Le Conseil supérieur de l’éducation a adopté, jeudi 30 janvier, le projet de programme sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité (Evars). Ce programme prévoit trois séances annuelles obligatoires. Pour Inès Pélissié du Rausas, docteur en philosophie et auteur de nombreux ouvrages à destination des parents sur l’éducation affective et sexuelle de leurs enfants, le contenu et la méthode ne respectent ni l’intimité des enfants ni la responsabilité des parents. Elle répond aux questions d’Aleteia.
Aleteia : Que vous inspire la dernière version du programme d’éducation à la sexualité présentée cette semaine par la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne ?
Inès Pélissié du Rausas : Je suis d’abord étonnée que Mme Borne ait choisi comme priorité de rendre obligatoire l’éducation sexuelle à l’école quand on voit le recul incessant de la France dans les classements Pisa. Le programme semble animé de bonnes intentions, mais les mots sont un peu ronflants, avec des expressions fourre-tout plutôt vagues, dont la répétition peine à masquer le flou, voire les ambiguïtés ou contradictions. Par exemple, il est dit dans le préambule que l’éducation à la sexualité se fera "sans se substituer au rôle des parents", mais elle devra aussi être obligatoire de la maternelle à la terminale à l’école. Cette éducation sexuelle se veut par ailleurs "attentive au respect de l’intimité corporelle et psychique des enfants, de leurs différences et de leur singularité" : louable intention, à laquelle il est impossible pourtant de se conformer lorsqu’on prétend parler en même temps et de façon publique de sujets touchant à l’intime, en grands groupes de classe à des enfants tous différents (maturité, culture). Mais de quoi est-il question ? Du respect de la personne de l’enfant qui demande un ajustement au plus près de ses attentes et questions, ou bien du respect d’une différence d’orientation sexuelle, voire de la singularité d’une revendication transaffirmative ? La suite du texte donne comme objectif de l’éducation à la sexualité "la lutte contre les discriminations en fonction du sexe, de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle". Cette lutte contre les discriminations est depuis dix ans maintenant le paravent de la promotion de l’homosexualité (lutte contre l’homophobie), comme du militantisme transaffirmatif (lutte contre la transphobie, objectif de la circulaire Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire du 29 septembre 2021.)
S’agit-il de favoriser le civisme ? Le citoyen éclairé est-il le militant ? Est-ce l’idéologie qui "éclaire" ?
Que pensez-vous de l’appui revendiqué, à partir du collège, à des associations comme le Planning familial ou SOS-homophobie ?
Ces associations partenaires de l’Éducation nationale ont de quoi inquiéter. Elles sont notoirement militantes : le Planning familial milite pour "une éducation à la sexualité dès le plus jeune âge fondée sur le plaisir et le consentement, essentielle pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles". SOS-homophobie propose des rencontres-débats aux élèves de collèges et lycées, dont "l’objectif est de déconstruire les stéréotypes et les idées reçues qui forment le terreau des LGBTIphobies, particulièrement à l’école". Or les personnels de l’Éducation nationale sont tenus au respect du principe de neutralité : "Le service public doit être assuré avec neutralité, c’est-à-dire sans considération des opinions politiques, religieuses ou philosophiques des fonctionnaires ou des usagers". Mais peut-on vraiment être neutre et faire en même temps appel à des associations militantes ?
N’y a-t-il rien à faire à l’école alors en matière d’éducation sexuelle ?
L’école a vocation à instruire. Des cours d’instruction civique devraient être donnés dès les petites classes non seulement pour apprendre aux enfants les règles de vie en société et déjà dans la classe, mais aussi les règles du respect de l’autre et de son intégrité, et bien sûr les règles du respect entre garçons et filles. La différence, plutôt que d’être niée ou minimisée devrait être progressivement expliquée pour entraîner le respect de l’autre et de son corps dans sa différence. C’était le sens de la première circulaire du ministre Jean-Michel Blanquer sur l’éducation à la sexualité qui appelait au respect de l’intime à l’école élémentaire et excluait que l’on parle aux enfants de sexualité au sens strict. Cet esprit semble animer le programme pour l’école élémentaire. Mais on ne sait pas bien ce que veut dire "poser les bases d’une citoyenneté éclairée". S’agit-il de favoriser le civisme ? Le citoyen éclairé est-il le militant ? Est-ce l’idéologie qui "éclaire" ? On sait en revanche que la lutte contre les discriminations, un des objectifs du programme, demande d’aborder la question de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. Difficile de ne pas parler de sexualité…
La sexualité humaine est appelée à signifier l’amour entre les personnes humaines.
Quelles sont selon vous les principales difficultés avec ce programme ?
Deux problèmes se posent : le premier porte sur la qualité des contenus. On ne voit pas les mots personne humaine, ni amour. Parler de la sexualité sans parler de l’amour est problématique, car la sexualité humaine est appelée à signifier l’amour entre les personnes humaines. Dire qu’elle est orientée vers le plaisir (pratiques sexuelles), qu’il faut apprendre à reconnaître les émotions qu’elle suscite et qu’elle est légitimée par le consentement pourvu qu’il soit accordé est faux. Le désir orienté vers le seul plaisir hédoniste est un désir appauvri, disait déjà Platon, car il est amputé des deux autres appels du désir : l’appel vers l’autre pour s’unir à lui dans la chair, au nom de l’amour, et l’appel à engendrer l’enfant. L’émotion peut indiquer un attrait, mais elle reste d’ordre affectif, et demande à être intégrée dans un amour pour la personne de l’autre, ou pas. On peut ressentir beaucoup de choses, au cours d’une adolescence et d’une vie, mais comme le dit l’adage, sentir n’est pas consentir. Nos émotions sont des forces, mais ne suffisent pas à orienter nos choix.

Dans une sexualité de type hédoniste l’appel vers l’enfant est nié, déconsidéré : l’enfant se trouve à la rubrique des grossesses non désirées. Quant à l’appel vers l’autre porté par le mot sexualité, (de sexus, secare, couper, séparer) il est réduit ici à une pratique sexuelle de type utilitariste consentie. Mais ce consentement lui-même pose un problème : combien de très jeunes filles "consentent" aujourd’hui à rendre des services sexuels aux garçons, en pensant qu’elles vont ainsi se les attacher ! Elles consentent… à se faire objet. Comme nous le savons, le consentement et la docilité peuvent aussi s’obtenir sous emprise, c’est tout l’art du manipulateur d’y parvenir.
Et le deuxième problème ?
Le deuxième problème porte sur la méthode : laisser un intervenant extérieur, même bien intentionné, venir parler à des groupes d’enfants de manière extime (au sens de publier, exhiber ce qui est intime) de sujets intimes, c’est prendre le risque de blesser les enfants lors des questions débattues. Ainsi par exemple d’exposés sur la masturbation assénés à des préadolescentes qui n’en demandaient pas tant et qui sont ressentis comme une effraction dans leur conscience. Certains propos obscènes constituent carrément des abus sur l’enfant, sous prétexte de l’informer.
Les parents sont en droit d’interroger l’établissement de leur enfant sur ses projets en matière d’application du programme, sur les modalités de la mise en œuvre.
En quoi l’enfant peut-il "consentir" à cette vision de la sexualité ?
"Vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée qu’est la conscience de l’enfant", recommandait Jules Ferry dans sa Lettre aux instituteurs du 17 novembre 1883. Ni les contenus ni la méthode du programme envisagé ne respectent ses besoins, et particulièrement son besoin d’intimité. Or l’enfant, parce qu’il est une personne, a besoin d’intimité et de confiance pour aborder les questions intimes et recevoir des réponses aux attentes de son cœur. Le meilleur contexte pour lui révéler le sens et la beauté de son corps et de l’amour tout en lui racontant son histoire est celui d’un cœur à cœur confiant avec l’un de ses parents. Commencer à parler tôt, avant l’école est une urgence éducative. Ces petites conversations sont d’ailleurs des moments de partage très heureux qui resserrent les liens familiaux. Elles peuvent commencer dès 2-3 ans et se décliner peu à peu, au fil de la vie et de la maturation de l’enfant. L’enfant qui découvre tôt que son corps est un don, un trésor, prend conscience de son mystère d’inviolabilité. Il en devient le gardien et apprend ainsi le respect, une nécessité aujourd’hui face aux abus. Même si l’on traverse des moments difficiles, il est bon d’aller vers l’enfant, pour l’« apprivoiser » et créer ainsi la relation de confiance qui permet de parler avec délicatesse, clarté et progressivité. L’enjeu est important : bien enraciné dans l’amour, l’enfant est moins perméable aux tentatives de déracinement !
Le rôle des parents est-il reconnu par l’État ?
Oui de façon très claire. Les parents ne font pas seulement partie des personnes de confiance qui entourent l’enfant, et le fait qu’il y ait des parents incestueux ne peut pas conduire à jeter la suspicion sur tous, pas plus que le fait que des professeurs soient condamnés pour pédophilie ne peut jeter l’opprobre sur le reste de la profession. Les parents sont légalement les premiers éducateurs : "L’autorité parentale [...] appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne" (Code civil, extrait de l’article 371-1). Les parents sont donc en droit d’interroger l’établissement de leur enfant sur ses projets en matière d’application du programme, sur les modalités de la mise en œuvre. Ils sont en droit de refuser l’arbitraire si nécessaire, le tout avec cordialité envers des enseignants dont la tâche n’est pas facile. Pour les établissements d’enseignement catholique, ce respect du rôle premier des parents se double du respect du caractère propre d’une éducation qui, à la lumière de l’Évangile, est une éducation subsidiaire à l’humanité de relations empruntes de respect de soi et d’autrui. Une éducation qui exclut toute forme d’utilitarisme et vient au secours de parents souvent démunis en les aidant à révéler à leurs enfants, dans l’écrin d’un moment de complicité, la vérité sur l’amour dans l’innocence du cœur.
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.
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