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Dans la foi, peut-on encore croire au progrès ?

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Jean Duchesne - publié le 04/02/25
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Dans un monde qui doute de plus en plus du progrès, observe l’essayiste Jean Duchesne, il y a toujours du nouveau à découvrir dans la foi, parce que les dons de Dieu sont inépuisables.

En un temps où, du moins sous nos climats, toutes les croyances sont mises en doute, il en est une qu’on ne se donne même plus la peine de piétiner : c’est la confiance dans le Progrès (avec une majuscule). Il y a seulement quelques décennies, la contestation reposait sur des a priori philosophico-idéologiques. Elle se fonde à présent sur des faits : la prospérité matérielle due à une puissance technologique croissante ne fait pas le bonheur et menace plutôt de mener le monde à sa perte. La science promettait un avenir toujours plus radieux ; elle fait désormais craindre une apocalypse. Les mauvaises nouvelles (détériorations écologiques, guerres, etc.) qui s’accumulent semblent y préluder. Or les chrétiens, pourtant réputés conservateurs si ce n’est passéistes, restent parmi les rares à croire encore que des avancées significatives restent possibles et que l’Histoire n’est pas totalement erratique. Bizarre ? Expliquons-nous.

La redécouverte de la Bible

Si les fidèles du Christ gardent foi que du mieux demeure perpétuellement possible, c’est pour une bonne part en raison de leur expérience collective, avec pour chacun des retombées personnelles. La vie de foi a en effet été considérablement renouvelée au cours du XXe siècle. Il y a d’abord eu la réappropriation des Écritures (y compris l’Ancien Testament), autrefois réservées au clergé instruit, puis récupérées par des exégèses qui en faisaient du texte mort, disséqué en ignorant la Tradition vivante dont elles restent pourtant inséparables, puisque c’est elle qui les a fixées, les transmet et en guide l’interprétation. Cette redécouverte de la Bible, jusque parmi les laïcs (avec des traductions à la fois scientifiques et populaires : Maredsous, Jérusalem, Osty, etc.) a permis ou accompagné plusieurs percées remarquables.

L’une a été un travail analogue sur les sources de la liturgie, permettant des recentrages sur l’essentiel, par-delà des concrétisations pratiques jamais vraiment figées depuis les origines. Une autre a été de réévaluer positivement l’enracinement du christianisme dans le judaïsme toujours vécu, ce qui s’est inscrit dans l’exigence ranimée de l’œcuménisme. Une troisième a été un renouveau de la théologie, fondée non plus (comme dans la néoscolastique censée être intemporelle et imperméable à toute objection même inédite) sur des preuves philosophiques de l’existence de Dieu, mais sur son autorévélation, sans cesse actualisée dans sa Parole vivante (He 4, 12), et sur l’histoire de la pensée inspirée par celle-ci, à partir des Pères de l’Église qui avaient, de façon restée normative, inauguré ces indispensables conceptualisations.

L’avènement de la spiritualité

Une autre mutation profonde (et souterraine) a été l’avènement de la spiritualité. Ce que signifie le mot existait bien sûr depuis longtemps : la conscience de relations au transcendant. Mais on ne l’utilisait guère pour désigner le sentiment religieux en général, quelles que soient les croyances confessées. Au sein du catholicisme, on séparait assez strictement l’ascèse et la mystique : d’un côté l’application aux exercices (askêsis en grec) de piété, pas forcément pénitentiels (rites divers, prières récitées, pèlerinages, etc.), nécessaires à tout un chacun pour se rendre disponible à Dieu ; de l’autre la perception, réservée par grâce à des privilégié(e) s, de réalités inaccessibles au vulgum pecus (mystika) : visions, apparitions, extases, etc. On se méfiait des émois ressentis, qui pouvaient être des illusions, voire des tentations… Les états d’âme n’ajoutaient pas grand-chose à la rectitude déjà suffisante dans "la foi et les œuvres".

Ce qui change autour de 1900, c’est qu’avec la sécularisation, l’appartenance l’Église est de moins en moins "sociologique" et devient un choix personnel, qui a besoin d’être justifié par le témoignage. On va alors progressivement s’apercevoir que l’ascèse n’est pas simplement une discipline que l’on s’impose, parce que Dieu appelle le premier et soutient les efforts. Elle a donc déjà une dimension mystique. Et l’on saisit que les sentiments éprouvés ne peuvent pas être de jouissance dans une possession, et bien plutôt d’abandon, de renoncement à l’autonomie, ce qui requiert une certaine ascèse. On se met alors à parler de "spiritualité" pour laisser entendre que la communion avec Dieu ne se réduit pas à une passivité anesthésiée.

Jusqu’à la fin des temps

C’est ainsi une réception affinée, moins conformiste et intensifiée des dons de Dieu qui est proposée à chacun, en faisant appel au cœur sans pourtant autant répudier la raison et ses lois. C’est en même temps juste et épanouissant, si bien que l’on peut et doit y reconnaître un "progrès". Et c’est également le cas pour la "biblicisation" et ses prolongements mentionnés plus haut. Oui, la fidélité aux sources scripturaires et liturgiques est vitale. Oui, l’œcuménisme et l’aînesse du judaïsme sont loin d’être des luxes. Et oui, la "nouvelle théologie" a fait entrevoir que le Dieu trinitaire qui se dit dans l’Histoire n’est pas l’idole laborieusement façonnée par des spéculations métaphysiques sur laquelle l’athéisme s’acharne pour lui substituer quelque Baal ou Moloch idéologique ou nationaliste, ou encore un chaos nihiliste.

Il ne s’agit pas de se prétendre meilleurs que nos ancêtres, "pères (et mères) dans la foi". C’est seulement que le mystère du Christ est d’une "richesse insondable" (Ep 3, 8). Aucune génération n’en a fait ni n’en fera jamais le tour. Et il reste toujours quelque chose à en découvrir et partager, donc des "progrès" à faire, jusqu’à la fin des temps où il n’y aura plus que du nouveau (Ap 21, 5), sans que rien de l’héritage du passé devienne périmé.

L’Église et le monde en interaction

C’est sans doute dans cette perspective qu’il convient de situer le dernier concile. D’aucuns ont voulu y voir une rupture. Or Vatican II n’a guère produit ex nihilo, mais a validé, parmi les innovations des décennies antérieures, celles qui montraient que la Tradition est inventive : la foi personnalisée des "convertis de la Belle Époque", qui a introduit la "spiritualité" et montré la fécondité de la liberté religieuse ; les recentrages de la théologie sur les Écritures et sur La Trinité ; les renouveaux de l’exégèse, de la patristique, de la liturgie et de l’ecclésiologie ; les recherches sur l’impact social du catholicisme et ses rapports avec les autres confessions…

Il est à remarquer tous ces "progrès" ne se font pas en vase clos, mais dans une interaction entre l’Église et le monde. Ainsi, la spiritualité apparaît dans un contexte où l’élévation du niveau de vie encourage l’introspection mise à la mode par le romantisme, et les chrétiens n’y sont pas insensibles. Mais la foi intériorisée n’autorise pas l’égocentrisme, ouvre au contraire à Dieu et aux autres et s’avère ainsi un antidote à l’individualisme promu dans la société profane. La théologie a de même bénéficié de l’essor des sciences et relativisé leur toute-puissance.

Le risque de l’élitisme

Il est d’ailleurs à noter que tous ces "progrès" ne sont pas automatiquement cumulatifs au fil du temps. Si rien n’en est à désavouer, il arrive que leur bénéfice soit moins perceptible et s’oublie. Ceci suggère que l’Histoire n’est pas rectiligne, bien qu’elle ait un but assuré. Son mouvement n’est pas uniforme, et peut être freiné, voire provisoirement arrêté et inversé.

Car reste, pour finir, à prendre acte que de tels approfondissements — dans l’engagement personnel et l’intelligence de ce qui est donné à croire et à faire — lancent un défi : c’est que tout le monde n’est pas capable d’assimiler tout cela d’un seul coup. Le "progrès" ne s’impose donc pas infailliblement de lui-même et tend d’abord à susciter une avant-garde puis une élite qui s’étonne de n’être pas suivie. Ce pourrait être ce qui arrive aux Églises d’Occident. Ce qui prouve seulement qu’il leur reste effectivement des "progrès" à faire, et que c’est affaire non pas de volonté et de stratégie, ni de préservation des acquis ou de radicalité dans les réformes, mais de d’accueil de Dieu qui exige la disponibilité au prochain.

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