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La manipulation est-elle toujours malfaisante ?

CONTROL
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Pierre d’Elbée - publié le 01/01/25
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"Manipuler", est une action sur autrui assurément mauvaise. Est-ce si sûr ? À l’aide d’exemples vécus dans le monde du commerce et de l’industrie, le consultant en entreprise Pierre d’Elbée décrypte les différents sens du mot “manipulation”.

New York, années 1920. Les femmes qui fument sont encore stigmatisées. L'American Tobacco Company confie au publicitaire Edward Bernays la mission de briser cet interdit pour augmenter les ventes de Lucky Strike chez les femmes. Bernays va imaginer de transformer la cigarette en un symbole de liberté. En 1929, il profite de la parade de Pâques pour organiser un défilé de femmes élégantes où chacune allumera ostensiblement sa cigarette. Il prévient la presse, et fait de ce défilé un coup médiatique et féministe : en même temps qu’elle illustre le pouvoir de la presse sur les comportements sociaux, cette habile manipulation va provoquer une hausse spectaculaire des ventes de tabac auprès des femmes. Surnommée "torche de la liberté" la cigarette signe leur émancipation. 

Le management selon Lou Gerstner 

Années 1990. Pour sauver IBM de la crise, son président Lou Gerstner choisit d’en transformer la culture : en plus de vendre des produits, IBM proposera désormais des solutions globales à ses clients. Afin d’ancrer ce changement, Gerstner lance une campagne en interne axée sur la collaboration et l’adaptabilité, et il récompense ces nouveaux comportements attendus. En quelques années, sa stratégie fédère les salariés et redonne à IBM sa compétitivité, illustrant ainsi qu’une vision partagée par le personnel peut remodeler une organisation en profondeur.

Peut-on parler ici de manipulation ? Si l’on considère que Lou Gerstner a influencé le comportement de ses salariés sans forcément rendre ses intentions totalement explicites, la réponse est "oui" : désorientés par la crise de leur entreprise, les salariés se montraient facilement réceptifs à un message prometteur d’un avenir meilleur. Devant la vision d’une "nouvelle IBM" agile et collaborative, certains diront qu’elle est stratégique, on peut toujours l’interpréter comme une forme de contrôle subtil, propre à une manipulation déguisée. Cependant, la manipulation de Gerstner n’est pas de même nature que celle de Bernays. Son approche reposait sur une intention bienveillante et une certaine transparence. Il ne s'agissait pas de tromper les salariés ou de leur imposer une vision contraire à leurs valeurs, mais de les rassembler autour d’un objectif commun : sauver l’entreprise et donc garantir leur avenir, créant ainsi une dynamique "gagnant-gagnant". De plus, contrairement à une manipulation qui repose souvent sur la dissimulation, Gerstner a favorisé l’engagement volontaire de chacun en leur présentant un cap clair. Un leadership que l’on pourrait dire inspirant et fédérateur.

Existe-t-il une "bonne manipulation" ?

Le linguiste Alain Rey situe le mot manipulation à partir du latin médiéval manipulare qui signifiait d’abord "conduire par la main". Par extension, manipuler a pris le sens de "manier et transporter" : rien de pervers en cela. C’est au XIXe siècle qu’apparaît le sens figuré "arranger par des moyens occultes et suspects" et plus généralement, "influencer quelqu’un à son insu" : en ce sens, manipuler s'est substitué à manier.

Il existe pourtant une "manipulation bénéfique" : le kiné qui vous fait du bien en manipulant votre dos sans vous donner forcément d’explication, le professeur qui suscite la curiosité de ses élèves… à leur insu, les campagnes de santé publique qui utilisent des techniques marketing (slogans ou images fortes) pour encourager des comportements sains… Enfin, le manager qui ajuste son discours en fonction de ses collaborateurs pour les pousser à dépasser leurs propres blocages et révéler leur potentiel. Rien que de très éthique dans tout cela !

Vers une manipulation respectueuse

La manipulation devient éthique quand elle procède d’une intention bienveillante : aider, protéger ou inspirer les personnes, sans jamais nuire à leur intérêt. Même si les détails ne sont pas explicites, elle est transparente sur l’essentiel. Enfin, elle assure un bien commun : toutes les personnes intéressées en tirent un bénéfice réel. Si ces trois conditions n’étaient pas respectées par Edward Bernays, elles l’étaient bien davantage par Lou Gerstner.

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