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L’émotion suscitée par l’incendie et la réouverture de Notre-Dame a rappelé combien le sacré demeurait un pilier de l’identité parisienne et nationale. Un thème central exploré par l'exposition "Lieux sacrés - Bâtir, Célébrer, Coexister" qui ouvre à Paris ce 27 février et se propose de dévoiler, à travers l'histoire, la géographie et la sociologie, les multiples visages de la sacralité dans la métropole. Mathieu Lours, historien de l’architecture et commissaire scientifique de l’exposition, livre son analyse sur le sacré, ses différentes incarnations dans l’espace urbain parisien sans faire l’impasse sur ses limites.
Aleteia : Comment définiriez-vous le sacré ?
Mathieu Lours : C’est ce qui est séparé du cours habituel des choses, qui possède une part d’intouchable et que l’on reconnaît comme relevant d’une transcendance. Je peux vous donner une définition un petit peu plus radicale qui m’a été donnée un jour par un étudiant : "Le sacré, c’est ce à quoi on obéit de manière inconditionnelle". Autrement dit, tout n’est pas sacré pour tout le monde mais tout le monde peut reconnaître que quelque chose est sacré pour autrui. C’est le principe de la communauté humaine dans ses modalités contemporaines.
Comment la notion de sacré au sein de l’espace urbain a-t-elle évolué au fil du temps ?
Arriver à Paris depuis l’aéroport de Roissy par l’autoroute du Nord est une excellente expérience pour le comprendre. On y distingue de manière saillante les trois piliers de la ville contemporaine : la basilique du Sacré-Cœur (sommet religieux), la tour Eiffel (qui incarne la foi dans la science et dans la raison) et la Tour Montparnasse (l’économie). Nous sommes passés d’une ville dominée par la sacralité catholique, visible depuis les collines environnantes, à une ville qui s’est créée trois nouveaux sommets aux XIXe et au XXe siècles et qui disent quelque chose de ce que l’on sacralise dans la ville aujourd’hui. La sacralité religieuse en demeure bel et bien l’un des pôles.
Il y a ce qui est sacré de manière civique, philosophique et civilisationnelle pour tous : la nature, la mémoire historique, la notion de religion.
Selon vous, la notion de sacré dépasse-t-elle les différences culturelles ou cultuelles ?
Il y a ce qui est sacré de manière civique, philosophique et civilisationnelle pour tous : la nature, la mémoire historique, la notion de religion. D’autre part, il existe les sacralités d’appartenance auxquelles, en tant qu’individus, on adhère ou non. Tout le monde reconnaît à Notre-Dame de Paris son statut sacré, y compris les non-catholiques et les athées. Notre-Dame est sacrée au titre de son usage, comme monument historique et national. Le Panthéon est un autre exemple. Tout le monde lui reconnaît une aura de sacralité politique, historique et citoyenne. Il ne viendrait à personne l’idée d’organiser dans l’enceinte du Panthéon une activité qui ne soit pas en lien avec sa nature. Le critère de décence prime, tout comme autour de la flamme du soldat inconnu à l’Arc de Triomphe ou au mémorial de la déportation sur l’Île de la Cité. Bien évidemment, on adoptera dans ces lieux un comportement différent de celui que l’on aurait dans le square d’à côté. L’architecture elle-même constitue un signe de cette modification de comportement à laquelle on s’astreint.
L’exposition propose de faire découvrir la sacralité de lieux religieux et non religieux du Grand Paris. Peut-on trouver du sacré dans des lieux "sans Dieu" ?
Oui. À commencer par les cimetières, laïcs en France mais où les signes religieux existent. Dans certains lieux naturels également. Cette notion, héritée du siècle des Lumières, renvoie au panthéisme et consiste à dire que la nature nous met en communication avec des forces supérieures. Cela fait longtemps que l’on sacralise la nature y compris dans les religions : saint Denis décapité sur la montagne de Montmartre, sainte Geneviève dans la campagne avec ses moutons, les cloîtres des jardins médiévaux… Aujourd’hui, la nature peut être un lieu de communion. Prenons une église construite récemment comme Saint-Paul de la Plaine à Saint-Denis qui comporte des jardins visibles par des vitraux translucides depuis l’intérieur de l’édifice. Son architecture interroge sur ces sacralisations de la nature.
On compare parfois les stades aux cathédrales pour l’expérience collective. Mais l’expérience collective ne suffit pas, il faut la transcendance et l’unanimité.
Les formes de sacralité connaissent-elles des limites ?
On compare parfois les stades aux cathédrales pour l’expérience collective. Mais l’expérience collective ne suffit pas, il faut la transcendance et l’unanimité. Il en va de même pour un concert. Il y a des sacralisations dans ce type de manifestations mais pas de sacralité pure.
Pourquoi le sacré est-il une nécessité dans nos vies et pour la vie de la cité ?
Je crois que chacun souhaite se dire qu’il rencontre des limites dans son rapport aux choses. D’un point de vue civilisationnel, cela fait partie des règles de la vie commune que d’admettre qu’il y a des choses sacrées pour les autres. Par ailleurs, il s’agit aussi de profiter des bienfaits que le sacré apporte à la ville. Le sacré, d’un point de vue architectural, produit de la beauté, du service à la collectivité et enrichit notre héritage. Le sacré restera une nécessité quelles que soient les évolutions du rapport entre le sacré religieux et non religieux et dans le rapport entre les différentes religions. Reste simplement à espérer qu’on n’en viendra pas à une logique de fragmentation conflictuelle. Cette pédagogie autour du sacré est très importante, il faut l’assumer et ne pas l’occulter. La présence de ce patrimoine sacré est un formidable outil pour rappeler la présence des religions dans l’espace urbain, en particulier pour l’Église catholique qui a le plus important héritage en la matière dans l’agglomération parisienne. Le fait que l’Église construise toujours est un signe de sa vitalité et les chantiers actuels marquent une sorte de revanche des périphéries sur le centre de Paris. Aujourd’hui, le patrimoine architectural sacré s’enrichit par la banlieue.
Pratique
Espace Notre Dame, 6 rue de la Cité, 75004 Paris
27 février - 31 mai 2025
Entrée libre
Tous les jours de 10h à 20h

