Il y a dix ans, le 15 février 2015, le monde découvrait horrifié l'exécution barbare de 20 coptes égyptiens et un ghanéen par Daesh. Le réalisateur copte Samuel Armanius a retrouvé la trace de ces hommes dont le martyre est inscrit au martyrologe romain.
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“Ya rabbi Yassu”. “Mon Seigneur Jésus”. C’était il y a dix ans déjà. Ces genoux qui ploient sur le sable mouillé d’une plage de Libye. Ces combinaisons d’un orange agressif qui tranchent avec la paix lumineuse de ces 21 visages. Ces lèvres qui prononcent lentement le nom de leur Sauveur. “Message signé avec le sang à la nation de la Croix” : les bourreaux de Daesh étaient sans doute loin de se douter, ce 15 février 2015, que cette macabre mise en scène offrirait au monde entier le témoignage d’une foi inébranlable, symbole ultime de la victoire de cette Croix qu'ils abhorrent. "Je vous ai parlé ainsi, afin qu’en moi vous ayez la paix. Dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde" (Jn 16, 33). "Ya rabbi Yassu !" L’invocation murmurée se transforme en cri puissant lorsque la lame pénètre dans la chair. Les seules images qui resteront visibles en Occident seront celles d’une mer rouge de sang.
Les 21, c’est ainsi qu’on les nommera pour évoquer ces martyrs du XXIe siècle. Vingt chrétiens orthodoxes coptes, et un Ghanéen, celui dont personne ne réclamera jamais le corps, qu’on nommera “Matthew”, et qui repose désormais aux côtés de ses frères de martyre à Al-Our, à 250 km au sud du Caire. C’est de ce village de la province de Minya que venaient Tadros Youssef, Maged Soleyman, Hani Abdelmessih, Ezzat Boshra, Malak Farag, Samuel Alham, Malak Ibrahim, Luka Nagaty, Sameh Salah, Milad Makin, Essam Badar, Youssef Shokri, Bishoy Estefanos, Samuel Estefanos, Gerges Samir, Abanob Ayad, Mina Fayez, Kyrollos Boshra, Gaber Mounir, Gerges Milad, Essam Baddar. Tous se connaissaient. Tous étaient pauvres, et étaient partis chercher du travail en Libye pour nourrir leurs familles.
Ils étaient des hommes humbles, travailleurs et pieux. Le plus beau témoignage que nous ont donné les martyrs coptes, c’est celui de la simplicité dans la foi.
À Al-Our, “ils vivaient comme tous les Coptes, un quotidien ordinaire, pétri de spiritualité et de vie ecclésiale”, raconte à Aleteia Samuel Armanius, réalisateur copte du film “Les 21, la Puissance de la Foi: le village des martyrs”. Une vie rythmée par le jeûne, la messe, les confessions régulières et une forte participation à la liturgie. Une vie bercée par le récit des martyrs. “La vie des martyrs est omniprésente chez les Coptes, ils habitent des histoires qui nous sont racontées depuis l’enfance”, poursuit Samuel. Est-ce pour cela que ces fils, frères et pères de famille semblent si bien préparés à faire face à la mort violente qui les attend ? Alors qu’ils sont capturés en janvier par Daesh (sept d’abord, puis treize autres), ils sont torturés pendant une quarantaine de jours avant d’être emmenés par leurs bourreaux à la mort.
Avec eux, Matthew Ayariga. De nombreuses zones d’ombre entourent cet inconnu ghanéen. Selon Samuel Armanius, il est très probable qu’il se soit converti alors qu’il était l’un des gardiens des Coptes. “Le fait même que personne n’ait réclamé son corps est un indice assez fort. Il s’agit vraisemblablement d’une apostasie, la honte ultime pour une famille musulmane”, avance le réalisateur. “D’autre part, c’est le chef qui est derrière lui et qui le décapite. Il est au centre des 20. Comme si on avait voulu s’occuper de son cas personnellement, en tant que traître”. À sa droite, figé dans une dignité troublante, Essan. Le "beau gosse" du groupe, comme le qualifient les Coptes. Non seulement parce qu’il est beau, mais aussi parce qu’il se dégage une paix indicible de ce visage levé vers le ciel.
“Oecuménisme de sang”
“Ils sont une joie pour nous. Ils font notre fierté”, souligne Abouna Antonios, prêtre copte de l’église de Villejuif (Val-de-Marne). Une fierté partagée par les catholiques. Car s’ils appartiennent à l’Église copte orthodoxe, les 21 ont aussi été inscrits au martyrologe romain par le pape François le 11 mai 2023, devenant les premiers saints à être honorés par les deux Églises depuis leur séparation à la suite du Concile de Chalcédoine en 451 après Jésus-Christ. “Cette initiative est inédite et même historique”, explique à Aleteia le diacre Didier Rance, auteur de "Martyrs de la foi, témoins de la foi du XXe siècle" (Le Sarment) et membre de la commission romaine "Nouveaux Martyrs, témoins de la foi”. “Cette nouveauté est un signe fort de la recherche de l’unité entre les chrétiens. Les Coptes vérifient ainsi une intuition de Jean Paul II qui considérait qu’au ciel, nous avons les mêmes martyrs. Depuis, d’autres saints qui n’étaient pas catholiques ont été ajoutés au martyrologe, comme Isaac de Ninive ou Grégoire de Narek. La fidélité des 21 au Christ jusqu’au don de leur vie a permis de faire un pas vers la communion entre les Églises”, ajoute Didier Rance. “Ils étaient des hommes humbles, travailleurs et pieux. Le plus beau témoignage que nous ont donné les martyrs coptes, c’est celui de la simplicité dans la foi”.
Le président égyptien Al-Sissi avait annoncé en 2016 la création d’une église, aux frais de l’État, dédiée à la mémoire des 21. Inaugurée en 2018 par Al Sissi et le patriarche copte Tawadros II, elle accueille les dépouilles des saints, retrouvées deux ans après leur mort dans une fosse commune, en octobre 2017. Les corps avaient les mains liées derrière le dos, encore vêtus des combinaisons orange, têtes séparées. Mais de l'horreur du sacrifice ultime, librement consenti et accepté, est née la Vie véritable. "Tous les chrétiens doivent se préparer à l’éventualité de devenir martyr. La foi nous donne le courage pour affronter la mort et entrer dans la vie éternelle avec Jésus", déclare Abouna Antonios. De la douleur du martyre des 21 Coptes, il ne reste plus rien. Si ce n'est la fécondité absolue du don de leur vie, car "Ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans l’allégresse. Ils vont, ils vont en pleurant, portant et jetant la semence ; ils reviendront avec des cris de joie, portant les gerbes de leur moisson." (Ps 126, 5)