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[HOMÉLIE] Aimer ses ennemis, comment est-ce possible ?

JESUS-APOSTLES-TISSOT

Recommandation aux apôtres, par James Tissot, Brooklyn Museum.

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Maxence Bertrand - publié le 22/02/25
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Curé d’Oullins dans le diocèse de Lyon, don Maxence Bertrand commente l’évangile du 7e dimanche du temps ordinaire. Mal compris, le discours de Jésus sur l’amour des ennemis peut nous heurter. Non seulement, cet amour n’estompe pas la justice, mais par la grâce de Dieu, dans l’exercice de la bonté, tout est possible.

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Au soldat qui, pendant son procès, l’a giflé, Jésus n’a pas tendu l’autre joue. Sans la moindre trace de rancœur, il s’est redressé, l’a regardé et lui a posé cette question : "Si j’ai mal parlé, dis-moi ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ?" (Jn 18, 23.) Au coup porté, Jésus répond par la parole. Au geste violent, Jésus répond par une question. Il met un terme à la spirale de la violence qui répond au mal par le mal et bien souvent par un mal plus grand encore. Non seulement Jésus met un terme à cet enchaînement de violence, mais il va, en sa chair, le subir encore, jusqu’à aller dénouer ce drame dans la mort elle-même pour y faire entrer pour toujours le mystère de l’amour.

La loi du talion, premier coup d’arrêt

Les récits bibliques décrivent cet enchaînement du mal qui tient captif le cœur de l’homme, et tout ce travail de la grâce qui vient enrayer ce mécanisme du péché puis rendre justice, relever et enfin guérir ce cœur abîmé. Dans la Genèse, il est dit que "celui qui fera du mal à Caïn sera vengé sept fois" (Gn 4, 15). Six générations plus tard, Lamek, le cœur débordant de violence, s’exclame : "J’ai tué un homme pour ma blessure et en enfant pour ma meurtrissure. Et si Caïn sera vengé sept fois, Lamek sera vengé soixante-dix-sept fois" (Gn 4, 23-24). Voilà la grande tentation : répondre au mal par un mal plus grand encore. Et il n’est pas nécessaire d’aller chercher très loin : des enfants aux dirigeants des nations, nul n’échappe à ce vertige du mal.

À plusieurs reprises, Jésus va transmettre à ces disciples, par ses paroles et par son témoignage, le mystère de la grâce qui pardonne et relève.

Dans l’Exode, Moïse met un coup d’arrêt à cet irrésistible enchaînement. En ce sens, la loi du talion constitue un progrès dans la justice : "S’il arrive malheur, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure" (Ex 21, 23-25). Il n’est pas encore question du pardon des offenses ou de l’amour des ennemis, mais la spirale de la violence est contenue. 

Le régime de la grâce

Le témoignage de David, poursuivi et persécuté par Saül, annonce prophétiquement un autre régime, celui de la grâce. Alors que lui est offert l’occasion de se venger et de mettre fin à la chasse à l’homme, dont il est victime, en tuant Saül, David n’en fait rien. Il se saisit du couteau de Saül endormi et le réveille à distance pour lui signifier que jamais il ne touchera à sa vie. David répond au mal, non par un mal équivalent, mais par un bien : la vie sauve de Saül. Et comme le Christ en son procès il interroge : "Qu’ai-je donc fait ? Quel mal ai-je commis ?" (1 S 26, 18). "Aujourd’hui le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur." (1 S 26, 23). 

À plusieurs reprises, Jésus va transmettre à ces disciples, par ses paroles et par son témoignage, le mystère de la grâce qui pardonne et relève. Pierre fait peut-être référence à Caïn quand il interroge Jésus : "Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ?" (Mt 18, 21.) Et dans sa réponse, Jésus fait peut-être écho à Lamek : "Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois" (Mt 18, 22). Le Christ se révèle comme celui qui vient déconstruire le mouvement de la violence et de la colère, non par abstraction ou sous-estimation de la souffrance, mais par un amour qu’honore la justice. "Si j’ai mal parlé, montre-moi ce que j’ai dit de mal, mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ?" (Jn 18, 23.) Jésus renvoie le soldat à sa conscience et à sa responsabilité. Quelques heures plus tard, étendu sur la croix, Jésus demandera dans sa prière : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font" (Lc 23, 34).

Un discours mal compris

Mal compris, ce discours de Jésus sur l’amour des ennemis pourrait bien nous heurter. L’amour des ennemis, le non-jugement et l’amour désintéressé ont pu faire bien des dégâts dont nous mesurons l’ampleur ces dernières années. Nous avons pensé que le pardon pouvait oublier le travail de la justice. Nous avons pensé qu’il suffisait d’entendre ces recommandations pour ne pas avoir à écouter la souffrance des blessés et des victimes et que sous un régime chrétien, on pouvait passer à autre chose. L’amour du Christ n’estompe pas la justice, ni celle des hommes ni celle de Dieu. 

Si nous n’avons pas d’obligation de résultat, il nous revient de travailler notre cœur pour le rendre disponible à l’œuvre de la grâce.

Vient alors la tentation d’abaisser un peu l’exigence des paroles de Jésus. De remettre à plus loin ou à plus tard ce qui nous semble inaudible ou injustifiable. Avant de prononcer ces mots : "Faites du bien à ceux qui vous haïssent, souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient" (Lc 6, 27-28), Jésus a passé un temps long au milieu de la foule pour guérir de nombreux malades et apaiser beaucoup d’esprits tourmentés. Une manière de signifier que ses gestes, comme ses paroles, ne seront pas imitables par l’effort : "Pour les hommes, c’est impossible. Mais pour Dieu tout est possible" (Mt 19, 26). Il nous est impossible de faire voir un aveugle et nous n’en doutons pas. Si cela advient, nous y voyons l’œuvre de Dieu. Voyons-nous l’œuvre de Dieu dans ce pardon donné ? Dans cette injustice reconnue puis traversée ? Dans la prière offerte pour la conversion de ceux-là mêmes qui nous ont fait souffrir ? Voyons-nous là l’œuvre de Dieu ? 

S’exercer à la bonté

Il apparaît alors, et c’est heureux, que ces recommandations de Jésus ne sont pas éloignées de celles qu’il adresse à ses apôtres : "Sur votre route, proclamez que le royaume des Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux… " (Mt 10, 7-8). C’est donc à la grâce de faire son œuvre en nous. Nul n’éprouve un sentiment de culpabilité pour n’avoir pas ressuscité un mort. Beaucoup en éprouvent de ne pas aimer leurs ennemis. "Pour les hommes c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible." Si nous n’avons pas d’obligation de résultat, il nous revient de travailler notre cœur pour le rendre disponible à l’œuvre de la grâce.

Et de quelle manière ? Notre entraînement à cette charité qui nous dépasse sera de nous exercer à la bonté. Ce sera l’espace par lequel la grâce de Dieu se glissera en notre âme. Et de notre âme dans le monde. Cette bonté sera la mesure de notre vie et de nos relations. "Car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous" (Lc 6, 38). À l’inverse de ce déchaînement du mal, la bonté fait entrer l’amour dans le monde.

Le terreau de la grâce

La bonté sera le terreau de la grâce insoupçonnable qui vient d’en-haut. Elle sera la plus innocente possible et la plus simple aussi. En racontant ce témoignage émouvant, Madeleine Delbrêl disait de la bonté, et c’est si vrai, qu’elle est comme un "pressentiment de Dieu lui-même" :

"J’étais dans une grande ville, il y a plusieurs années, à l’étranger… Je souffrais… Je marchais depuis plusieurs heures dans les rues pour attendre le moment du train. Pourquoi ne pas dire que je pleurais ? Je ne m’inquiétais pas et attendait que ça passe. Étrangère. Inconnue. Un chagrin commun à tous les hommes… Il s’est mis à pleuvoir ; j’avais faim… J’entrais dans un minuscule café qui donnait aussi à manger… Je mangeai lentement… pour donner à la pluie le temps de finir. De temps en temps mes yeux s’égouttaient. Mais tout d’un coup, mes deux épaules ont été prises dans un bras réconfortant et cordial. Une voix me dit : "Vous, café, Moi, donner." C’était absolument clair. Je ne me souviens plus de ce qui s’est passé après… J’ai souvent parlé de cette personne, pensé à elle, prié pour elle avec une reconnaissance inusable et aujourd’hui, cherchant la bonté en chair et en os, c’est elle qui s’est imposée à moi. Car ce qui donne à cette femme valeur de signe chrétien, d’image lointaine mais fidèle de la bonté de Dieu, c’est qu’elle a été bonne parce qu’elle était habitée par la bonté, non parce que j’étais "des siens", familialement, socialement, politiquement, nationalement, religieusement. J’étais "l’étrangère" sans indice particulier. J’avais besoin de bonté. J’avais besoin de la bonté quand elle se fait miséricorde. Elle m’a été donnée par cette femme."
(Nous autres, gens des rues, Seuil, 1995, p. 158.)

Lectures du 7e dimanche du temps ordinaire :

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