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Ce 11 juin 1580, lorsque Juan de Garay pose la première pierre de ce qui deviendra Buenos-Aires, l’on célèbre la fête de la Sainte Trinité et c’est tout naturellement, ainsi que le veut le pieux usage des découvreurs mandatés par les souverains catholiques, français, espagnols ou portugais, que la cité est baptisée, comme cela se fait aussi alors couramment pour les enfants, en l’honneur de la fête du jour. Elle s’appellera donc Ciudad de la Trinidad Puerto de Santa Maria de Buenos-Aires. Un peu long, certes, et très vite, la protection mariale demeurera seule, avant que, les temps et les mentalités changeant, ne reste que Buenos-Aires tout court … Mais là n’est pas notre propos.
En fait, au mois d’octobre 1580, alors que la bourgade naissante s’est déjà dotée d’une municipalité et d’une administration, ces très sérieux et nobles caballeros s’avisent que la cité n’a pas de saint patron, la Très Sainte Trinité ne pouvant tenir ce rôle. Se pose donc une question extrêmement grave : sous quel patronage, puissant de préférence, va-t-on placer la ville ?
Bien entendu, chacun, en fonction de sa propre histoire, ses propres origines et dévotions a sa petite idée sur l’affaire et tous d’avancer le nom de tel ou tel saint qui, selon lui, serait le plus approprié. La discussion s’animant un peu trop, quelqu’un, dans un accès de sagesse, suggère de s’en tenir à la coutume habituelle en pareil cas et de prendre pour patron le saint du jour de la fondation. Si, ce 11 juin 1580 tombant un dimanche, l’on célébrait la Sainte Trinité, en temps ordinaire, l’on fête Barnabé, cousin de saint Marc et compagnon de saint Paul en ses périples. L’on ne peut faire plus recommandable mais, allez savoir pourquoi, personne ne veut en entendre parler et l’infortuné Barnabé est rejeté dans les ténèbres extérieures. La discussion reprend de plus belle et ne tarde pas à s’envenimer, tous ces Messieurs se jetant au visage les grands mérites de leur favori, ses miracles et sa gloire.
Comprenant que l’on ne se mettra jamais d’accord, le conseil municipal se décide à laisser trancher la divine Providence. L’on tirera au sort le nom de l’élu ou de l’élue. Pour faire bonne mesure, en sus des noms déjà avancés, l’on en ajoute quantité d’autres, jusqu’à ce que le sac du tirage soit bourré à craquer. Le choix du vainqueur ne pourra être qu’aléatoire. Les bulletins mélangés, une main, par définition innocente, plonge dans la besace, y fouille consciencieusement et finit par en remonter un. On l’ouvre ; chacun, le souffle suspendu, attend le verdict d’En-Haut : « Saint Martin de Tours ».
« Non ! Pas un Français ! »
Qui est le consciencieux qui s’est cru obligé de préciser ? En cet instant, les fondateurs le maudissent car, sans cela, l’on pourrait s’interroger sur l’identité du Martin en question : celui de Braga ou celui de Vertou ? À moins qu’il s’agisse de celui de Montemassico cher à saint Grégoire le Grand, ou du pape Martin Ier ? Mais, là, le doute n’est pas permis, il s’agit bien du grand Martin, celui de Tours, l’un des saints les plus vénérés de la chrétienté, à l’immense et incontestable popularité, dont le crédit céleste est énorme. N’est-ce pas le meilleur patronage possible, le plus glorieux ? Certes, mais il y a un problème. D’une seule voix, nos nobles Espagnols, rouges d’indignation, s’écrient : « Non ! Pas un Français ! »
Voilà des décennies que la France et l’Espagne sont en guerre, ennemies héréditaires et irréconciliables. Aux différends liés à la réunion sur la tête de Charles Quint des couronnes espagnoles et du saint empire romain germanique, réunion qui a pris la France dans en étau potentiellement mortel entre les possessions Habsbourgs, s’est ajoutée la crise de la Réforme et le peu d’énergie mise, selon la catholique Espagne, par le Très Chrétien à pourfendre l’hérésie. Les haines religieuses se greffant sur les rivalités nationales, il va de soi qu’aller prendre un saint patron de l’autre côté des Pyrénées serait un choix déplacé.
Y aurait-il tricherie ?
Même si Martin, né à Sabaria en Pannonie romaine, la Hongrie moderne, et dont les véritables origines familiales restent inconnues, à une époque où France et Espagne n’existaient pas, ne saurait être naturalisé français, ni par droit du sol ni par droit du sang, il n’en est pas moins, ce depuis le baptême de Clovis, le patron du royaume. Lui donner le patronage de Buenos-Aires reviendrait, ou peu s’en faut, à livrer les clefs de la ville à l’ennemi. C’est d’ailleurs en se basant sur le même raisonnement qu’au début de la Guerre de cent ans, les chevaliers français ont renié saint Georges, leur immémorial protecteur, parce qu’il est aussi le patron de l’Angleterre … L’affaire est grave !
Les Espagnols, outrés, décident à l’unanimité de procéder à un second tirage, non sans avoir secoué le sac et enfoui bien profond le bulletin martinien lequel, contre toute probabilité, reparaît dans la main innocente. Y aurait-il tricherie ? Pour en avoir le cœur net, l’on tire une troisième fois, en s’entourant de précautions, et saint Martin de Tours ressurgit contre toute attente. Peut-on aller contre la volonté de Dieu ? Voilà comment, selon la tradition, l’archevêque de Tours, métropolite de la Lyonnaise Troisième, est devenu argentin le 20 octobre 1580.