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C’est étonnant comme le nouveau mantra d’un nombre croissant de responsables politiques est de suivre ce qu’il est convenu de dénommer la « voix du peuple ». Sans que personne ne puisse dire la manière dont elle s’exprime et sa légitimité. Ainsi, les mêmes qui, à chaque élection remettent en doute la qualité des sondages, estiment que les instituts sont fiables lorsqu’ils assènent le sentiment que possède une majorité d’être victimes d’une « submersion migratoire ». Les mêmes, par ailleurs, qui décrètent cette voix supérieure à tout autre ne s’y réfèrent pourtant pas lorsqu’il s’agit de décider de l’âge de la retraite ou de telle ou telle décision « sociétale »...
Le « ressenti » devient premier sur le réel. Ou plutôt, il l’enveloppe et l’étouffe : ainsi de la météo, l’actualité devient la description de nos obsessions collectives plutôt qu’un descriptif le plus honnête possible de ce qui se passe vraiment. Une société de consommateurs peut-elle évoluer autrement ? Nous sommes renvoyés à la triste démonstration de l’adage marxiste : « La bourgeoisie a noyé les frissons glacés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise, dans les eaux glacées du calcul égoïste. »
Les chiffres et le « ressenti »
En matière d’immigration, les chiffres, pourtant, devraient nous libérer de bien des frayeurs nocturnes : la France se classe en 77e position parmi les pays accueillant des migrants. Et les données en matière d’entrée dans l’Union européenne, fournies par des agences sérieuses comme Eurostat, Frontex ou le Haut-Commissariat aux réfugiés, sont, elles aussi, éloquentes. L’UE qui compte 450 millions d’habitants, a recueilli 27 millions de résidents non-européens, ce qui représente 6% de sa population (dont la majorité réside en Allemagne). Le nombre de personnes ayant migré vers l’Union européenne atteint 5,1 millions en 2022 : une nette augmentation par rapport à l’année précédente, qui reste toutefois loin du record de 2016.
Il est de bon ton en période de crise de désigner des boucs émissaires.
À l’échelle du monde, 281 millions de personnes (3% de la population mondiale) migrent chaque année (le pourcentage est assez stable). 1.142.618 personnes ont demandé l’asile dans un pays de l’Union européenne (ou en Norvège et en Suisse) en 2023, selon l’Agence européenne de l’asile. Il s’agit d’une augmentation de 18 % par rapport à 2022. La grande majorité de ces demandes ont été déposées en Allemagne (29%), en France (15%), en Espagne (14%) et en Italie (12%). Les Syriens constituent la première nationalité en nombre de demandes d’asile l’an passé, devant les Afghans, les Turcs, les Vénézuéliens et les Colombiens. Sur ce million de personnes, 491.000 ont vu leur demande acceptée cette année-là, soit moins de la moitié même s’il s’agit du taux le plus élevé depuis 2016. Le nombre d’entrées irrégulières dépasse 385.000 en 2023, tandis que plus de 83.000 personnes ont été expulsées de l’UE cette année-là pour 435.000 expulsions prononcées par la justice des pays membres.
Bugs informatiques
Il y aurait bien à dire aussi sur les nombreux bugs qui affectent le logiciel dédié par l’État au traitement administratif des personnes étrangères. Depuis des mois, les récépissés n’arrivent pas, les renouvellements sont retardés, condamnant des personnes salariées à risquer de perdre leurs emplois faute de carte de séjour renouvelée, humiliant parfois quotidiennement des gens honnêtes qui ne peuvent présenter de pièce d’identité ou de preuves administratives, condamnées à être emmenées au commissariat pour des contrôles inutiles. Notre pays connaît régulièrement des difficultés de logiciels comme ce fut le cas pour les soldes des militaires il y a quelques années (1996) avec le fameux Louvois, ou lorsqu’il y a quelques mois un million de contribuables ont été imposés à tort à cause d’une erreur informatique. Mais jamais encore, on avait eu le sentiment que les difficultés numériques qui affectent une part importante des étrangers sur notre sol ne soient traitées aussi légèrement.
Le bouc émissaire
Il est de bon ton en période de crise de désigner des boucs émissaires. Plutôt que de traiter la question migratoire d’une manière globale, sérieuse et courageuse, plutôt que de chercher à réformer un système financier déshumanisant et épuisant, plutôt que de nommer les maux dont nous souffrons collectivement et qui nous fait nous replier sur nous et regarder le prochain comme un rival, voire comme un adversaire, il est à court terme plus « payant » de désigner un diable. Sans comprendre en agissant ainsi que nous nous éloignons de notre vocation de nation bâtie sur un terreau d’Évangile. De Louis IX à Frédéric Ozanam, de Jeanne d’Arc à Vincent de Paul, les visages de nos compatriotes que nous vénérons le plus ne sont-ils pas ceux qui ont cherché, dans leurs fragilités humaines, à graver dans l’histoire de notre pays les reflets du visage du Christ ?