Dans Palimpsestes, son livre sur toutes les manières possibles de reprendre un texte dans un autre texte (parodie, pastiche, travestissement burlesque…), le critique littéraire Gérard Genette s’amusait du nombre très limité d’œuvres dont certains journalistes se contentaient pour créer une complicité culturelle avec leurs lecteurs. Il suffit que la formule permette mille variantes au gré de l’actualité : "La guerre de… n’aura pas lieu" (ou, plus souvent hélas, "aura bien lieu"), "À … rien de nouveau", "Règlement de comptes à OK... ", "Recherche… désespérément", etc. La simple familiarité d’une expression à nos oreilles permet sa survie même quand sa source est oubliée. On peut écrire "À Brest rien de nouveau" sans se souvenir d’Erich Maria Remarque, "La guerre des trois n’aura pas lieu" sans songer à Giraudoux, "Recherche ministres désespérément" en n’ayant jamais retenu le nom de la réalisatrice Susan Seidelman. Bloy évoquait de même, dans son Exégèse des lieux communs, les réminiscences évangéliques qui surnageaient dans le langage, y compris quand l’histoire exacte était oubliée. Ainsi de ceux qui s’en lavent les mains ou qui crient dans le désert...
Nouvelles idoles
En ce Noël 2024, la tradition de la reprise facile a été respectée. "Il est né le gouvernement" titrait La Montagne le 24 décembre, supposant que le chant bicentenaire fait encore partie du répertoire de la majorité de ses lecteurs, même si moins de dix pour cent des Français sont allés à la messe pour Noël en 2023. De son côté, une marque de téléphone, visant pourtant un public a priori plus jeune que les abonnés de La Montagne, espérait gonfler ses ventes en affichant "il est né le divin iPhone".
Humoristique ou publicitaire, la reprise peut toujours rassurer le chrétien qui craint qu’il ne reste du christianisme français que des cendres, pas même utilisables pour l’entrée en carême. Elle a surtout le mérite de nous rappeler — ce qui n’est certes pas nouveau — que l’homme se forge sans cesse des divinités de substitution. "Gouvernement", "divin iPhone" : la politique et la technologie continuent à nous offrir des objets d’idolâtrie à jet continu et on ne sait plus laquelle des deux est la plus touchée par le principe de l’obsolescence programmée. Nouveau lot de ministres jetables, frénésie capricieuse pour un gadget déjà périmé. "Brûle ce que tu as adoré" : le mot fameux de saint Rémi à Clovis définit à la perfection le critère d’une relation à l’idole, toujours passagère.
Trop de dieux, pas assez de Dieu
Trop de dieux, pas assez de Dieu, telle est sans doute notre permanente tendance, que l’on soit catholique ou que l’on se prétende athée. Dans son petit essai sur le fanatisme, Adrien Candiard tordait habilement le coup à l’idée reçue qui fait de l’excès de foi en Dieu le germe du terrorisme (Du Fanatisme, Cerf, 2020). Le fanatique, montre-t-il, ne croit pas trop en Dieu, mais pas assez ; plus précisément, il ne cesse de diviniser ce qu’il confond avec Dieu, sans voir que son amour de l’Absolu devrait au contraire l’empêcher d’absolutiser ses croyances relatives.
"Il est né..." Celui qui substitue une idole du moment au "divin enfant" a déjà son titre suivant : "Recherche Sauveur désespérément".