente. Pour le monde catholique comme pour le monde orthodoxe, analyse le géopoliticien Jean-Baptiste Noé, cette guerre est une épreuve spirituelle et diplomatique.

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En Ukraine, les catholiques représentent près de 12% de la population, essentiellement regroupés dans l’Église gréco-catholique d’Ukraine, c'est-à-dire une Église catholique, donc rattachée à Rome, mais de rite grec, comme les orthodoxes. S’ils sont minoritaires dans un pays majoritairement orthodoxe, ils jouent un rôle politique et social majeur, notamment depuis l’indépendance du pays en 1991. L’historien Anatolii Babynskyi, maître de conférences à l’Université catholique d’Ukraine, présente dans un ouvrage récemment traduit en français l’histoire singulière de ces catholiques en Ukraine (L’Église gréco-catholique ukrainienne. Une brève histoire, Salvator, 2025). Une histoire peu connue des Romains latins, mais qui joue pourtant un rôle majeur dans la construction de l’identité nationale et culturelle ukrainienne. 

Combat pour l’indépendance

Au tournant des années 2000, et notamment lors des grandes manifestations des années 2004-2005, les gréco-catholiques ont défendu l’indépendance de l’Ukraine et la spécificité de la culture ukrainienne, notamment contre les forces politiques qui souhaitaient intégrer l’Ukraine à la Russie. La répression de l’époque soviétique avait laissé des traces, la communauté ayant subi la fermeture des églises, des séminaires et des centres culturels, ainsi que la déportation de plusieurs membres du clergé, obligeant les catholiques à vivre de façon clandestine. 

Pour pouvoir prendre les armes et mourir pour son pays, il faut d’abord avoir conscience d’exister en tant que nation.  

Lors des manifestations à Kiev, les églises catholiques accueillirent les blessés, de toutes confessions, lancèrent des appels pour lutter contre la corruption et pour préserver la dignité humaine. Une personne joua un rôle majeur dans ce combat pour l’indépendance, Mgr Lubomyr Husar (1933-2017). Archevêque majeur de Kiev, primat de l'Église grecque-catholique ukrainienne de 2001 à 2011 et cardinal de l'Église catholique à partir de 2001, il participa à l’introduction de la doctrine sociale de l’Église dans le corpus intellectuel des chrétiens ukrainiens. Ayant surmonté les répressions de l’époque soviétique et les fractures politiques des années 2000, il acquit un respect qui alla au-delà du cercle catholique. Preuve de l’importance que lui accordèrent les Ukrainiens, ses funérailles se déroulèrent sur cinq journées et virent les autorités gouvernementales et les responsables orthodoxes lui rendre hommage. 

Face aux contingences diplomatiques

Ce combat intellectuel et politique pour l’indépendance explique la résistance ukrainienne à l’invasion russe de 2022. Ce ne sont pas seulement avec des armes et des avions que les Ukrainiens ont pu tenir, même si c’est indispensable, mais aussi avec une claire conscience de ce qu’est leur patrie et leur identité nationale. Pour pouvoir prendre les armes et mourir pour son pays, il faut d’abord avoir conscience d’exister en tant que nation.  

Cet engagement pour l’indépendance explique les déchirements des catholiques ukrainiens face au positionnement de la diplomatie du Saint-Siège. Anatolii Babynskyi fait ainsi remarquer qu’en 2020, le pape François bénéficiait du plus haut niveau de confiance en Ukraine parmi les chefs religieux ukrainiens et étrangers, avec un taux d'approbation d'environ 45%. Mais le positionnement du Saint-Siège, qui refusa dans un premier temps de désigner la Russie comme un agresseur, s’en tenant à une ligne de neutralité diplomatique, provoqua un effondrement de cette cote de popularité, qui est tombée à 5% d’opinion favorable.

Contribuer à la réconciliation

On trouve ici un dilemme constant à toutes les guerres. Les Ukrainiens, qu’ils soient catholiques ou orthodoxes, souhaitaient que le Pape désigne clairement la Russie comme l’agresseur et se positionne en faveur de l’Ukraine. Or la diplomatie vaticane, sans méconnaître la responsabilité de la Russie, opta pour la ligne qui est la sienne lors des conflits, c'est-à-dire une neutralité diplomatique, afin de pouvoir jouer son rôle de médiateur, notamment pour la négociation de la libération de prisonniers. Cela fut efficace puisque le Saint-Siège contribua à la libération de plusieurs enfants, prêtres et soldats. Et que le cardinal Zuppi, comme envoyé spécial du Pape, rencontra les dirigeants russes et ukrainiens afin d’aider à la résolution du conflit. 

Mais ce positionnement diplomatique et ces succès ne levèrent pas l’incompréhension d’une grande partie de la population civile. Cela conduisit à des tensions entre orthodoxes et catholiques, d’autant que, dans le même temps, une grande partie de l’Église orthodoxe d’Ukraine se séparait du patriarcat de Moscou. Car ce qui se joue en Ukraine depuis 2022, c’est non seulement une guerre entre deux États, mais aussi une guerre pour l’indépendance, menée par les Ukrainiens. Et dans cette guerre d’indépendance, ils attendent un soutien total et sans faille, sans s’embarrasser des contraintes diplomatiques. Une fois les armes tues, les gréco-catholiques devront reprendre le rôle qui est le leur et contribuer à la réconciliation d’une société abîmée et fracturée par la guerre.

Pratique

L’Église gréco-catholique ukrainienne. Une brève histoire, Anatolii Babynskyi, Salvator, 2025, 207 pages, 20 euros.
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