Campagne de Carême 2025
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Dans le cadre du Jubilé 2025 – grand événement de l’Église catholique célébré tous les 25 ans –, les visiteurs pourront franchir à Rome les portes de la bibliothèque très privée du Vatican, à l’intérieur des Murs léonins, pour une exhibition accessible tous les samedis jusqu’à décembre. Pour cette initiative intitulée "En Route" (en français dans le texte), les conservateurs ont sorti de leurs archives l’impressionnante collection de 1 200 quotidiens récoltés par le diplomate et historien italien Cesare Poma (1862-1932). Les pièces recèlent des documents rares d’éditions de journaux imprimés dans les langues les plus inattendues, voire insolites – à titre d’exemple, derrière les vitrines figure la Une d’un journal en langue hébreu écrite avec les caractères de l’alphabet turc pour les juifs vivant à Istanbul.
"Nous avons voulu présenter des textes auxquels l’esprit commun ne s’attendrait pas de part de la bibliothèque vaticane. On a tendance à penser : que peut-on trouver d’autre dans la bibliothèque du pape que des bibles ?", glisse le père Giacomo Cardinali, commissaire de la salle d'exposition permanente de la BAV. La collection de Cesare Poma témoigne d’une période, à cheval entre le XIXe et le XXe siècle, où les sociétés ont vu le développement prolifique et la popularisation des moyens de transport – bicyclette, montgolfière, train, bateau… –, explique le philologue et paléographe italien. En transmettant le "goût du voyage et de la découverte" de cette époque, la BAV a choisi de mettre en exergue six femmes qui, en pleine ère victorienne, ont enfreint l’injonction sociale en partant seules à l’aventure.
La concurrente de Jules Verne
On trouve notamment, sous verre, un rare "Jeu de l’oie" sur le parcours de Nellie Bly autour du globe, un événement qui avait défrayé la chronique et déchaîné les passions. En 1888, cette journaliste d’investigation américaine habituée aux enquêtes sous couverture dans des usines ou des asiles, de son vrai nom Elizabeth Jane Cochran, est prise de l’idée de battre le record du Phileas Fogg de Jules Verne : faire le tour du monde en moins de 80 jours. Mais quand elle le propose à sa rédaction du New York World, son chef décline le projet en arguant qu’une femme ne peut voyager seule et qu’elle aurait besoin de "tellement de valises" que son périple en serait ralenti. Dans ce célèbre échange, transcrit sur un présentoir de la BAV, Nellie répond audacieusement : "Envoyez un homme, et je partirai le même jour pour un autre journal, et je le battrai".
Nellie partira finalement pour son média et battra en effet le record des célèbres – et fictifs – Phileas Fogg et Passepartout, en concluant son voyage en 72 jours. Les chroniques rapportent que pendant ce périple, qui dura du 14 novembre 1889 au 25 janvier 1890, elle prit même le temps de faire un détour par Amiens pour rencontrer Jules Verne en personne.

Deux Français partis "sans le sous"
L’exposition présente aussi l’histoire cocasse de deux journalistes Français Lucien Leroy et Henri Papillaud, qui décidèrent de partir visiter la planète "sans le sou" et fondèrent un journal de voyage pour se financer. Décorum oblige, les deux compères mirent dans leurs valises… un smoking. Leur journal, qui se déclina en 14 numéros, connut un succès phénoménal. À tel point qu’à un certain moment leur quête sans argent ne fut plus crédible, et qu’ils décidèrent de dépenser le montant des abonnements dans l’opulence, s’accordant un train de vie luxueux.
"Apparemment, il n’y a rien de religieux dans ce projet, mais selon moi l’esprit de dialogue avec les réalités les plus diverses, l’ouverture à l’universalité, est très catholique", souligne le père Giacomo Cardinali. "À la bibliothèque du Vatican, n’importe quelle expression de l’esprit humain nous intéresse", ajoute-t-il. Quelque 120 personnes chaque samedi peuvent réserver une visite de cette exposition avec des audio-guides en italien, anglais, espagnol et français. Les conservateurs souhaitent "que des personnes qui ne seraient jamais entrées ici puissent entrer", affirme le père Cardinali. Et de glisser : "Étant donné la diversité des ouvrages que nous conservons, ici personne n’est étranger, tout le monde peut se sentir un peu chez soi".