Plus soucieux d’efficacité que d’érudition inutile, nos ancêtres, quand ils ont placé Blaise au nombre des Quatorze Saints Auxiliaires, dits aussi Quatorze Secourables, ont rendu hommage à la puissance de sa prière et à ses pouvoirs de thaumaturge, l’élevant du même coup au rang de patron des oto-rhinos laryngologistes. Ils se sont beaucoup moins attachés aux détails de sa biographie. Pourtant, derrière la légende, subsistent quelques certitudes.
Blaise, patronyme latin signifiant Bègue, est mort à Sébaste, dans la province romaine de Petite Arménie, un 3 février, victime de la politique antichrétienne de l’empereur d’Orient Licinius. L’on peut douter, en revanche, que ce soit en 316, car, à cette date, Licinius, beau-frère de Constantin obligé de partager l’empire avec lui, se méfiant du redoutable empereur d’Occident, se sent encore tenu de respecter les conditions de l’édit de Milan qu’il a cosigné en 313 et qui permet aux fidèles du Christ de pratiquer librement leur religion. En 320, comprenant qu’il a intérêt, s’il veut conserver le pouvoir et la vie, à se poser en défenseur des païens en passe de devenir minoritaires, il prend contre les chrétiens des mesures coercitives que certains administrateurs trop zélés utiliseront pour relancer la persécution. L’épisode se terminera en 323 par la défaite de Licinius et la réunification de l’empire au profit de Constantin. Le martyre de Blaise se situe dans ce bref laps de temps.
Les premières mesures prises par Licinius contre "la secte", pour parler comme lui, vexations d’ordre administratif et fiscal, ont l’effet, très prévisible, d’agacer les chrétiens, de nouveau traités en citoyens de seconde zone et privés de leurs droits. Toute protestation conduisant à un emprisonnement très rigoureux et une confiscation des biens des prévenus, la grogne ne se calme pas et beaucoup, en Orient, pensent que se rallier à Constantin, protecteur de l’Église, serait une bonne idée. En d’autres termes, s’il avait l’idée de passer en Orient régler ses histoires de famille par la force, les chrétiens se jetteraient dans ses bras. Ils y auraient des excuses mais cela s’appelle de la trahison… Licinius décide d’éradiquer la menace en privant les communautés chrétiennes de leurs chefs naturels, les évêques, qu’il donne ordre d’arrêter et exécuter s’ils refusent d’abjurer. Avec des raffinements de cruauté, pour faire peur, et réjouir des païens trop privés de ce divertissement populaire.
Une réputation de charité
À cette époque, l’évêque de Sébaste, en Petite Arménie, c’est Blaise, ancien médecin réputé pour sa charité qui a dû accéder l’épiscopat en 313 à la fin des persécutions. À l’instar de nombre de survivants de cette période d’horreur, Blaise déplore de n’avoir pas été jugé digne du martyre et les mesures de Licinius représentent pour lui une seconde chance. Pourtant, obéissant aux consignes de ne pas courir au-devant de la mort, il quitte Sébaste et se retire dans une région montagneuse où sa compagnie se borne aux bêtes sauvages qui y pullulent.
Parce que l’homme de Dieu renoue le pacte avec le reste de la Création brisé lors de la faute au jardin d’Éden, les animaux ne lui font aucun mal et viennent spontanément l’entourer ; médecin, Blaise s’improvise vétérinaire. Et les fauves l’entourent, nombreux.
Or, le préfet de Cilicie et de Petite Arménie, Agricola, désireux d’organiser des jeux du cirque, envoie ses troupes battre la campagne en quête de bêtes pour des chasses en amphithéâtre. Étonnés, les soldats n’en trouvent aucune là où ils les capturent d’ordinaire. Suivant les traces, ils arrivent à la grotte de Blaise qu’ils découvrent parmi ses fauves apprivoisés. Dédaignant lynx, panthères, ours, ils se jettent sur l’évêque qui dit, radieux : "Il y a longtemps que je soupire après votre arrivée !" Blaise est ramené à Sébaste où Agricola, avant-goût d’autres supplices, le fait bastonner. Ce spectacle désole les chrétiens, ou plutôt les chrétiennes, qui accourent soutenir l’évêque de leurs prières et en profitent pour lui arracher quelque miracle comme seuls les confesseurs de la foi peuvent en procurer. Accourt ainsi une femme dont le gamin s’est planté une arête de poisson dans le gosier. Impossible de l’en débarrasser et la gorge de l’enfant gonfle, jusqu’à l’empêcher de s’alimenter, boire et bientôt respirer. Miracle véritable ou geste salvateur d’un praticien expérimenté ?
L'insubmersible Blaise
Quoi qu’il en soit, Blaise sauve le bambin, exploit de mauvais effet. Agricola passe au supplice suivant, la flagellation, conforme à la gradation des peines dans les procédures contre les chrétiens. Le préfet a fait disperser par la force les manifestantes mais il en reste sept, des obstinées, des fanatiques, qui refusent de partir. L’une, peut-être la mère du petit miraculé, est encombrée de ses deux garçonnets. On arrête ces femmes, on les somme de vénérer les idoles. L’une d’elles, maniaque de la propreté, s’imagine le préfet, dit qu’elles le feront, pourvu qu’elles les lavent d’abord dans le lac voisin. Ravi de cette victoire facile, Agricola autorise ce bain lustral. Mal lui en prend : les chrétiennes, en possession des images démoniaques, les noient, moyen assuré d’être associées à la mort du prélat. Hors de lui, le préfet hurle : "Même les bonnes femmes et les moutards se paient notre figure !". Il va leur en passer l’envie ! Il ordonne aux bourreaux d’infliger à Blaise, ultime étape de la procédure avant la mort, le supplice des peignes de fer qui lacèrent lentement le supplicié, le tuant parfois. Mais Blaise continue de chanter les louanges du Christ dont il a la vision. Exaspéré, pressé d’en finir, Agricola décide de le noyer dans le lac avec sa bande de dévotes. Un reste d’humanité lui interdit encore d’imposer le même sort aux deux enfants qui se revendiquent chrétiens, eux aussi. Mais, si les femmes se noient, Blaise se révèle insubmersible et il faut le ramener vivant au rivage où l’on se résout à le décapiter avec les deux enfants.
Voilà l’histoire vraisemblable du secourable évêque patrons des cardeurs, fabricants de peignes et tailleurs de pierre. Mais, souvenir de l’épisode de l’arête de poisson, Blaise est surtout invoqué pour les maladies de la gorge. Pour en guérir ou s’en préserver, en bien des endroits, l’on a maintenu ou restauré la traditionnelle bénédiction des gorges le 3 février ou le dimanche le plus proche, à l’issue de la messe.