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Cinéma : “Mercato”, l’émotion malgré le pognon

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"Mercato", un film de Tristan Séguéla avec Djamel Debbouze.

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Henri Quantin - publié le 26/02/25
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Dans le chaudron infernal du foot-business, le film "Mercato" réussit à mettre en évidence les enjeux humains et moraux de toute décision à prendre dans la vie, décrypte l’écrivain Henri Quantin.

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"C’est quand il parle de lui-même que le théâtre parle le plus du monde", écrit Olivier Py dans une pièce où il imagine un soudain engouement planétaire pour la scène. Devant Mercato, le film de Tristan Séguéla, on est tenté d’appliquer l’aphorisme au football et de voir dans le monde du ballon rond le meilleur miroir de la société. Nul besoin d’imagination, en l’occurrence, car aucune réalité ne peut rivaliser avec la place qu’a le foot dans le monde actuel.

Un chaudron sportif infernal

Centrée sur la semaine infernale d’un agent de joueur qui doit absolument trouver l’occasion de toucher une grosse commission (les fameux dix pourcents) pour payer une dette et sauver sa vie, l’intrigue dévoile efficacement tous les aspects du foot-business : la pression mise par les adultes sur des enfants prodiges qui n’aspirent qu’à jouer avec leurs amis, les départs juteux de joueurs secondaires vers des royaumes d’aveugles dont ils seront les rois borgnes, les contrats à 8, 9 ou 10 chiffres qui donnent à certains joueurs des allures de prostituées de luxe se vendant au plus offrant, les tentations multiples d’adolescents que l’argent et la gloire rendent comme tout-puissants, l’omniprésence de truands et de trafiquants en tout genre que les milliards attirent…

Au milieu de toutes ces petites et grandes corruptions, Mercato réussit pourtant à conserver le poids d’humanité d’un sport aux ferveurs populaires inégalées. Jamel Debbouze, qui joue le rôle principal, après avoir eu l’idée initiale du scénario, y est pour beaucoup et on admire la façon dont il laisse de côté son rôle habituel de comique de la dérision. En Driss, l’agent véreux qu’il incarne avec talent, il parvient à merveille à émouvoir malgré toutes ses bassesses. Menteur, flatteur, manipulateur, diviseur, il aurait tout pour être le diable de ce chaudron sportif infernal. Pourtant, les scénaristes orchestrent une évolution, sinon une rédemption, rendue crédible par le fil rouge du regard de son fils Abel (le juste ?), tantôt écœuré par ce cynique obsédé par l’argent, tantôt gardant espoir dans la possibilité de sauver quelque chose chez son père, qui lui a bien souvent préféré ses poulains.

Le regard du fils

Le regard de ce fils — plus que ses leçons anticapitalistes un peu manichéennes — est ce qui reste de conscience à ce père au portable collé à l’oreille. Habilement, le spectateur est placé dans un sentiment assez proche de celui d’Abel, se surprenant à s’attendrir devant les angoisses d’un homme très rarement édifiant. Ce serait un défaut du film, s’il ne s’agissait que d’une énième idéalisation romantique d’une crapule pleine de bagout. C’est ici une qualité, car c’est dans les failles du père que se logent les moments les plus vrais. Ainsi de ce passage où il demande à son fils de sortir, avant de confier qu’il ne l’a pas vu grandir à un joueur ivre qu’il essaie une dernière fois de remettre debout. Le film, au passage, ne néglige pas la question de la rédemption sportive d’un joueur mis au ban (et au banc) à la suite d’une faute unique jugée impardonnable. Pour qui juge que la misère n’est pas que matérielle, des enfants gâtés millionnaires peuvent être aussi objets de compassion, quand ils ne savent pas ce qu’ils font.

Une once d’humanité

Mercato réussit donc très bien à parler du foot pour parler du monde. Terrain d’observation de la jungle capitaliste mondiale, de l’avenir de l’Europe face aux émirs du pétrole qui l’achètent, des jeunes générations qui jugent les précédentes, le film, c’est sa plus grande force, met en évidence des enjeux humains et moraux dans chaque décision à prendre, même la plus banale en apparence. Qu’il s’agisse de donner un numéro de téléphone, d’envoyer son jeune enfant dans un centre de formation lointain, d’offrir une deuxième chance à un joueur ou même de choisir entre deux salaires pourtant tous les deux indécents, la plupart des personnages se retrouvent devant la même alternative : se soumettre entièrement au foot-business ou tenter d’y maintenir une once d’humanité. Une once de beauté, aussi, quand Driss est fugitivement capable de transmettre à son fils son amour du foot, non pour l’argent qu’on y gagne, mais pour la beauté d’un geste génial qui fait soudain croire à la grâce.

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