Voici reconstituée ce que pourrait être la confession d’un homme riche d’aujourd’hui, confession paradoxale pour ceux qui portent un regard glacial sur l’argent et l’abondance matérielle : "Je suis un habitant d’autres périphéries, celles de l’argent. Oui, vous me pensez riche et certains m’envient, c’est vrai, j’ai fait fortune et je gère un grand groupe dont je suis l’actionnaire principal, on me voit dans les magazines économiques et parfois dans les tabloïds, l’on m’attribue une belle collection d’œuvres d’art, une splendide propriété viticole et l’on sait que je voyage en parcourant le monde. Bref, une réussite totale." Réussite totale apparente, celle qui fait rêver les contemporains de ce dirigeant et qui pourtant ne le satisfait pas. Devant tous, il affiche une grande confiance en lui, une relative supériorité qu’il relativise avec une subtile humilité quelque peu condescendante mais il est seul, très seul, il vit une vraie solitude, il est aux périphéries de notre monde et voici pourquoi.
L’argent n’est pas son bonheur
Les raisons sont matérielles, intellectuelles et morales, spirituelles aussi. L’argent ne fait pas le bonheur dit-on, et il peut même faire le malheur de ceux qui en ont beaucoup. Un exemple parmi d’autres : "Mes filles sont intelligentes, plutôt jolies, elles terminent de bonnes études et pourtant elles n’ont pas de relations faciles et amicales avec les autres, les garçons en particulier car elles ne savent jamais si on les regarde pour elles-mêmes ou pour la fortune qu’elles représentent. Difficile pour elles d’avoir une vie sociale comme les autres, rire et danser, travailler et faire du sport sans être remarquées : Tu sais, c’est la fille de… elle est pleine aux as…" Les filles de ce personnage, comme toute sa famille, ne savent jamais si elles ont affaire à des amis, de vrais amis désintéressés ou à des courtisans qui se valorisent à la fausse lumière du riche.
Comme "riche", il se doit de partager et il donne, beaucoup d’ailleurs mais pour tous, c’est normal : il est riche. Comme riche, on l’accuse de travailler avec tel ou tel pays qui ne serait pas dans le bien-penser occidental et l’on oublie qu’il crée des emplois, que ses usines tirent de la misère des familles entières tout en travaillant bien sûr selon des normes respectueuses. Comme riche, il doit payer des impôts dans différents pays et l’on pense qu’il fait de l’évasion fiscale ; quand il œuvre pour accélérer la transition énergétique, on le croit opportuniste.
Sa vie privée est d’une pauvreté déconcertante. Pas le temps de s’occuper de sa famille, passer du temps gratuit pour conduire ses petits-enfants à l’école, raconter l’histoire du soir et taper dans un ballon. Pas un instant pour se cultiver sauf paraître à la première d’un opéra ou d’une exposition qu’il mécène. Il court, comme dans la chanson, d’un avion à l’autre entouré de son équipe rapprochée.
Et Dieu, dans tout ça ?
Et personne pour le plaindre, on ne priera jamais pour le riche car l’on n’imagine pas un instant la pauvreté qui vient d’être décrite. Il vit un vide spirituel : et Dieu dans tout cela ? On verra plus tard ! Il n’a nullement l’envie d’être plaint, ne le plaignez pas, ce serait d’ailleurs indécent, il voudrait seulement être un homme comme les autres, considéré par ce qu’il est, ce qu’il donne et espère recevoir : une amitié vraie, une famille qui prend le temps de l’écoute et de la considération. Il voudrait avoir le temps de s’arrêter, se mettre à l’écoute non de la bourse et des marchés internationaux mais de l’autre qui parle avec son cœur, de celui qui l’a créé et que tant prient avec ferveur. N’oublions pas que Jésus n’a jamais condamné l’argent mais son mauvais usage. Il a payé ses impôts (Mt 17,27), il était soutenu financièrement par des amis (Lc 8,3).
Un pauvre qui s’ignore
Notre riche est dans une périphérie à laquelle personne ne pense, personne ne prie pour les riches et pourtant, ne les enviez pas, ne souhaitez à personne la vie qu’il mène et qui est comme un engrenage infernal dont il ne peut se soustraire, celui de prendre des risques pour un groupe et donc des hommes et de femmes qui dans ce monde, à tort ou à raison, font fonctionner la grande machine économique.
Vous qui priez, consacrez votre ferveur aux vrais pauvres, ceux qui n’ont pas le nécessaire pour vivre, aux exclus, aux prisonniers, à la veuve et l’abandonné du grand âge, au migrant et au sans-abri, au drogué, l’enfant battu et à la femme violée. Sachez aussi que le riche est un pauvre qui ne le dit jamais.